Anneliese Depoux est experte en santé planétaire, avec elle, nous tentons de comprendre les impacts des crises environnementales sur la santé humaine. Elle est experte associée du MOOC santé et environnement que nous créons pour le groupe VYV.

Pouvez-vous vous présenter ? 

Chercheure en Santé globale, je dirige depuis plus de 5 ans le Centre Virchow-Villermé, un centre de recherche rattaché à la faculté de Santé de l’Université Paris Cité. Nous travaillons principalement sur les impacts sanitaires du changement climatique et les enjeux d’adhésion et d’engagement des populations dans la lutte contre le changement climatique.

Dans le cadre de mes activités comme membre du bureau du Centre des Politiques de la Terre, qui est un centre de recherche interdisciplinaire sur les enjeux de l’Anthropocène, je co-anime l’axe dédié à la santé planétaire.

Enfin, j’ai co fondé l’Alliance Santé Planétaire, une organisation qui regroupe professionnels de santé et acteurs des territoires investis par la question de la santé planétaire. 

Comment définissez-vous le terme “santé planétaire” ? 

Il s’agit d’envisager le soin et la pratique médicale avec une approche plus globale et systémique et de réfléchir aux sous-jacents de la santé dans le contexte de l’Anthropocène (nouvelle période géologique dans laquelle les activités humaines sont le principal facteur d’impact sur la biosphère). Finalement, c’est observer l’Homme dans son rapport à la biodiversité et à un environnement qu’il a dégradé en faisant converger les disciplines et les expertises. Concrètement, la santé planétaire est un outil d’amélioration de la santé, de l’équité et du bien-être de tous les humains, dans le respect permanent de la biosphère (c’est à dire les autres vivants et leur/notre écosystème). 

Quels liens existent entre problématiques environnementales et santé publique ?

C’est très large et c’est ici tout l’enjeu de la santé planétaire, qui ne se limite pas uniquement aux impacts du changement climatique. 

Il s’agit aussi de réfléchir aux questions liées à l’antibiorésistance, à l’effondrement de la biodiversité, à l’émergence de zoonoses… Il y a aussi toutes les questions liées à la sécurité alimentaire, à la malnutrition, aux déplacements de populations. 

Puis enfin, et il s’agit d’une thématique finalement peu traitée, se posent les questions liées à la santé mentale. De plus en plus de recherches démontrent les liens entre le réchauffement climatique et et l’émergence d’émotions telles que la colère, la peur, la perte d’espoir… Les ¾ des 16-25 ans à l’échelle mondiale jugent leur avenir effrayant. 

La pandémie de Covid a été l’occasion brutale de prendre conscience des conséquences sur notre santé des perturbations environnementales et de la dimension planétaire que cela pouvait prendre.

Nous entendons souvent que l’érosion de la biodiversité aura pour conséquences l’émergence de prochaines épidémies, pourquoi ? 

La pandémie de Covid a été l’occasion brutale de prendre conscience des conséquences sur notre santé des perturbations environnementales et de la dimension planétaire que cela pouvait prendre. Une série d’autres maladies infectieuses émergentes telles que Ebola, la grippe aviaire ou le SRAS – appelées zoonoses – sont le résultat de l’impact de l’homme sur la faune. Dans le cas des zoonoses comme Ebola, il s’agit du résultat de pertes forestières ayant entrainé des contacts plus étroits entre la faune sauvage et les zones habitées par les humains. C’est également le cas pour la grippe aviaire, qui est liée à l’élevage intensif. On voit donc que l’interaction de l’Homme et du bétail avec la faune sauvage nous expose à un risque de propagation d’agents pathogènes potentiels.

Les facteurs d’émergence de ces zoonoses sont nombreux et largement déterminés par l’activité humaine : changements des facteurs de l’environnement, changement d’utilisation des terres, changement climatique… Donc la déforestation et l’expansion agricole jouent un rôle important dans l’émergence de ces pathologies. 

Finalement, 60% des maladies infectieuses nous parviennent par l’intermédiaire des animaux. Par exemple, la chauve-souris,  qui a un rôle très important pour la biodiversité grâce à ses capacités de pollinisation, est aussi vectrice de nombreuses infections. Donc si l’on vient la déloger, les opportunités de contact avec le bétail qui sert pour l’alimentation se trouvent favorisées, et par effet de ricochet, l’homme se retrouve exposé à ces virus. 

Le dépassement des limites planétaires laisse présager d’autres séquelles sur la santé mondiale, quelle serait la problématique majeure ? 

La question de l’alimentation semble centrale. La hausse des températures, les évènements climatiques extrêmes vont avoir un rôle clé sur notre alimentation dans l’avenir. 

On sait que la chaleur va faire peser un risque extrême sur 71% de la production alimentaire autour de 2045-2050 et que les canicules à répétition vont mettre le secteur agricole en situation de risque extrême. Cela va concerner l’Inde en première ligne, qui alimente une très grande partie de la population mondiale. Mais la hausse des températures va aussi affecter des pays plus tempérés, et nous subissons déjà des impacts importants en France, en témoigne la sécheresse de l’été dernier. 

La modification des conditions climatiques va aussi favoriser le développement de certaines maladies touchant végétaux et animaux et la prolifération d’espèces nuisibles, deux facteurs impactant aussi les cultures. Enfin, la chaleur va réduire les rendements et affecter les travailleurs.

Parmi les autres impacts sur l’alimentation, on retrouve également la diminution de la qualité nutritionnelle des fruits, des légumes et des céréales. L’excès de carbone fait chuter la concentration de vitamines dans les plantes, c’est-à-dire moins de protéines, de zinc et de fer : l’impact n’est pas du tout négligeable. L’autre cause de la baisse de qualité nutritionnelle est l’agriculture intensive, qui épuise les sols et compromet la capacité des plantes à être en contact avec des champignons, indispensables à la capacité des espèces à accéder aux nutriments qui se trouvent dans le sol. Par effet de domino, la qualité de la viande est aussi en jeu, puisqu’elle le bétail nourrit de ces mêmes végétaux

On voit bien qu’il y a un effet très systémique et que les dégradations environnementales dégradent nos conditions d’alimentation, qui elles même menacent notre santé avec des effets en cascade. 

Finalement, par ricochets, les grands équilibres socio-économiques de certains pays pourraient se retrouver affectés et déclencher des des crises aux conséquences possibles sur la stabilité sociopolitique. 

Les effets en cascades de la crise environnementale peuvent aussi suivre un schéma vertueux et l’adoption de modes de vie plus soutenables aura aussi des impacts positifs sur la santé à l’échelle collective. 

La santé planétaire évoque fréquemment la notion de “co-bénéfices”, pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ? 

Pour l’expliquer, reprenons l’exemple de l’alimentation. 

On sait que la diminution de la consommation de viande réduit l’empreinte environnementale liée à la production alimentaire (émissions de gaz à effet de serre, impact sur les ressources en eau, diverses pollutions par les nitrates…), mais on sait aussi que la réduction de l’alimentation carnée participe à l’amélioration de la santé humaine via la réduction des risques de maladies non transmissibles telles que le diabète et les maladies cardio-vasculaires et neurologiques. Les co-bénéfices sur la santé sont d’autant plus intéressants car contrairement aux bénéfices liés aux actions mises en œuvre pour diminuer les émissions de gaz à effets de serre, les bénéfices sur notre santé sont perceptibles à très brève échéance. 

Ces co-bénéfices s’appliquent également sur d’autres facteurs liés à notre santé. Par exemple, la réduction des émissions entraînera une amélioration de la qualité de l’air que nous respirons, la rénovation thermique améliorera le bien-être et permettra aussi de protéger les individus lors d’épisodes caniculaires, et enfin l’adoption de modes de transports dits “actifs” – marche, vélo, transports en commun – préviendra certaines pathologies.

On voit donc que les effets en cascades décrits précédemment peuvent aussi suivre un schéma vertueux et que l’adoption de modes de vie plus soutenables aura des impacts positifs sur la santé à l’échelle collective. 

Quelles seraient les mesures d’adaptation à mettre en place pour rendre nos systèmes de santé plus résilients ? 

Aujourd’hui, l’empreinte carbone de notre système de santé représente jusqu’à 8% de l’empreinte globale, d’après un rapport du Shift Project datant de 2021. Donc les premières mesures résident forcément dans la réduction de  ces émissions. Elles sont principalement liées au transport des usagers (professionnels et patients), et aux usages du secteur en matière de prescription de médicaments. 

Comment les organisations du secteur de la santé et les professionnels de santé peuvent participer à la mise en place de ces mesures ? 

La mise en place de ces mesures passe avant tout par la formation des professionnels aux enjeux de santé planétaire. Former les professionnels de santé, qui sont aux avant-postes pour engager leurs patients à adopter des comportements bénéfiques pour la santé, est un vrai défi.

On doit donc pouvoir s’appuyer sur cette confiance de la population pour délivrer des messages de prévention et engager des changements de comportement. 

On a été capable de le faire pour beaucoup de questions de santé publique : antibiotiques, tabagisme, prévention contre le Sida… Il faut donc tirer les bénéfices de ces précédentes campagnes pour les adapter aux enjeux environnementaux. 

Et enfin, quels sont vos futurs désirables ? 

Un futur où la qualité de l’air qu’on respire peut garantir notre bien être et celui de nos enfants. Cela concerne la pollution atmosphérique et les particules fines mais aussi l’augmentation significative des allergies liées à la propagation de plantes allergènes, autant de défis pour la santé planétaire ! Adapter nos comportements, notre consommation, repenser l’espace urbain, suppose des efforts et des investissements conséquents, mais ce sont aussi de véritables mesures de santé publique. La lutte contre le changement climatique représente une très grande opportunité pour la santé et la pleine santé.

 

Marie Donzel est experte des sujets d’égalité femme/homme et directrice associée auprès d’AlterNego

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je suis Marie Donzel et je suis directrice associée d’AlterNego, qui accompagne toutes les transformations du monde du travail et ce qu’elles impliquent. Cela va des transformations liées à l’économie, liées à la société (diversité et inclusion par exemple), mais aussi portées par le politique et le légal. 

Les problématique de la mixité et bien sur des transformations environnementales montent, les sous-jacents sont nombreux : revoir le business modèle en fonction des coûts carbones, faire de la prévention autour des risques psycho-sociaux…

Oui, clairement, les femmes sont plus préoccupées, plus inquiètes, mais la raison n’est pas tant leur rôle de femme que le fait qu’elles soient systémiquement à l’endroit de la vulnérabilisation liée au système inégalitaire. 

Il semble que les femmes ont été historiquement plus nombreuses à s’engager dans la transition environnementale, c’est en tout cas ce que nous avons constaté chez ENGAGE. Partagez-vous cette analyse ? Et comment l’expliquez-vous ?

C’est une pure réalité ! 

C’est d’ailleurs rigolo de voir à quel point le mot “éco-féminisme” est mal-traité par les médias et par le politique. Il n’empêche que tous les paradigmes d’une chaine de valeur respectueuse de la chaine du vivant, ont été pensés dès 1974 chez Françoise d’Eaubonne. La prédation des animaux, des ressources naturelles, l’appropriation du ventre des femmes et les inégalités y sont traités. 

Je peux même remonter au moment des préhistoriennes de l’agriculture qui met en évidence la période de la création des inégalités femmes/homme. Précisément, c’est à ce moment où on se met à considérer les femmes comme des possessions exploitables.

Donc le lien entre féminisme et écologie politique est quand même bien établi et je me réjouis qu’il deviennne mainstream aujourd’hui, en revanche, je trouverai gros que l’on en oublie l’historique. 

Ceci étant dit, on peut aborder la thématique sous d’autres angles. Le sujet de la transition agricole à l’échelle mondiale est porté depuis les années 60-70 par les femmes, et ceci est très documenté par l’ONU. En l’occurence, elles ont été les premières à signaler qu’il manquait d’eau dans certains pays en développement ou elles allaient chercher l’eau. 

L’autre sujet, c’est l’écologie des petits gestes : si les femmes ont une très grande sensibilité à ces petits gestes c’est étroitement lié au fait qu’elles effectuent la majorité des tâches domestiques. 

Alors oui, clairement, les femmes sont plus préoccupées, plus inquiètes, mais la raison n’est pas tant leur rôle de femme que le fait qu’elles soient systémiquement à l’endroit de la vulnérabilisation liée au système inégalitaire. 

Pourrait-on faire un parallèle avec les métiers du soin, traditionnellement plus féminins ?

Je ne le fais pas. J’ai bien évidemment souvent entendu cette idée qui dit qu’une fois que les femmes auraient pris soin des enfants, des vieux, des pauvres et des malades, finiraient par aussi prendre soin de la nature. 

Je ne fais pas ce parallèle à un modulo près, celui qu’historiquement, le travail des femmes a été perçu comme une extension de la fonction domestique et maternelle. Donc si les femmes sont très nombreuses dans le care, la première raison c’est qu’à un moment nous avons trouvé judicieux d’indemniser ce travail. 

Et donc, en allant chercher le sujet de l’attachement à l’environnement de vie, si on avait demandé aux femmes il y a 50 ans, elles nous auraient déjà dit que pour que les gens soient plus heureux et que la maison tourne mieux, il vaut mieux pouvoir boire de l’eau propre, avoir un environnement préservé et des ressources consommées avec mesure et modération. Mais ce n’est pas un care naturel, c’est une fonction.

C’est pour cette raison également qu’il existe un réel enjeu à politiser l’attachement des femmes à l’écologie, et qu’il ne soit plus uniquement renvoyé au temps long, au care et au coeur. Cet attachement est vital pour tous, c’est un maillon essentiel qui va bien au delà de la performance. 

Le fait que les femmes soient sous-représentées dans les organes de décision pourrait-il expliquer le retard pris par la transition du monde économique et des entreprises ?

J’en suis intimement convaincue ! Je trouve que nous n’apprenons pas assez de l’histoire. À titre d’exemple, la résolution 1325 de l’ONU sur les pourparlers de paix, démontrait déjà que la paix est mieux construite et plus durable quand les femmes prennent place. Leur position de première victime de guerre fait que leurs raisonnements sont avant tout tournés sur la façon de protéger l’humain et le vivant. Les sujets environnementaux nous amènent sur une forme de guerre aussi, donc de toute évidence nous avons besoin des femmes. 

Leurs connaissances, que ce soit dans les pays en développement pour faire face aux effets, ou la connaissance très aigue qu’elles ont de ce qu’il se passe quand il y a un  feu ou une inondation, sont finalement des connaissances intimes liées à leur position dans la société. C’est donc évidemment risqué de passer à côté de sujet essentiels et vitaux, en les renvoyant à de l’anecdotique, à du pratico-pratique.

Par exemple la connaissance des arbres et des végétaux, est une connaissance ancestralement féminine et se passer de ca pour lutter contre la déforestation serait INSENSÉ. Pourtant, on voit aujourd’hui dans les COP, que la place donnée aux femmes est souvent celle de “grands-témoins”. La décision elle, appartient souvent aux technocrates qui observent le prisme d’une façon un peu méta. 

Qu’apporterait une féminisation de ces organes de décision selon vous ? 

À titre d’exemple, quand la loi Copé-Zimmerman est passée et que les femmes ont rejoint les conseils d’administration, elles se sont demandé si elles étaient suffisamment formées. Elles ont alors élevé le niveau de compétences général et ont posé de l’organisation.

Elle apporte ce que ca apporte partout ! 

Quand des réputés “différents” entrent dans un monde de “mêmes”, l’effet outsider s’applique, même s’il ne faut pas en faire le seul effet car cela placerait les femmes comme étant seulement là pour être outsider. À titre d’exemple, quand la loi Copé-Zimmerman est passée et que les femmes ont rejoint les conseils d’administration, elles se sont demandé si elles étaient suffisamment formées. Elles ont alors élevé le niveau de compétences général et ont posé de l’organisation. Ce n’est pas parce que ce sont des femmes, c’est parce ce sont des gens qui arrivent dans un endroit et que l’effet “arrivant” se produit. 

On peut aussi démontrer aujourd’hui que la diversité fabrique de la décision plus robuste. La confrontation des points de vue, si elle ne se transforme pas en rapport de force, produit de la décision plus fine, durable et consciente des risques. C’est en effet tout à fait normal que des gens d’origine différentes, de parcours différents, voient des risques que les autres ne voient pas. 

Dans une autre perspective, les femmes et en particulier les femmes les plus pauvres vont être les premières victimes du dérèglement climatique et de la chute de la biodiversité. Comment pouvons-nous lutter contre cela ?

Cela dépend fortement de l’endroit dans lequel on voit le fait qu’elles soient victimes. 

Un premier élément de réponse réside dans tous les sujets liés à la formation minimum à laquelle n’importe quel humain devrait avoir accès, à savoir nager, lire et écrire. Quand je vois que les femmes se noient davantage dans les inondations parce qu’elles savent moins nager, je ne sais plus à quelle espèce nous appartenons et quels sont nos points d’intérêts. On devrait s’assurer de ces choses là. Aussi, l’accès aux consignes en cas d’incidents climatiques est limité pour les femmes en raison du manque d’accès aux médias et d’alphabétisation. L’action devrait être totalement prioritaire pour ces sujets, surtout que cela coute très peu cher. 

Enfin, repositionnons nos postes d’investissement et regardons systématiquement avec une grille à quel point ils aideront les populations les moins aisées dans le monde entier ! Les femmes sont également les premières victimes de la pauvreté, donc forcément tout perdre quand on a très peu à perdre est encore plus dramatique. Là aussi, il faut agir car nous manquons cruellement d’ambition pour les femmes. 

Et enfin, vos futurs désirables, Marie ? 

J’ai un vrai futur désirable : c’est que l’on traite mieux nos vieux ! Je ne parle pas que de la toute fin de vie. Globalement, je trouve qu’à l’exception de quelques sociétés, qui d’ailleurs sont malheureusement rattrapées, où culturellement il était organisé le droit de vieillir, nous ne sommes plus au niveau. Et finalement, les civilisations se mesurent à la façon dont elles traitent leurs “vieux”. 

Cette question mène à casser un logiciel purement utilitariste, selon lequel nous ne sommes qu’utiles, et finit par traiter les personnes agées comme de simples postes de coût. Sortons de ce modèle et demandons nous vraiment “est-ce que ce qui fait ma valeur, c’est mon utilité ?”. 

Olivia Blanchard est co-fondatrice et Présidente de l’association des Acteurs de la Finance Responsable. Elle est également experte en conformité bancaire et fondatrice du cabinet LiveConsulting

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je m’appelle Olivia Blanchard, et je travaille en finance de marché depuis 15 ans.  Mon métier aborde tout ce qui est relatif à la réglementation financière (lutte contre le blanchiment, fraudes et corruption). Je suis également consultante indépendante depuis 6 ans, j’accompagne des sociétés de gestions, des fonds ou des entreprises à mettre en place leurs dispositifs de conformité. Et depuis 3 ans et demi, je suis co-fondatrice et Présidente de l’association des Acteurs de la Finance Responsable. 

Quelle serait votre définition de “finance responsable”, qu’est-ce que cela implique ?

La finance responsable, c’est une finance qui sert à financer le vivant, donc l’Homme et la Nature. Cette finance prend conscience du pouvoir qu’elle représente face aux enjeux sociaux et environnementaux.  Elle prend la responsabilité de son propre pouvoir : être un acteur majeur du changement. 

L’AFR a réalisé une vidéo plus complète sur le sujet :

Concrètement, quels outils de mesure existent aujourd’hui pour établir et définir ce que sont les activités économiques vertueuses ?

C’est là tout le nerf de la guerre : oui des outils de mesure existent, la donnée ESG par exemple. Mais finalement, les agences de notation extra financières créent elles-mêmes leurs propres méthodologies d’analyse… 

Sur les données climatiques, on arrive à avoir un peu plus de visibilité et le cadre commence à devenir plus commun, mais le véritable défi repose vraiment sur tout ce qui est relatif à la biodiversité, car on manque cruellement de données et de cadre de référence. La biodiversité sort totalement du cadre de compétences des professionnels du secteurs et touche davantage à des compétences de scientifiques et d’ingénieurs, liées au vivant et aux espèces. 

Côté réglementation, quelles lois encadrent ces investissements ? 

Globalement ils sont encadrés par le pacte vert Européen, créé en 2018 et se déclinent autour de quatre réglementations. 

  • La première, qui est vraiment la pierre angulaire, s’appelle la taxonomie et pourrait être comparée à un dictionnaire de la durabilité. 
  • Ensuite, vient la réglementation SFDR, une directive qui s’assure de la transparence des informations transmises par les investisseurs à leurs actionnaires et épargnants et qui repose sur une classification des fonds en Articles 6, 8 ou 9. 
  • La troisième est MIFID II, qui a été revue pour intégrer les préférences des épargnants en matière de durabilité. 
  • Et la dernière, CSRD, qui vient augmenter les obligations de reporting des entreprises.

Pourtant, des failles existent, et des projets pas ou peu alignés aux enjeux environnementaux et sociaux se voient financés par des fonds destinés à soutenir la transition. Comment expliquer ces failles et comment les éviter ? 

Je pense que ces failles s’expliquent majoritairement par un manque de compréhension du système financier, qui s’est toujours basé sur la notation extra-financière (les critères ESG). Pourtant, ces critères ne sont pas du tout du même ordre que les notions de durabilité sous-jacentes à la taxonomie. 

À titre d’exemple, des secteurs comme celui des énergies fossiles ont une notation extra-financière ESG, par contre ce ne sont pas des secteurs durables au sens de la taxonomie Européenne. 

Finalement, nous sommes en pleine transition : celle du monde de l’investissement socialement responsable, vers un monde où il faut intégrer cette notion de durabilité, difficile à appréhender. 

Quant aux actions à mettre en place, il faut garder en tête que la finance est liée aux entreprises, à l’industrie. Si vous financez une entreprise vertueuse, forcément votre fond sera vertueux. Mais si nous devions dès aujourd’hui prendre l’ensemble de la masse monétaire existante et la rediriger uniquement vers des entreprises vertueuses, ce serait impossible. 

Donc le sujet, c’est de se demander comment les acteurs financiers peuvent être acteurs du changement en tirant vers le haut les entreprises dans lesquelles ils investissent, mais aussi, comment les entreprises elles-mêmes, doivent revoir leurs modèles économiques, pour être en accord avec cette transition. 

Finalement, nous sommes en pleine transition : celle du monde de l’investissement socialement responsable, vers un monde où il faut intégrer cette notion de durabilité, difficile à appréhender. 

Au niveau des banques grand public, l’offre de banques vertes s’est largement élargie ces dernières années, qu’en pensez-vous ? 

Tant que l’on peut verdir l’existant, je pense que l’on ne peut que saluer l’initiative.

En revanche, seul le temps pourra confirmer ce modèle, car aujourd’hui, ces banques ne sont pas autonomes et sont indexées sur des systèmes financiers existants. 

L’autre limite imposée par leur caractère nouveau, est qu’elles ne proposent pas les mêmes produits financiers qu’une banque classique. Mais le temps fera qu’elles prendront de plus en plus d’ampleur et je suis convaincue que les consommateurs tendent à aller vers ces systèmes, vers ces banques qui n’ont pas juste un logo peint en vert.

Tous ces chamboulements législatifs, réputationnels, vont faire évoluer les métiers et de nouveaux emplois vont naître au sein du secteur financier. Quels seront-ils et quelles seront les compétences et connaissances liées à ces changements ?

Je ne sais pas si on peut vraiment parler de nouveaux métiers, bien sûr, certains se sont créés, notamment au niveau de la RSE ou de l’analyse ESG. 

Selon moi, la seule façon de parvenir à impulser le changement, c’est d’estomper le clivage entre les métiers de la RSE et les autres métiers. Nous y serons parvenus quand la finance responsable ne sera pas un métier différent, mais quand ce sera une compétence intégrée dans l’ensemble des métiers existants. 

Il faut que les gens se forment à la finance responsable, et comprennent comment, à leurs niveaux actuels, ils peuvent être acteurs de cette finance. 

Et enfin, Olivia, quels sont vos futurs désirables ? 

J’espère vraiment un éveil des consciences, et pas seulement dans la finance ! 

Il faut que nous prenions conscience, au quotidien, de nos responsabilités pour pouvoir changer les choses et aller vers ce nouveau monde qui nous appelle. Vivons en paix et en harmonie avec le vivant, et non pas contre lui.