Rencontre avec Hamze Ghalebi, jeune responsable politique iranien, arrêté et emprisonné en 2009. Réfugié en France, il rencontre le réseau associatif Singa qu’il présidera pendant deux ans. Retour sur le début de carrière interrompue par l’exil.
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Comment ton arrivée à Paris s’est-elle passée?
Il faut savoir qu’en Iran, j’ai démarré une carrière politique. Après avoir suivi un Bac+4 en ingénierie électronique puis un master en Sciences Politiques, j’ai dirigé un think tank avant de devenir chef de campagne d’un candidat réformiste à la présidentielle. Une semaine après la crise qui a suivi les élections, j’ai été arrêté et emprisonné.
Quand je suis arrivée en France, il me manquait des choses essentielles.
Une fois traversée la frontière, mes talents de communication étaient considérablement diminués. J’étais incapable de tenir une simple conversation alors qu’un mois plus tôt, en Iran, j’étais speech writter d’un ancien premier ministre.
Ensuite, j’ai vécu une période de crise identitaire. En Iran j’étais activiste et entrepreneur. Une fois traversée la frontière, je suis devenu « iranien », « réfugié », « immigré ».
Plus encore, je ne me sentais pas appartenir à une société. Je n’appartenais plus à aucun « nous ».
Résultat, je me suis dit que mes compétences, mon réseau et mes expériences ne seraient jamais valorisés. J’ai enchaîné les petits boulots, travaillé dans une station essence.
J’en étais réduit au pragmatisme le plus absolu. La société me proposait juste de survivre. Impossible de me projeter dans l’avenir, de faire des projets.
C’est à ce moment là que tu as découvert SINGA?
J’ai découvert SINGA en essayant de rebondir par la création d’un cabinet de conseil. J’ai rejoint leur incubateur de projets dédié à l’économie de l’exil, FINKELA. J’ai découvert une communauté très diverse, constituée de femmes et d’hommes qui souhaitaient co-construire des choses ensemble. Ils m’ont d’abord proposé de reconstruire mon réseau personnel et professionnel, grâce notamment à différents programmes de mentorat.
Je me suis ensuite présenté à la présidence de SINGA parce que c’étaient à mes yeux la seule organisation capable de sortir de la logique d’assistanat social. Je voulais être sûre que les projets de la communauté allaient continuer de renforcer cette dynamique. J’ai été élu Président pour deux ans. J’ai depuis passé la main, même si je reste membre du conseil d’administration.
Quels ont été pour toi les principaux freins à l’insertion professionnelle ?
Je vous ai parlé de ma crise identitaire et de mes compétences relationnelles diminuées. Mais le principal obstacle, c’est le manque de capital social !
Le plus important ce ne sont finalement pas les compétences techniques, les savoir-être, ou un manque de capital financier. Tout cela peut se reconstruire, plus ou moins rapidement.
Reconstruire son réseau est en revanche incroyablement difficile !
En Iran, je n’avais pas conscience que ce que je construisais passait par un réseau de personnes qui me faisaient confiance et en qui j’avais confiance. Je ne l’ai compris qu’une fois la frontière traversée.
La clé de la réussite selon moi : ne jamais refuser une opportunité d’échange !
Qu’avez-vous mis en place à SINGA pour permettre à chacun de renforcer son capital social ?
Nous créons des opportunités de rencontres entre les publics. Le programme de « Buddy » crée des binômes autour d’un projet professionnel ou d’une passion commune. CALM n’est pas seulement un programme de logement, c’est un accélérateur de rencontres !
Nous avons développé récemment des ateliers de team building à destination des grands groupes. Pendant une journée, un entrepreneur hébergé au sein de notre incubateur présente son projet à une équipe d’une grande entreprise. Ensemble, ils travaillent sur ses défis stratégiques lors d’ateliers d’intelligence collective, d’égal à égal, avec une curiosité réciproque.
C’est le genre de journées qui changent profondément le regard des acteurs du monde économique sur les personnes réfugiées. C’est essentiel.
Pourquoi les programmes de mentorat sont-ils si importants ?
Ce sont deux mentors de SINGA qui ont changé ma vie. Le premier est un couple du réseau d’hébergement « Comme A La Maison ». Elle est avocate fiscaliste, lui chef d’entreprise. Ils m’ont accueilli chez eux pendant 3 mois. Le temps de me conseiller, de me mettre en contact avec leurs proches, de m’ouvrir des portes. J’ai par exemple appris à me présenter dans les milieux financiers (codes, coutumes).
Mon deuxième buddy travaillait dans les relations internationales. On se voyait une fois par semaine pendant 2 ans, au début pour parler de mon projet professionnel. Rapidement, nous sommes devenus amis. Maintenant, lorsque nous discutons, nous sommes deux experts. Dès qu’il rédige un article, c’est à moi qu’il l‘envoie pour le challenger.
La force des relations de mentorship, c’est que l’on crée rapidement un lien de confiance réciproque.
Je crois que les gens qui ont assez d’expérience professionnelle et qui ont bien réussi dans leur milieu auront grand plaisir à construire une relation de mentorat. Maintenant, je suis aussi mentor dans le réseau SINGA. Quel plaisir de sentir que tu peux apporter quelque chose avec simplement 20-30min de ton temps par semaine ! Ce n’est pas un investissement énorme pour une gratification immédiate : permettre à quelqu’un de réaliser ses rêves.
Et l’on ne sait jamais sur quoi cette relation va déboucher ! Prenez le cas de mon binôme, nous sommes en train de lancer un business ensemble !
Et les initiatives comme le disque « Les Voix de l’Exil », qu’apportent-elles?
En France, si tu es réfugiés, les gens ne t’écoutent pas, même si tu as des compétences à leur offrir. Le constat est dur, mais c’est ce que je ressens.
Lorsque j’ai développé mon entreprise de conseil en investissements, je ne voulais pas dire que j’étais réfugié.
La seule solution finalement pour être entendu est d’accepter l’image de misérabilisme associée au statut de réfugié. Quand tu es victime on t’écoute. Sauf que tu n’es pas pris au sérieux.
Nous avons besoin de ce type de projets pour montrer au plus grand nombre que les personnes réfugiées ont des talents, peuvent apporter à la société française. Il est essentiel de changer le regard.
POUR APPROFONDIR
7 minutes | Pour déconstruire les préjugés sur l’asile avec Alice Barbe, co-fondatrice de SINGA France.
En 1 heure | Regarder la websérie “Waynak” pour découvrir les initiatives qui répondent à la “crise” des réfugiés.
En 2 jours | Suivre la session « Décrypter les enjeux et les logiques émergentes » de l’ENGAGE University.
POUR AGIR
3h par mois | Accompagner une personne réfugiée en rejoignant le programme de mentorat ENGAGE with Refugees.
Une demi-journée | Animer un temps d’intelligence collective avec des entrepreneurs hébergés au sein de l’incubateur FINKELA.
Un week-end ou 3 mois | Accueillir chez soi une personne réfugiée, avec Comme A La Maison by SINGA.