Cécile Renouard, philosophe et économiste, est intervenue au dernier Débat&Action “Ethique & Bien Commun : radicalisme ou petit pas”, organisé avec la Fondation pour la Nature et l’Homme. Nous la retrouverons aux prochains ENGAGE Days.

Cécile, vous créez le Campus de la Transition, un lieu dédié à la formation à la transition écologique et sociétale. Un lieu qui résonne beaucoup avec l’ENGAGE University. Comment le décrire ? Quelle en est la mission ?

Le Campus de la Transition, créé en 2017, est à la fois un collectif, un lieu et un maillage : un collectif de personnes, de différents horizons (étudiants, professionnels, universitaires) passionnés par les défis écologiques, économiques et sociaux actuels et désireux de contribuer à une transformation de nos modèles économiques et de nos modes de vie. Plusieurs d’entre nous s’installent cet été dans le domaine de Forges, une belle propriété de Seine et Marne mise à notre disposition, après avoir été un collège et lycée horticole, avec un internat. Nous allons y proposer des formations, à destination d’étudiants et d’entreprises, et y développer une recherche-action, en nous mettant nous-mêmes en transition dans un territoire en transition ! Notre objectif est de collaborer avec les acteurs du territoire dans cette dynamique, et avec différentes institutions et organisations (universités en France et à l’étranger, entreprises, associations, etc.) et d’être des mailleurs, au service du lien social et écologique !

Vous plaidez pour une approche systémique, seule capable de faire face aux défis du siècle à venir – environnementaux, sociétaux, économiques. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

La transition n’est pas réalisable si elle s’adresse uniquement à la tête sans parler au cœur et au corps ; elle ne peut consister en un ensemble de normes qui s’imposent à nous de façon surplombante et contraignante. Nous désirons contribuer à écrire le récit vivant et inspirant de la transition, par des formations ‘holistiques’, incarnées et enracinées dans un territoire. Il s’agit donc aussi bien de proposer une compréhension des enjeux macro (économiques, écologiques, etc.), une réflexion sur les leviers de transformation et sur l’action sociale et politique nécessaire, une pratique personnelle et communautaire (dans les domaines agro-alimentaire, social, artistique, en termes de rythme de vie, etc.).

Vous venez de publier “L’Entreprise comme commun, au-delà de la RSE”. Vous nous confiiez récemment avoir voulu lui donner un titre plus provocateur “Pour en finir avec la RSE”. Devons-nous opter pour une démarche plus radicale pour réellement changer les choses ? Vous parlez notamment de la nécessité de faire émerger nouveau récit collectif ?

La RSE est encore souvent comprise comme ce qu’une entreprise fait au-delà de ce qui est prévu par la loi, un ensemble de pratiques philanthropiques à côté du cœur de métier. L’enjeu, comme le soulignent des documents internationaux depuis 2011, est bien d’intégrer la RSE dans la stratégie de l’entreprise et d’en faire le critère de discernement du développement – ou non – de l’activité économique : il est absurde de subventionner durablement des secteurs dont on sait qu’ils sont contradictoires avec la COP21. Il nous faut inventer des modèles économiques au service d’une vie de qualité pour tous, aujourd’hui et demain, et cela suppose de revoir très profondément nos métriques, nos instruments de mesure et d’évaluation : les normes comptables, les critères de partage de la valeur économique créée, les instruments fiscaux, etc. Cette révision des disciplines et pratiques de gestion est nécessaire pour transformer des règles du jeu injustes et mortifères. Elle sera attractive si elle est liée à des expériences faites par beaucoup d’une relation renouvelée à la convivialité, à la nature, à la beauté, à la gratuité et au partage. Et c’est urgent, compte tenu de la violence qu’exercent déjà nos modèles sur les personnes et les êtres plus vulnérables.  

Il s’agirait donc de considérer l’Entreprise comme un commun, elle-même au service de la cité et du Bien Commun ? 

Il s’agit de considérer le rapport de l’entreprise au commun d’une triple façon : l’entreprise doit a minima ne pas être contradictoire avec les représentations partagées du bien commun, du bien vivre, dans une société – c’est pour cela qu’une révision des articles 1832 et 1833 du code civil, qui définissent la société commerciale, est nécessaire. Ensuite, l’entreprise doit contribuer pour sa part, en fonction de son activité, à la gestion durable et équitable des biens communs mondiaux, ces biens auxquels toute personne devrait avoir accès. Et elle est appelée à promouvoir une activité en commun, en tant que collectif de personnes, et en tant qu’organisation impliquée avec d’autres dans une praxis collective, au service du développement des individus.
Quel conseil pour demeurer confiant aujourd’hui dans cette complexité parfois synonyme d’angoisse ?
Aucun de nous n’est le sauveur ! Mais chacun de nous peut faire sa part, avec d’autres, pour donner sens à son existence et contribuer à faire advenir des structures plus solidaires. Cela suppose un discernement personnel et collectif, qui puise dans nos ressources spirituelles et éthiques, et qui donne du goût à nos vies et de l’élan pour poursuivre le bon combat pour la justice sociale et écologique. Ensemble, nous pouvons !
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