La deuxième session du programme Transitions de l’Engage University portera sur les nouvelles formes de gouvernance. Avec Loïc Blondiaux, professeur de science politique à l’Université Paris I – La Sorbonne (également présent aux ENGAGE DAYS #4), nous parlerons de la crise de notre système démocratique. Petite mise en bouche de sa prochaine intervention…

  1. La démocratie est-elle, selon vous, en crise ? 
    Elle l’est évidemment, et le constat me semble de plus en plus largement partagé.
    Les symptômes de cette crise sont multiples : défiance des citoyens à l’égard de leurs élites politiques, impuissance publique généralisée face aux défis environnementaux qui nous menacent, emprise des acteurs économiques sur le pouvoir politique, montée des populismes d’extrême droite, dégradation accélérée de la qualité du débat publique… Certains auteurs, comme Colin Crouch, évoquent la période actuelle comme un passage de la démocratie à un autre type de régime, la « post-démocratie», dans lequel la capacité des citoyens à influencer les politiques serait quasiment réduite à néant. Sans aller jusqu’à suivre cette analyse, il faut constater que les régimes démocratiques n’ont, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, jamais paru aussi fragiles et leurs adversaires (technocrates, démagogues, fondamentalistes identitaires…) aussi puissants.2. Pourquoi la société civile croit-elle de moins en moins en notre système politique ? Jusqu’à ces dernières années, il pouvait sembler que les institutions des démocraties représentatives contribuaient à la fois à gouverner efficacement nos sociétés et à refléter sans trahir la volonté des populations. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, elles suscitent une double défiance : quant à leur capacité à résoudre les problèmes et à représenter correctement les citoyens. L’élection ne suffit plus à elle seule à légitimer les décisions des gouvernants. C’est d’abord une bonne nouvelle. La critique est une vertu plus démocratique que la déférence et les citoyens ne sont jamais apparus autant capables d’interpeller et de remettre en cause les discours et les actions de leurs gouvernants. Cela peut se transformer aussi en cauchemar : dès lors que cette défiance se transformer en rejet pur et simple de tout affirmation d’autorité en provenance des élites, de toute représentation. Cela fait le lit de tous les populismes et de toutes les démagogies.

    3. Un de vos ouvrages s’intitule Le nouvel esprit de la démocratie, qu’entendez-vous par « nouvel esprit » ?
    J’entendais alors, lorsque j’ai écrit ce livre, la montée en puissance d’un « impératif participatif » dans nos démocraties au sens où celle-ci n’ont cessé de multiplier en particulier depuis les années 2000 les dispositifs visant à associer, de façon plus ou moins directe, les citoyens ordinaires au processus de décision. Ce mouvement n’a pas cessé depuis lors. Budget participatif, jurys citoyens, conseils de quartier, consultations numériques … le nombre et le niveau de sophistication de ces dispositifs participatifs ne cessent d’augmenter. Leur présence, dans le prolongement des institutions traditionnelles de la représentation, peut être analysée comme l’une des réponses données par les gouvernants au procès en illégitimité qui leur est fait. Mais il faut souligner que ce mouvement vers plus de participation s’accompagne d’autres évolutions qui vont à l’inverse dans le sens d’une moindre possibilité d’influence des citoyens sur la décision et d’une main-mise croissante de la sphère économique sur la sphère politique, via différents groupes d’intérêt qui imposent leur logique. D’un côté le processus politique semble s’ouvrir, de l’autre il se referme et se pose aujourd’hui la question de qui gouverne réellement : les citoyens via leurs représentants ou les entreprises, les marchés et les banques via leurs lobbys, leurs experts et les politiques qu’ils ont sous leur coupe.
    4. Croyez-vous en l’émergence d’un autre système démocratique ?
    La possibilité  de remplacer du jour au lendemain les élections et la représentation par le tirage au sort ou par une fédération de conseils ou d’assemblées ne me semble ni envisageable ni souhaitable au fond. Ouvrir la représentation politique à de nouveaux acteurs ; multiplier les possibilités pour les citoyens de contrôler, de contribuer, d’interpeller ;  mettre en place des instances tirées au sort ; faire en sorte que tous les citoyens impliqués par une décision puissent participer à son élaboration ; obliger les élus à rendre des comptes ; concevoir différemment l’exercice du pouvoir au sein des organisations ; donner aux plus faibles la possibilité de s’organiser pour se faire entendre ; dé-professionnaliser le métier politique ; réformer ou réécrire la constitution avec la participation du plus grand nombre : tout cela, et beaucoup d’autres choses encore me semblent compatible avec l’élection et la représentation. C’est en cela qu’une autre démocratie et possible.