Charleyne Biondi, Doctorante en philosophie politique et maître de conférences à Sciences Po interviendra lors de la prochaine session du programme Transitions de l’Engage University.
- Sur quoi portent vos recherches ?
Je travaille sur la surveillance — c’est-à-dire la collecte massive de données à laquelle se livrent les entreprises de télécommunications, les GAFA et les services secrets — et je m’intéresse aux conséquences de cette surveillance pour le sujet : ce que cela implique pour la relation à soi, le processus de subjectivation, « le gouvernement de soi » ; comment cela transforme les relations de pouvoir, « le gouvernement des autres. » - Quelles sont les dangers que nous encourons en tant que citoyens ?
Au-delà des conséquences psycho-sociologiques (sur la construction de l’identité par exemple), la surveillance a aussi des effets politiques : le « chilling effect » induit par la surveillance encourage le conformisme et limite la liberté d’expression ; le « biais de confirmation » rendu possible par la collecte et l’analyse de nos métadonnées et mis en cause dans l’élection de Donald Trump (le fait que des millions d’électeurs aient été confortés dans leurs idées préconçues et n’aient jamais été exposés aux thèses adverses), créé des bulles de réalité selon l’analyse des préférences et des lectures de chacun — une violation de la vie privée qui n’était pas prise au sérieux quand elle se limitait au marketing commercial, dont on commence enfin à mesurer les dangers. - Comment nous en prémunir ?
En comprenant, d’abord, la valeur de la vie privée. L’argument hallucinant du « Nothing to Hide », le « je n’ai rien à cacher » doit être déconstruit entièrement. La vie privée est trop souvent présentée comme une liberté individuelle, un acquis sympathique du libéralisme politique auquel on renonce volontiers au nom de l’intérêt général, pour la sécurité de tous. On oublie que la vie privée est essentielle au fonctionnement de la démocratie. - Que signifie pour vous une société plus éthique ?
Une société où l’on ne se laisse pas porter par le flot des événements et de la vie, mais où chacun interroge, individuellement, et dans la solitude de sa conscience, le monde qui l’entoure et ses propres choix. Une société où, plutôt que de passivement baisser les yeux sur nos petits écrans pour se laisser abreuver (aveugler) par le flux constant de stimulations extérieures, chacun prendrait un instant pour se surveiller soi-même et se demander : au fond, qu’est-ce que j’en pense ?
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