Emery Jacquillat est président de la Camif, une entreprise française de commerce en ligne spécialisée dans l’aménagement local et durable de la maison. Il est également président de la Communauté des entreprises à Mission.

Peux-tu tout d’abord te présenter ?

Je suis un entrepreneur à mission, engagé et optimiste. J’ai relancé en 2009 la Camif, ancienne coopérative créée en 1947 par des instituteurs, et qui est aujourd’hui un site e-commerce dédié à l’équipement durable de la maison pour lequel nous avons fait le choix de miser sur la consommation responsable et la production locale.

Je suis en effet convaincu que l’entreprise est aujourd’hui le levier le plus important dans la transformation de notre monde. Les dirigeants d’entreprise ont une grande responsabilité car nous sommes la première génération à être réellement alertée sur des liens étroits entre climat, biodiversité et entreprise, et la dernière à pouvoir changer les choses. Je pense qu’il existe une réelle réconciliation possible entre les enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Aujourd’hui les entreprises les plus performantes sont celles et seront celles qui sauront prouver leur utilité pour la société.

J’ai également co-créé la Communauté des entreprises à Mission pour accompagner les dirigeants sur ce long chemin, exigeant, qui demande du courage mais qui est passionnant.

 

Quelle est la singularité de la Camif  ?

La singularité de la Camif, c’est d’être une société à mission. Nous avons commencé ce travail presque au démarrage en misant sur un modèle d’impact positif, à Niort, au niveau local pour la création d’emploi mais aussi à travers le choix du Made In France, ce qui était assez précurseur en 2009. Nous travaillons aujourd’hui avec une centaine de fabricants français qui représentent 73% de notre chiffre d’affaires.

En 2013, nous nous sommes posé la question de la raison d’être de la Camif lorsque nous sommes allés chercher de nouveaux clients : 80% de nos clients sont de nouveaux consommateurs, plus jeunes, résolument inscrits dans cette consommation responsable. Ils souhaitent donner du sens à leur achat (provenance, mode de production) et c’est ce que nous leur offrons, en étant transparent sur toute la chaine de valeur.

Nous voulions redonner le pouvoir au consommateur de choisir son produit en fonction du lieu de production, et en fonction de critères d’impacts sociaux et environnementaux. Aujourd’hui, nous allons jusqu’à mettre en avant le fabricant, faire des vidéos-reportage sur la fabrication, montrer l’origine des principaux composants…  Cette transparence est au centre de notre proposition de valeur. L’information et la sensibilisation autour de la consommation responsable sont au cœur de notre mission car nous sommes convaincus que c’est notre rôle en tant que distributeur.

 

“ La transparence est au cœur de notre proposition de valeur : nous voulons redonner le pouvoir au consommateur de choisir son produit en fonction de critères d’impacts sociaux et environnementaux. ” 

 

Comment as-tu réussi à engager et fédérer tes collaborateurs ?

À partir du moment où la mission est claire et qu’elle fait sens pour les collaborateurs présents et ceux qui nous rejoignent, elle éclaire chacun dans les décisions à faire chaque jour. Cela libère le management. Ainsi, je n’ai pas besoin de préciser à notre responsable informatique qu’il doit trouver des prestataires locaux pour héberger nos serveurs.

Les mieux placer pour traduire notre raison d’être en acte sont nos collaborateurs. Il faut cependant que certaines conditions soient remplies pour que cela fonctionne : le management par la confiance, l’acceptation de l’expérimentation et la culture entrepreneuriale, un management participatif et une gouvernance partagée.

 

En 2017 tu as lancé le Green Friday, en réponse au Black Friday, pourquoi cette démarche ?

Lorsqu’on défend une consommation responsable, cela me semble complètement incohérent de participer au Black Friday. Le fait de s’être adonné à l’exercice de la raison d’être et des objectifs statutaires a été déterminant, car grâce à tout ce travail en amont, cette décision était cohérente.  En 2017, lorsque j’ai annoncé, notamment aux actionnaires, que nous allions fermer le site le meilleur jour pour le e-commerce, cela a été assez mal compris : on se retrouve face à une réelle injonction contradictoire entre l’économique et le sociétal.

Nous avons voulu profiter de ce jour, qui est pour moi un paroxysme de la surconsommation, pour faire passer un message : il faut changer nos modes de consommation et il est possible de concilier fin du monde et fin du mois. En 2020, plus de 1000 sites e-commerce ont boycotté le Black Friday et ont pris ce parti pris.

 

Comment faire pour que cette consommation responsable soit accessible à tous  ?

Quand nous analysons les profils de nos nouveaux clients, on constate que ce ne sont pas des CSP+, qu’ils ne font pas partie des classes les plus aisées, et pourtant ils achètent des produits plus chers, car de meilleur qualité, fabriqués localement etc. Ils peuvent se le permettre car ces consommateurs font des arbitrages dans leurs achats : en ai-je vraiment besoin ? Est-ce que je peux le concevoir moi-même ? Est-ce que je peux le réparer ? Est-ce que je peux l’acheter d’occasion ? Ils ont développé une consommation plus mature, plus réfléchie, qui libère du pouvoir d’achat en consommant moins mais mieux.

Lorsqu’ils vont vouloir s’acheter un meuble neuf, nos clients vont porter leur attention sur le lieu de fabrication, les composants, l’impact de leur achat sur la santé, la nature… Ils se tournent vers nous car ils car ils privilégient une consommation plus durable et accessible, et c’est ce que nous leur proposons.

Aujourd’hui nous sommes absents du segment premier prix équipement (Ikea, Conforama etc…), qui représente plus de 50% du marché, car il est impossible de concilier premiers prix avec qualité et durabilité. Nous nous principalement à des acheteurs de plus de 30 ans.

 

Les entreprises vont-elles s’adapter à ce nouveau mode de consommation 

L’entreprise suit son marché et les aspirations et l’exigence croissante des citoyens, des consommateurs et des collaborateurs, qui sont au final les mêmes personnes. Se transformer est de leur propre intérêt et leur impact est majeur. En effet, une étude de Carbone 4 sortie en juin 2019, montre ainsi que si tous les citoyens adoptent les meilleurs pratiques en matière d’éco-geste, nous n’aurons fait que 25% du chemin pour nous rapprocher de la trajectoire 2 degrés : 75% du reste du chemin sont à faire par les entreprises.

De plus, les jeunes talents souhaitent aujourd’hui rejoindre des entreprises qui font sens, qui sont engagées. Ces talents sont de véritables leviers de performance pour une entreprise. Les entreprises qui vont s’engager sont celles qui seront les plus performantes. En tant que président de la Communauté des entreprises à Mission, j’observe que beaucoup de dirigeants sont en chemin vers cette voie, et heureusement, car tout le monde doit être acteurs de cette transformation et nous n’avons pas beaucoup de temps pour agir et inverser la tendance.

 

“ Les entreprises qui s’engagent aujourd’hui
seront les plus performantes demain. ” 

 

Pour finir, quels seraient tes futurs désirables ?

Je souhaite transmettre à mes enfants un monde qui soit soutenable, un futur viable et vivable.
On sort de 100 ans d’une économie linéaire, qui a, il est vrai, participé au progrès de notre société, mais qui a aussi créé un déséquilibre considérable. À nous de mener cette nouvelle révolution, de l’économie circulaire, locale et inclusive.
Je crois que tout cela revient, d’une certaine façon, à faire le pari de l’amour.

 

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