Olivia Blanchard est co-fondatrice et Présidente de l’association des Acteurs de la Finance Responsable. Elle est également experte en conformité bancaire et fondatrice du cabinet LiveConsulting.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Olivia Blanchard, et je travaille en finance de marché depuis 15 ans. Mon métier aborde tout ce qui est relatif à la réglementation financière (lutte contre le blanchiment, fraudes et corruption). Je suis également consultante indépendante depuis 6 ans, j’accompagne des sociétés de gestions, des fonds ou des entreprises à mettre en place leurs dispositifs de conformité. Et depuis 3 ans et demi, je suis co-fondatrice et Présidente de l’association des Acteurs de la Finance Responsable.
Quelle serait votre définition de “finance responsable”, qu’est-ce que cela implique ?
La finance responsable, c’est une finance qui sert à financer le vivant, donc l’Homme et la Nature. Cette finance prend conscience du pouvoir qu’elle représente face aux enjeux sociaux et environnementaux. Elle prend la responsabilité de son propre pouvoir : être un acteur majeur du changement.
L’AFR a réalisé une vidéo plus complète sur le sujet :
Concrètement, quels outils de mesure existent aujourd’hui pour établir et définir ce que sont les activités économiques vertueuses ?
C’est là tout le nerf de la guerre : oui des outils de mesure existent, la donnée ESG par exemple. Mais finalement, les agences de notation extra financières créent elles-mêmes leurs propres méthodologies d’analyse…
Sur les données climatiques, on arrive à avoir un peu plus de visibilité et le cadre commence à devenir plus commun, mais le véritable défi repose vraiment sur tout ce qui est relatif à la biodiversité, car on manque cruellement de données et de cadre de référence. La biodiversité sort totalement du cadre de compétences des professionnels du secteurs et touche davantage à des compétences de scientifiques et d’ingénieurs, liées au vivant et aux espèces.
Côté réglementation, quelles lois encadrent ces investissements ?
Globalement ils sont encadrés par le pacte vert Européen, créé en 2018 et se déclinent autour de quatre réglementations.
- La première, qui est vraiment la pierre angulaire, s’appelle la taxonomie et pourrait être comparée à un dictionnaire de la durabilité.
- Ensuite, vient la réglementation SFDR, une directive qui s’assure de la transparence des informations transmises par les investisseurs à leurs actionnaires et épargnants et qui repose sur une classification des fonds en Articles 6, 8 ou 9.
- La troisième est MIFID II, qui a été revue pour intégrer les préférences des épargnants en matière de durabilité.
- Et la dernière, CSRD, qui vient augmenter les obligations de reporting des entreprises.
Pourtant, des failles existent, et des projets pas ou peu alignés aux enjeux environnementaux et sociaux se voient financés par des fonds destinés à soutenir la transition. Comment expliquer ces failles et comment les éviter ?
Je pense que ces failles s’expliquent majoritairement par un manque de compréhension du système financier, qui s’est toujours basé sur la notation extra-financière (les critères ESG). Pourtant, ces critères ne sont pas du tout du même ordre que les notions de durabilité sous-jacentes à la taxonomie.
À titre d’exemple, des secteurs comme celui des énergies fossiles ont une notation extra-financière ESG, par contre ce ne sont pas des secteurs durables au sens de la taxonomie Européenne.
Finalement, nous sommes en pleine transition : celle du monde de l’investissement socialement responsable, vers un monde où il faut intégrer cette notion de durabilité, difficile à appréhender.
Quant aux actions à mettre en place, il faut garder en tête que la finance est liée aux entreprises, à l’industrie. Si vous financez une entreprise vertueuse, forcément votre fond sera vertueux. Mais si nous devions dès aujourd’hui prendre l’ensemble de la masse monétaire existante et la rediriger uniquement vers des entreprises vertueuses, ce serait impossible.
Donc le sujet, c’est de se demander comment les acteurs financiers peuvent être acteurs du changement en tirant vers le haut les entreprises dans lesquelles ils investissent, mais aussi, comment les entreprises elles-mêmes, doivent revoir leurs modèles économiques, pour être en accord avec cette transition.
Finalement, nous sommes en pleine transition : celle du monde de l’investissement socialement responsable, vers un monde où il faut intégrer cette notion de durabilité, difficile à appréhender.
Au niveau des banques grand public, l’offre de banques vertes s’est largement élargie ces dernières années, qu’en pensez-vous ?
Tant que l’on peut verdir l’existant, je pense que l’on ne peut que saluer l’initiative.
En revanche, seul le temps pourra confirmer ce modèle, car aujourd’hui, ces banques ne sont pas autonomes et sont indexées sur des systèmes financiers existants.
L’autre limite imposée par leur caractère nouveau, est qu’elles ne proposent pas les mêmes produits financiers qu’une banque classique. Mais le temps fera qu’elles prendront de plus en plus d’ampleur et je suis convaincue que les consommateurs tendent à aller vers ces systèmes, vers ces banques qui n’ont pas juste un logo peint en vert.
Tous ces chamboulements législatifs, réputationnels, vont faire évoluer les métiers et de nouveaux emplois vont naître au sein du secteur financier. Quels seront-ils et quelles seront les compétences et connaissances liées à ces changements ?
Je ne sais pas si on peut vraiment parler de nouveaux métiers, bien sûr, certains se sont créés, notamment au niveau de la RSE ou de l’analyse ESG.
Selon moi, la seule façon de parvenir à impulser le changement, c’est d’estomper le clivage entre les métiers de la RSE et les autres métiers. Nous y serons parvenus quand la finance responsable ne sera pas un métier différent, mais quand ce sera une compétence intégrée dans l’ensemble des métiers existants.
Il faut que les gens se forment à la finance responsable, et comprennent comment, à leurs niveaux actuels, ils peuvent être acteurs de cette finance.
Et enfin, Olivia, quels sont vos futurs désirables ?
J’espère vraiment un éveil des consciences, et pas seulement dans la finance !
Il faut que nous prenions conscience, au quotidien, de nos responsabilités pour pouvoir changer les choses et aller vers ce nouveau monde qui nous appelle. Vivons en paix et en harmonie avec le vivant, et non pas contre lui.