Thomas Landrain, intervenant à l’ENGAGE University, est un chercheur en biologie synthétique. Il est aujourd’hui un entrepreneur et un porte-parole reconnu pour la création d’écosystèmes scientifiques et d’innovation ouverts, inclusifs et collaboratifs, convaincu qu’il n’y a pas de monopole sur les grandes idées.

Vous lancez un nouveau projet, Just One Giant Lab (JOGL). En quoi consiste-t-il ?
Il y a 7 ans, alors encore jeune chercheur académique en biologie synthétique, je montais un des premiers biohackerspaces au monde, La Paillasse, dans le but d’expérimenter sur ce que peut être un laboratoire ouvert de recherche à l’ère du numérique, du prototypage rapide et des communautés. Mon objectif n’a pas changé, mais alors que La Paillasse s’est révélée être une partie de la solution, sa capacité d’action reste locale. L’enjeu sur le long terme est de développer une véritable alternative ouverte et inclusive au modèle académique de la recherche, autant au niveau local que global, qu’elle soit créatrice de connaissance ou d’innovation.

Comment permettre une collaboration à l’échelle planétaire sans discrimination ? Les expérimentations et observations que nous avons réalisées ces dernières années avec le laboratoire La Paillasse, le programme Epidemium, ou le projet CommonGround, nous ont montré qu’il était envisageable d’imaginer des moyens de faire progresser la science et les buts de développement durable de l’ONU de manière massivement collaborative, tout en offrant l’opportunité à chacun de s’émanciper à travers leur contribution intellectuelle et pratique sur des projets impactant portés, par exemple, par des chercheurs, des ONGs, des entrepreneurs sociaux ou des artistes. Mais pour cela, il fallait réinventer à nouveau ce que peut être un laboratoire et ce qui peut s’y passer.

Avec mes co-fondateurs de JOGL, nous ne voulions donc pas créer un autre laboratoire ouvert supplémentaire. Je m’explique. Nous pensons que demain ce ne seront plus seulement les grandes entreprises et les institutions publiques mais aussi les communautés qui initieront et conduiront les grands projets et travaux de l’humanité. Malheureusement les institutions de recherche et de développement sont incapables aujourd’hui de travailler à une échelle communautaire. Les communautés sont des objets trop flous et dynamiques. Il nous faut donc repenser ce qu’est un institut de recherche et d’innovation, de manière à le rendre plus inclusif, participatif et mobilisateur. En effet, ce n’est pas parce que vous n’êtes pas chercheur académique que vous ne pouvez pas contribuer à ou même initier un projet scientifique. C’est juste que personne ne vous en donne l’opportunité. JOGL se veut ainsi le premier institut de recherche et d’innovation entièrement ouvert (tout le monde peut contribuer) et distribué (pas de gouvernance centralisée), sans espace physique, fonctionnant comme une plateforme de mobilisation sur des programmes massivement collaboratifs.

Que peut-on attendre de la science ouverte, qui est le fondement de JOGL ?
La science est l’un des outils les plus puissants à la disposition de l’Homme pour nous laisser prendre contrôle de notre destinée.

Au-delà de leurs résultats, la science et la recherche de manière générale sont avant tout des pratiques puisant dans notre curiosité et notre émerveillement pour l’ordre des choses nous entourant. L’enjeu de JOGL est d’accélérer la recherche et l’innovation en stimulant cet appétit présent naturellement en chacun de nous. Une autre manière de voir les choses est que nous cherchons à aider l’humanité à se synchroniser pour résoudre nos problèmes les plus importants et urgents par la science ouverte, l’innovation responsable et l’apprentissage continue. Pour y parvenir nous mettons au point des programmes de recherche participatifs et donnons l’opportunité à chacun de pouvoir contribuer à l’avancée de projets d’intérêt général, et où toute production est en accès libre. Voyez ici une sorte de Wikipédia de la science et de l’innovation.

Comment un ‘simple citoyen’ peut-il s’emparer de ces avancées, s’approprier ces nouveaux modèles contributifs dans ses propres responsabilités ?
A cœur vaillant, rien n’est impossible. Il s’agit ici de mettre les citoyens à la portée de la science et de l’innovation, et pas l’inverse, car cela aurait pour effet de limiter leurs contributions possibles à des problèmes simples. L’objectif est aussi de mettre chacun fasse à ses limites et de les aider à les dépasser par l’apprentissage, la pratique et la détermination. Enfin, nous fabriquons un environnement où chacun peut y trouver une activité à sa hauteur et correspondant à ses motivations. Ainsi, un.e chercheur.se va trouver de nouveaux collaborateurs, une ONG des capacités de développement de solutions ouvertes adaptées à sa mission, un.e étudiant.e une manière de valider ses compétences tout en pratiquant sur des projets à fort impact, un.e professionnel.le une nouvelle manière de donner du sens à son expertise, un.e patient.e une relation directe avec des acteurs engagés sur sa pathologie, un.e agriculteur.rice une communauté lui permettant de partager ses expérimentations, une fondation ou une entreprise de pouvoir collaborer avec un paysage d’acteurs beaucoup plus large et diversifié. Et si un sujet vous passionne mais que vous ne trouvez pas de manière de contribuer, voilà une magnifique motivation pour apprendre de nouvelle choses !

Les assises de la bioéthique viennent de s’ouvrir. Vous êtes biologiste de formation, qu’en attendez-vous ? Quels sont pour vous les enjeux majeurs aujourd’hui ?
Nous vivons dans un monde en plein bouleversement. La révolution numérique, aux effets déjà largement visibles, en appelle une autre plus discrète pour le moment mais dont les conséquences pourraient être encore plus transformatrices : les biotechnologies. Celles-ci exaucent jour après jour les fictions d’hier et les font advenir dans le réel, pour le meilleur et pour le pire. Notre compréhension du vivant est en effet en passe de modifier l’ensemble de notre vie. Il sera par exemple bientôt possible de ressusciter des espèces disparues, d’en faire disparaître ou d’en créer de nouvelles. Grâce aux nouvelles générations de thérapie génique, il est déjà possible de prélever les cellules d’un organe malade d’un patient et de les réimplanter avec des fonctions corrigées, et ainsi de rendre la vue à un aveugle ou de guérir des maladies rares considérées incurables. On se demandera alors comment vivre dans un monde où l’on peut faire Ctrl Z, Ctrl X, ou Ctrl N avec la vie. Nous sommes en passe de vivre une transformation majeure des capacités de contrôle, de correction et de design de l’Homme sur son propre corps et sur la Nature. Les assises de la bioéthique arrivent à point nommé car les nouvelles biotechnologies apportent beaucoup de germes d’espoir pour étendre les capacités thérapeutiques de la médecine, pour développer des bio-alternatives à la pétrochimie des matériaux ou pour développer des solutions de production alimentaire renouvelable et durable. Mais au-delà des belles promesses se posent les questions d’accessibilité de ses solutions et de leur encadrement. Dans un monde où les capacités de contrôle diffèrent fortement en fonction des pays, le principal enjeu des assises française de la bioéthique sera de définir la vision et les valeurs françaises sur cette révolution, avec pour effet de potentiellement éclairer d’autres pays sur leur propre encadrement national.

Finissons sur une note délibérément optimiste, quelles sont les raisons d’espérer un avenir meilleur ?
Toutes les avancées scientifiques et technologiques évoquées précédemment n’auront que peu d’effet positif si nos sociétés les encadrent mal et laissent peu de place à l’émancipation intellectuelle et civique.

Je suis d’un naturel optimiste mais si je devais donner une des plus belles preuves permettant de croire en un avenir meilleur ce serait la réaction des écoliers américains face aux institutions de leur pays pour contrecarrer l’épidémie insatiable de tueries dans leurs écoles. Jusqu’à présent, aucun politicien ou ONG n’avait réussi à faire plier la puissante National Riffle Association. Le vent est dorénavant en train de changer. Le numérique a considérablement élargi les moyens d’émancipation intellectuelle et sociale à ceux qui le souhaitent. Associé à une capacité naturelle humaine à s’engager dans de la désobéissance civile, nous allons vers une société probablement plus instable mais plus alerte. Et cela tant que nous n’aurons pas implémenter des alternatives à nos modèles d’intégration, d’équité des chances, de gouvernance et de consommation non-durable de ressources naturelles. Notre monde est en mouvement, c’est suffisant pour espérer. Maintenant espérer ne suffit pas, il faut agir ! Et les moyens ne manquent pas.