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Maylis Portmann est facilitatrice en intelligence collective. Elle dirige les programmes au sein d’ENGAGE. 

 

Bonjour Maylis, peux-tu te présenter ?

Depuis une dizaine d’années j’accompagne des entrepreneurs à impact et je suis facilitatrice en intelligence collective. Je suis aujourd’hui directrice des programmes au sein d’ENGAGE, c’est-à-dire que je conçois et je mets en œuvre nos différents parcours d’accompagnement selon l’audience (organisation, citoyen, école, entreprise…). Je suis garante du contenu pédagogique pour permettre à tous les participants de monter en compétences sur les défis du 21eme siècle et de passer à l’action, à leur échelle.

 

Quels sont les principaux enjeux des conversations citoyennes à une époque comme la nôtre ?

Je ne vais volontairement pas parler de fond car dans le contexte actuel, il y a aussi et surtout des enjeux de forme. Nous sommes de plus en plus connectés et donc forcément de moins en moins disponibles pour des temps de rencontres dans la vie réelle. La COVID n’a fait qu’accélérer cette tendance. Une fracture s’est créée. Certaines personnes n’ont eu aucune interaction sociale pendant près de deux ans en dehors de leur réseau existant. L’autre problématique que pose les réseaux sociaux, c’est la réduction de nos sources d’information. Nous sommes connectés à des personnes que l’on connait qui connaissent des personnes que l’on connait et de fait, finalement assez peu confrontés à d’autres expériences et à d’autres points de vue…

‘La transition de la société ne se fera que si l’on garde et nourrit une curiosité vis-à-vis de l’autre, que si l’on continue à penser en démocratie avec les autres.’

 

En quoi les dialogues citoyens participent-ils à la transition de la société ?

La transition de la société ne se fera que si l’on garde et nourrit une curiosité vis-à-vis de l’autre, que si l’on continue à penser en démocratie avec les autres. C’est en agissant collectivement que l’on pourra réellement faire évoluer la société. La compréhension et la connaissance de l’autre, et en particulier celui dont on est éloigné de par nos activités et notre réseau, en sont les clés. J’ai lu une phrase qui m’a particulièrement marquée l’autre jour : « Liberté, Egalité, Fraternité : pas de liberté sans respect des limites planétaires, pas d’égalité sans communs désirables et partagés et pas de fraternité sans prise en compte du vivant. » Ce sont trois notions très fortes sur lesquelles je m’engage à titre personnel et au sein d’ENGAGE.

 

Justement comment tout cela se met-il en place à ENGAGE ? 

Parmi les missions d’ENGAGE, il y a une volonté forte de réconcilier notre dimension citoyenne et professionnelle, que l’on soit salarié, indépendant, entrepreneur, dirigeant. C’est aussi pendant les heures travaillées que l’on peut et que l’on se doit d’agir ! Nous travaillons sur les défis environnementaux et sociaux avec des citoyens donc, pour contribuer à la transition de la société, mais aussi avec des organisations, des entreprises, des pôles d’enseignement ou des collectivités. Et dans ces organisations, c’est aussi avec des citoyens que nous travaillons…

 

Comment se déroulent les défis citoyens ?

Ils sont choisis par la communauté. Ils permettent à tous de s’impliquer concrètement dans un enjeu social ou environnemental que nous estimons collectivement fondamental. Le défi citoyen en cours, « Replacer l’économie au service du vivant » met la biodiversité à l’honneur, pour en comprendre ses enjeux et ses interrelations avec l’économie et l’entreprise. Et la replacer au cœur de nos actions.

Notre démarche est participative et citoyenne. Un défi citoyen commence toujours par une consultation massive de citoyens en amont, se poursuit par de l’expérimentation en intelligence collective pour permettre l’émergence de projets concrets et leur mise en action. Les citoyens sont sollicités pendant les différentes phases du processus. Ils peuvent aussi venir travailler avec nous en tant qu’Explorateurs, proposer leurs compétences et apporter leurs connaissances pour s’engager plus fortement encore.

‘Place du dialogue permet à des gens qui se croisent sans se voir, de se parler. Le mouvement contribue à diffuser dans notre société une culture du dialogue respectueuse de chacun.’

 

A titre personnel, tu participes au projet Place du dialogue. En quoi consiste-t-il ?

L’ambition est de proposer un espace de dialogue facilité, dans l’espace public, pour permettre à des citoyens de venir échanger pendant 30 minutes sur une thématique prédéfinie et qui les concerne tous. Nous souhaitons permettre à des gens qui se croisent sans se voir, de se parler. Et ainsi contribuer à diffuser dans notre société une culture du dialogue respectueuse de chacun. Le mouvement a pris forme pendant l’entre-deux-tours des présidentielles. Quelques facilitateurs professionnels, dont je fais partie, ont décidé de donner de leur temps pour animer des conversations dépassionnées, puisque l’objectif ici n’est pas de débattre ni de tomber d’accord, mais de mieux se comprendre, d’être écouté et d’écouter pour apprendre de l’autre. Pour notre première, nous nous sommes installés sur La Place de la République à Paris :  l’endroit rêvé car c’est un lieu de brassage de classe sociale, d’âges différents, qui se croisent sans rarement se parler. Nous avons matériellement créé un espace entre des arbres où des tabourets en carton invitent des gens à venir s’assoir autour d’un sujet. Lors de la première date le thème choisi était : comment je vis cette période particulière des élections présidentielles ? L’initiative s’est rapidement étendue dans sept villes de France, portées par bénévoles qui lancent des nouvelles places du dialogue dans leur ville. Elles ont lieu les 3eme jeudi du mois, de 19h à 21h.

 

Qu’en retires-tu ? Une rencontre qui t’a particulièrement marquée… ?

C’est assez puissant de simplement s’assoir avec une personne inconnue. Le format est intéressant puisqu’il s’agit de s’autoriser 30 minutes de pleine présence, sans téléphone ni distractions. Comme nous ne connaissons pas les uns les autres, il n’y a ni enjeux, ni jeu de rôles. C’est à la fois simple et touchant. On fait toujours de belles rencontres.

Plusieurs d’entre elles m’ont marquée comme cette rencontre avec un Français originaire d’Afrique de l’Ouest qui a partagé, avec un très grand respect, son ressenti face à la montée de l’extrême droite et la façon dont il s’est senti mis à la porte de son propre pays. Ou encore cette personne qui revient voir le facilitateur en fin de séance avec un café que la soupe populaire venait de lui servir, pour le remercier. C’est à ce moment-là que nous avons compris qu’il avait participé à un cercle d’échange alors qu’il attendait de pouvoir prendre son repas. Si l’on parvient pendant ces temps à réunir et faire échanger une personne qui attend la soupe populaire, une mère de famille, un professionnel et une ado, alors nous aurons réussi.

 

Il semblerait que ces démarches fleurissent dans les villes. Quels sont tes conseils en tant que facilitatrice pour mener à bien ces actions ?

Il y a déjà l’importance du cadre et des règles du jeu, elles sont simples et essentielles.  Ce sont des règles issues des cercles de dialogue, un outil très utilisé en facilitation. Il faut y aller en confiance et oser la rencontre.

 

Et tes futurs désirables, quels sont-ils ?

De pouvoir replacer le lien à l’autre et au vivant au cœur de nos vies et de nos sociétés pour que demain nous puissions réapprendre à nous nourrir de ces relations, et ainsi à limiter notre consommation pulsionnelle et compensatoire.

 

Interview réalisée par Justine Villain