Marine Calmet est avocate de formation, juriste en droit de l’environnement et des peuples autochtones, et présidente de l’association Wild Legal, un programme juridique pour la transition et les Droits de la Nature. Elle interviendra le 9 février lors de la Conférence-Action du Défi Biodiversité d’ENGAGE sur la thématique « Quel droit pour le vivant ? ». Pour s’inscrire, cliquez ici.
Peux-tu te présenter ?
Je suis avocate de formation. J’exerce en tant que juriste pour des associations qui ont pour mission la préservation de la nature en leur fournissant des conseils et en les accompagnant vers un modèle de plaidoyer pour la reconnaissance du crime d’écocide.
En 2019, j’ai fondé l’association Wild Legal qui est à la fois une école et un incubateur de nouvelles actions en justice pour la reconnaissance des droits de la nature. Nous incubons des campagnes tout en formant les étudiants juristes et le grand public à ces questions-là par le biais de simulation de procès. Cette année, nous incubons une procédure pour crime d’écocide contre l’industrie Alteo, responsable de la pollution aux boues rouges au large de Marseille. Les étudiants se projettent sur ce cas dans la situation où le crime d’écocide serait reconnu dans le droit français, et réfléchissent aux actions que l’on pourrait mener vis-à-vis des gros pollueurs face à la destruction de la nature. Nous mettons ensuite à disposition des associations que nous accompagnons les résultats de ces travaux, et organisons des conférences et des ateliers pour sensibiliser le grand public.
En tant que juriste, tu adoptes plutôt une posture de militante ou une posture d’accompagnatrice ?
J’adopte une double posture. Il y a des sujets sur lesquels je suis très militante, comme l’extractivisme. Je suis notamment porte-parole du collectif Or de question en Guyane qui lutte contre les mines d’or industrielles.
J’ai également la casquette ‘accompagnement et formation’ sur les droits de la nature au grand public et aux entreprises car je suis convaincue que cette transition passe par eux. Nous imaginons ensemble à quoi pourrait ressembler la reconnaissance des droits de la nature dans leur travail au quotidien. Nous nous interrogeons sur les nouveaux modèles de société qui pourraient émerger afin de combiner les droits de la nature, les droits humains et d’autres intérêts qui gravitent autour comme le droit des entreprises.
Nous soutenons également des initiatives citoyennes comme la Convention Citoyenne pour le Climat avec qui nous travaillons. Nous leur fournissons le travail produit par Wild Legal sur ces sujets et les accompagnons dans la création d’un plaidoyer citoyen notamment auprès des instances politiques en exerçant du lobbying sur ces notions juridiques.
Que penses-tu de l’avis rendu par le ministère sur « l’affaire du siècle » ?
J’étais à l’origine dans l’association Notre affaire à tous créée en 2015, qui a initié « L’Affaire du siècle » aux côtés de Greenpeace France, Oxfam France et la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme. En 2018, nous avons porté cette campagne juridique dans l’idée que non seulement les manquements de l’État soient reconnus mais qu’il soit également obligé à agir.
Malheureusement, l’avis rendu par le ministère début janvier nous permet d’anticiper la décision du juge qui sera bientôt rendue et qui va sans doute se limiter à la simple constatation de la carence de l’État, sans obligation d’action derrière.
Il faut cependant voir ce procès comme un message fort envoyé au gouvernement, mettre en perspective ce jugement qui résonne avec beaucoup d’initiatives comme la Convention Citoyenne pour le Climat montrant une vraie remise en question de la politique environnementale.
“ L’avis rendu sur ‘L’affaire du siècle’ est un message fort envoyé au gouvernement, cela montre une vraie remise en question de la politique environnementale ”
Que penses-tu de la place grandissante des mesures de compensations ?
Il y a beaucoup de domaines dans lesquels ces mesures ne sont pas suffisantes. Par exemple dans le milieu minier, on ne peut pas détruire des forêts et tenter de recréer des écosystèmes d’une richesse incroyable comme celui de la forêt Amazonienne.
Cela témoigne de notre relation ambigüe à la nature, où l’on considère que l’Homme aurait un pouvoir de création similaire à celui de la nature et qu’il pourrait se substituer aux processus naturels. Mais c’est faux, nous ne pourrons jamais compenser à l’identique ce qu’a produit la nature.
Nous devons répondre à la problématique de la destruction de la nature en amont et avec la philosophie des droits de la nature avec laquelle sont incompatibles les mesures de compensation. En effet, dans la Déclaration Universelle des droits la Terre-Mère, la nature a des droits intrinsèques : celui de ne pas être détruite, de suivre ses cycles vitaux, ne pas subir de la pollution… Ce n’est pas compatible avec l’idée que l’Homme peut se substituer aux mécanismes de la nature, il peut juste y participer.
“ L’Homme ne peut pas se substituer aux processus naturels et recréer à l’identique ce qu’il détruit dans la nature. ”
Peux-tu nous en dire plus sur la Déclaration Universelle des droits de la Terre-Mère ?
La Déclaration universelle des droits de la Terre-Mère a été formulée à la Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique, en 2010, dans laquelle les droits intrinsèques de la communauté du vivant sont reconnus.
Dans cette déclaration, l’humain constate et annonce les droits des individus humains et non humains. La Terre est un être vivant composé d’autres entités intimement liées entre elles, dont fait partie l’être humain, qui a des responsabilités face aux droits inhérents de la Terre-Mère en tant que membre de cette communauté du vivant. Ce texte cherche donc à trouver un mode de cohabitation, tirée des sagesses autochtones qui vivent en symbiose avec la nature.
Cette déclaration sert de texte fondateur aux associations qui travaillent sur la reconnaissance des droits de la nature.
Quels conseils donnerais-tu as une entreprise pour se préparer à cette question du droit de la nature ?
Tout d’abord il est fondamental de se former sur ces sujets et d’acquérir assez de connaissances pour mener une réflexion. Une fois qu’on a pris conscience de ces nouvelles théories sur les droits de la nature, il faut se poser la question : à quel degré, dans mon entreprise, je prends en considération les intérêts de la nature et comment maintenant je peux les intégrer dans mes décisions ? C’est-à-dire qu’il faut réfléchir à la façon de passer d’une activité anthropocentrée à une activité qui soit bio-centrée, afin d’avoir un impact neutre ou positif sur le vivant.
Nous observons une augmentation des réglementations pour limiter l’impact environnemental qui sont vues aujourd’hui comme des contraintes et des freins pour les entreprises. Alors que si l’on se place dans un changement de paradigme, la responsabilité de l’entreprise n’est pas seulement de faire du profit et de satisfaire ses clients, mais de remplir sa mission qui est celle de préserver la nature dans laquelle nous vivons et de laquelle nous dépendons..
Quels seraient tes futurs désirables ?
Je souhaiterais vivre dans une société qui s’est interrogée sur ces questions, une société où les droits de la nature sont reconnus et intégrées dans nos lois. J’aimerais que l’on s’adapte aux lois naturelles et voir l’émergence d’une forme de sagesse qui se nourrit des connaissances scientifiques que l’on a sur la nature, des connaissances ancestrales et empiriques.
Je pense notamment à l’œuvre Ecotopia, d’Ernest Callenbach, où la société créée est respectueuse de la nature, moderne et libre, qui vit de ce savoir sur le vivant et qui l’enrichit. Nous devons tendre vers plus de savoirs, vers une valorisation de cette recherche, et mettre la science au cœur de nos décisions, sans tomber dans une vision religieuse ou animiste.