Les populations de truites, et en particulier de truites fario, pour les connaisseurs, s’effondrent, décimées par l’élévation de la température des rivières, la pollution des eaux, le remembrement et l’appauvrissement des écosystèmes, les espèces envahissantes et en particulier les écrevisses américaines.
Ce constat alarmant et tellement triste pour les amoureux de ce poisson emblématique de nos rivières illustre l’effondrement plus général de la biodiversité et les cinq causes qui le provoquent : le changement d’usage des terres et des mers, la surexploitation de certains organismes, le dérèglement climatique, la pollution des eaux, des sols et de l’air, la propagation des espèces envahissantes.

La situation est critique et nous le savons presque tous désormais, tant les articles et les prises de paroles se succèdent, enfin, dans les médias, les conférences.

Alors, doit-on baisser les bras ? La situation est-elle irrécupérable ?

Non, car les écosystèmes terrestres ou marins peuvent se régénérer, comme le démontre la création d’une réserve de biodiversité par le photographe Sebastião Salgado et sa femme au Brésil. En seulement 20 ans, 700 hectares régénérés avec plus de 300 espèces de végétaux, 150 espèces animales, 30 espèces de batraciens…sur la terre héritée de son grand-père, devenue aride à cause de l’agriculture bovine intensive.

La réserve du Minas Gerais au Brésil

Nous le savons aussi, l’économie et les entreprises sont à l’origine d’une très grande partie de cet effondrement. Et elles ont aussi les leviers, par construction, pour atténuer leur impact et contribuer à la restauration des écosystèmes. L’heure n’est plus de nous interroger sur le pourquoi mais à nous mettre en action pour travailler sur le comment. Comment réduire cet impact ? Comment contribuer à la restauration des écosystèmes ?

Que faire donc et comment agir efficacement à la hauteur de l’enjeu, telle est la seule question qui prévaut désormais.

Il s’agit de comprendre les racines du problème puis de transformer l’économie et les entreprises pour en faire des alliés du vivant, des entreprises restauratrices.
Comprendre, cela veut dire d’abord se former pour saisir les enjeux. Cela veut dire ensuite analyser ses dépendances et ses impacts.

Transformer, cela signifie réduire ses interrelations avec le vivant, comme premier pas ; cela signifie ensuite repenser son modèle d’affaires en privilégiant, par exemple, une économie d’usage ; cela signifie enfin, et il s’agit sans nul doute de l’étape la plus complexe, rediriger ou renoncer à certaines activités trop néfastes.
Bref, replacer l’entreprise au service du vivant, cela veut dire réinventer l’entreprise, pour son bien et celui de la planète. Oui, pour son bien, car ces transformations sont les conditions de sa résilience. Face aux risques, nouveaux et de plus en plus intenses qui l’entourent, opérationnels, de marché, financiers, réglementaires, réputationnels, une entreprise qui ne se transforme pas se condamne, à court ou moyen termes, selon les secteurs.

L’entreprise et l’économie sont donc à un moment pivot de leur histoires

C’est bien d’un changement radical dont nous parlons. L’entreprise doit opérer sa mue et abandonner certaines croyances, certaines certitudes, certains réflexes pour devenir restauratrice.

Elle doit se muer en organisation apprenante tout d’abord pour faire entrer, en son sein, de nouvelles connaissances, de nouveaux savoirs fondamentaux, dont elle était auparavant éloignée, les sciences du vivant par exemple.
Elle doit se muer en organisation participative voire, osons le mot, démocratique, pour que tous ses collaborateurs et décideurs, à tous niveaux hiérarchiques, participent à sa refonte, car les solutions sont au croisement des enjeux opérationnels et stratégiques, des activités et des métiers.
Elle doit se muer enfin, en organisation ouverte, car c’est avec l’ensemble de ses parties prenantes, en relation constante avec son écosystème de partenaires, fournisseurs, acteurs publics, citoyens, associations, qu’elle pourra définir des actions pertinentes, en relation avec son territoire.

Cette trajectoire de réinvention est sans aucun doute une aventure passionnante pour l’entreprise, à même d’entraîner l’adhésion de ses collaborateurs, de replacer ses actions au cœur de la société et d’en faire un lieu de confiance et d’engagement lorsque d’autres acteurs de la société ou corps intermédiaires se disloquent.

Pour en savoir plus :

Géo – La réserve de Sebastiã Salgado au Brésil
Salamandre – Pourquoi les truites disparaissent-elles ?

Pour aller plus loin :

– Suivre notre atelier Mission Biodiversité : https://lnkd.in/eJb2zJ35
– Suivre notre Mooc Biodiversité : https://lnkd.in/eTXq7iUE
– Participer à notre formation Action Biodiversité : https://lnkd.in/e93iX_WZ
– Engager votre entreprise dans un Défi Transition : https://lnkd.in/e3Q9eek9

Taxonomie, CSRD, Accords de Kunming… Ces dernières semaines, l’évolution de la réglementation Européenne sur les enjeux environnementaux, et plus spécifiquement de biodiversité a fait couler beaucoup d’encre. Quand certains qualifient ces avancées de réelle révolution, d’autres les jugent trop peu ambitieuses. Mais finalement, quels sont les grands axes de cette nouvelle législation ? Sur quoi se fonde-t-elle ? Quelles nouvelles obligations en découlent ? Le point.

L’accord historique de la COP15

Le 19 décembre 2022, 196 pays adoptaient un nouvel accord historique dans le cadre de la COP15 Biodiversité à Kunming.

Son objectif ? Fournir une trajectoire d’action internationale à la hauteur de l’urgence pour faire oublier l’échec des accords d’Aichi. Le résultat ? Un cadre mondial pour la biodiversité, qui comprend 4 objectifs de long-terme (2050) et 23 cibles pour l’action (2030).

Parmi elles, la cible 15 a retenu l’attention des acteurs économiques. Cette dernière implique les états à prendre des mesures juridiques, administratives ou politiques pour inciter les entreprises, et plus particulièrement les multinationales et les institutions financières, à :
– Contrôler, évaluer et divulguer régulièrement et de manière transparente leurs risques, dépendances et impacts sur la biodiversité.
– Fournir les informations nécessaires aux consommateurs pour promouvoir des modes de consommation durables.

Bien qu’il s’agisse ici d’incitation et non d’obligation, cette mesure fait date. C’est la première fois qu’un accord international vise directement les acteurs financiers et économiques. D’autres cibles concernent indirectement les entreprises, notamment la 16 qui vise à réduire l’empreinte mondiale de la consommation. Si ces avancées représentent un enjeu de taille pour les entreprises, elles répondent aussi à une vraie attente des sphères économiques et financières. En amont de la COP15 et à travers la campagne #MakeItMandatory, plus de 400 entreprises avaient sollicité les négociateurs pour rendre des exigences de reporting obligatoires.

La CSRD : le pari ambitieux de l’UE

C’est là qu’entre en jeu la fameuse directive sur le reporting environnemental, social et de gouvernance des entreprises, plus connue sous le nom de “CSRD”, pour “Corporate Sustainability Reporting Directive”. Adoptée en décembre 2022, avec pour objectif de normaliser l’information extra-financière, cette directive introduit pour la première fois une obligation de reporting et de vérification d’informations normées en matière de durabilité pour plus de 50 000 entreprises européennes. Ce reporting devra de surcroît s’inscrire dans le principe novateur de ” double matérialité ” : une entreprise devra aussi bien identifier les impacts, risques et opportunités que la société et l’environnement ont sur elle, que les impacts (négatifs et positifs) qu’elle peut avoir sur eux. La CSRD vient compléter les avancées de la Taxonomie verte, du Green Deal et de la SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), et il est désormais admis que l’entreprise doit répondre à des intérêts que l’on peut qualifier de généraux et non simplement privés.

Contrairement à ce qui était prescrit par l’EFRAG, l’organe européen spécialiste de l’information financière, la Commission Européenne a considérablement revu à la baisse l’ambition initiale de la CSRD dans ce projet.

Entre espoirs et désillusions

Pour être opérationnelle, la CSRD s’appuie sur une série de normes et d’indicateurs (ESRS) qui visent à standardiser les déclarations non financières. Leur contenu et les modalités de leur application ont été dévoilés dans un projet d’acte délégué publié en juin par la Commission Européenne.

Contrairement à ce qui était prescrit par l’EFRAG, l’organe européen spécialiste de l’information financière, la Commission Européenne a considérablement revu à la baisse l’ambition initiale de la CSRD dans ce projet. Le principal recul est le renoncement à rendre obligatoire la divulgation d’indicateurs clés, qui est maintenant conditionnée à une analyse de matérialité. En d’autres termes, il appartiendrait aux entreprises, avec leurs consultants et leurs conseillers, de déterminer ce qui est important ou non de divulguer.

De ce fait, un consortium d’une centaine d’investisseurs et d’acteurs financiers déplore ce manque d’ambition dans un communiqué publié début juillet. Il appelle notamment la Commission à reconsidérer la nature totalement facultative des plans de transition pour la biodiversité, afin de fournir aux investisseurs des informations sur la manière dont les entreprises alignent leur stratégie aux cadres internationaux émergents.

Une fois le sort de la CSRD fixé, les instances européennes devront s’accorder sur un chantier tout aussi conséquent : celui du devoir de vigilance. Après avoir normé et régulé le déclaratif, l’Union européenne devra faire de même avec la mise en œuvre des plans d’action des entreprises. C’est là toute l’ambition du projet de directive sur le devoir de vigilance (CSDDD ou CS3D), adopté en juin 2023 par le Parlement européen. Cette directive vise à encadrer les obligations de responsabilité des entreprises sur le plan social et environnemental ainsi qu’à appliquer au niveau européen la notion de « devoir de vigilance ». La CS3D devra passer par le trilogue de l’Union Européenne afin d’être définitivement adoptée en 2024.

Une stratégie nationale

À l’échelle nationale, la démarche “ Éviter, Réduire, Compenser ” a été introduite en droit français, dans la loi relative à la protection de la nature en 1976. Elle a depuis été renforcée par la loi pour la reconquête de la biodiversité en 2016, afin d’atteindre l’absence de perte nette de biodiversité dans la conception puis la réalisation de plans, de programmes ou de projets d’aménagement du territoire (ZAN). Le premier volet de la stratégie nationale biodiversité 2030, dévoilé en février 2022, à également ancré l’ambition que “ les entreprises rendent compte de leurs impacts et dépendances à la biodiversité et qu’elles réduisent leurs impacts négatifs de 50 % ” d’ici 2030. Le second volet, qui devrait être publié dans les prochaines semaines, viendra sûrement conforter le rôle de l’entreprise dans la préservation de la biodiversité.

Quentin Thomas
Responsable Biodiversité

 

Pour aller plus loin 

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Sources

Monitoring framework for the Kunming-Montreal global biodiversity framework – Convention on Biological Biodiversity 

COP15 biodiversité : un accord historique, mais imprécis et non-contraignant – Carbone 4

CDC BIODIVERSITÉ (2023), COP 15, ET APRÈS ? ANALYSE DES CIBLES ÉCONOMIQUES ET RECUEIL DE POINTS DE VUE. BOURCET, C., CHESNOT, Y., MAGNIER, D., N°44, 50P – CDC Biodiversité

Corporate sustainability reporting – Europa.eu

CSRD : modalités et perspectives. Comment vous aider à préparer le reporting de durabilité ? – EY 

Normes européennes d’information en matière de durabilité – premier ensemble de normes – Europa.eu

Joint statement on ESRS – Eurosif, PRI, IIGCC, EFAMA, UNEP FI

Le dérèglement climatique accélère et frôle déjà les 2° en France, la biodiversité s’effondre et les insectes disparaissent, un plan d’adaptation est désormais envisagé qui anticipe un réchauffement de 4° sur notre territoire. Bref, les occasions de se réjouir se multiplient.

Pourtant, dans cet océan de noirceur, une bonne nouvelle pointe son nez…si, si… que nous pourrions appeler, avec une pointe d’humour, la convergence des luttes.
L’explication est très simple : l’intérêt privé et l’intérêt général tendent à ne faire plus qu’un, ce qui pourrait accélérer l’engagement des acteurs économiques qui, faut-il le rappeler, pèsent à hauteur de 75% dans les dérèglements environnementaux.
Autrement dit, lorsque l’éthique d’action ne suffit pas à provoquer la grande transformation, il se pourrait que la protection de leurs intérêts, privés par essence, pousse les entreprises à se mettre enfin véritablement en mouvement et infléchissent massivement leur politique RSE .

‘Les entreprises sont désormais soumises à des pressions et des risques systémiques sans précédent’

Pourquoi ? Car elles sont désormais soumises à des pressions et des risques systémiques sans précédent.

Risques opérationnels qui menacent leurs activités ; risques de marché face à l’évolution de leurs consommateurs ; risques de financement face à des investisseurs dont l’exigence va croissante ; risques réglementaires bien sûr, si les gouvernements et surtout l’Europe s’engagent durablement dans la voie plus ambitieuse qu’ils semblent emprunter; risques réputationnels enfin, en interne et en externe, qui menacent leurs politiques de recrutement et l’engagement de leurs collaborateurs de plus en plus intransigeants.

Certains ricanent peut-être, me traitant de doux rêveur. Je leur réponds d’un clin d’œil de cassandre. Non, je ne rêve pas, j’espère simplement, face à la gravité de la situation, hélas prévisible mais tellement lourde et prégnante désormais.

J’observe aussi, autour de moi, l’évolution de certains patrons, conscients et tiraillés par leurs incohérences et souvent harcelés par leur descendance.

‘La majorité a basculé vers la question du comment agir et c’est là que l’affrontement se concentre désormais entre des visions clairement opposées’

Évidemment, les blocages ont la vie dure mais ils ont évolué. Seuls quelques irréductibles restent bloqués sur la question du pourquoi agir, fleurtant encore avec le climatoscepticisme.
La majorité a basculé vers la question du comment agir et c’est là que l’affrontement se concentre désormais entre des visions clairement opposées.

D’un côté, les technologistes ou techno-solutionnistes arguent que l’Homme, dans son génie, saura trouver les solutions et qu’il ne sert à rien de chercher à réinventer notre modèle. Nous capterons le carbone, un jour…L’avion vert volera, un jour… On peut y adjoindre les tenants du jusqu’au-boutisme, nourris, non plus par le déni, mais plutôt par la conscience sclérosante de la gravité de la situation. Après-moi le déluge….

De l’autre, ceux qui refusent ce leurre technologique ou ce défaitisme cynique et pour qui vient le temps de l’engagement, volontariste et escarpé. Car il leur faudra slalomer entre les résistances internes, les injonctions contradictoires du court et du long terme, les logiques mercantiles difficiles à défaire et des arbitrages qui feront passer les timides avancées actuelles pour des prémisses dérisoires à mesure que les pressions augmenteront.

Ce sont eux qu’il faut aider bien sûr, en premier lieu, puis montrer en exemple. C’est grâce à ces ‘pionniers’ que nous pourrons convaincre la majorité qui résiste encore que cet engagement pour l’intérêt général n’est pas optionnel mais fondamental pour leur propre avenir, pour leur intérêt particulier et que leur croyance suranné dans un modèle dépassé ou leur immobilisme opportuniste les condamnent à moyen terme.

La convergence des intérêts particuliers et de l’intérêt général constitue bien un argument décisif. Je vous laisse en revanche décider s’il convient de parler, à ce stade, de convergence des luttes, je ne suis pas certain que cette forme d’humour fasse mouche.

Jérôme Cohen
Fondateur ENGAGE

Le trafic illégal d’espèces sauvages est considéré comme un des trafics les plus lucratifs au monde, après le trafic de drogues et le trafic d’armes. Représentant entre 7 et 23 milliards de dollars par an, il est présent sur tous les continents et participe directement à l’exploitation massive des ressources qui est une des causes majeures de l’érosion de la biodiversité.

Ce phénomène planétaire représente également un danger pour nous, les Hommes comme l’a rappelé en novembre dernier, Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne :

« Le trafic d’espèces sauvages relève de la grande criminalité organisée et constitue une menace directe et croissante pour la biodiversité, la sécurité mondiale et l’Etat de droit ». 

L’ampleur de ce trafic est donc gigantesque. En effet, d’après l’ONG IFAW, 7 000 espèces animales et végétales sont victimes du trafic dans le monde et 1 000 écogardes ont déjà péri dans l’exercice de leurs fonctions. Certaines espèces sont particulièrement menacées. Elles peuvent être emblématiques comme les éléphants où 100 individus sont abattus, chaque jour, par des braconniers, soit 1 toutes les 15 minutes, mais peuvent également être moins connues du grand public, mais tout autant indispensables à leurs écosystèmes. Les Saïgas par exemple, une antilope située entre l’Europe de l’Est et l’Asie, est désormais en danger. Pourtant chassée pendant des centaines d’années, c’est depuis l’effondrement de l’Union Soviétique que son nombre a chuté de plus de 95% en raison du trafic illégal, d’après Interpol

Utilisés à des fins pharmaceutiques, décoratives, ornementales, récréatives, domestiques ou de médecine traditionnelle, les raisons de la demande qui alimente ce trafic sont nombreuses. Les revenus qu’il peut générer sont également énormes, principalement pour les trafiquants qui se trouvent à la tête des réseaux. En effet, les braconniers qui capturent ou tuent les espèces sauvages, sont ceux qui gagnent le moins d’argent sur le prix de vente du produit final. D’après Interpol : 

“Un braconnier peut vendre un chimpanzé à un prix compris entre 50 et 100 dollars,  alors que l’intermédiaire peut le revendre moyennant une marge allant jusqu’à 400 %.”

Ces trafiquants en tête de réseaux sont des acteurs notoires du crime organisé et utilisent souvent le trafic illégal d’espèces sauvages pour financer d’autres crimes. C’est le cas notamment de certaines milices ou groupes armés non-étatiques qui financent leurs actions via ce biais, profitant d’une situation de conflit dans un pays. 

Pour lutter contre ces activités illégales et contrôler le cadre de la vente légale d’espèces sauvages afin qu’elles ne menacent pas leurs survies, la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) internationale a été signée en 1973. Grâce à une catégorisation, faite selon le degré de menace pesant sur l’espèce et la délivrance de permis y correspondant, les États tentent de réguler les flux commerciaux autour des espèces sauvages et ainsi de lutter contre le trafic illégal. 

Cependant, des actions complémentaires doivent être prises au niveau régional ou national afin d’agir à toutes les échelles. L’Union européenne, plaque tournante de ce trafic, a adopté un plan d’action en novembre dernier visant à lutter contre ce phénomène. Quatre axes principaux ont été définis : 

  • Prévenir le trafic d’espèces sauvages et s’attaquer à ses causes profondes
  • Renforcer le cadre juridique et politique de lutte contre le trafic d’espèces sauvages
  • Faire appliquer la réglementation et les politiques afin de lutter de manière efficace contre le trafic d’espèces sauvages
  • Renforcer le partenariat mondial entre les pays d’origine, les pays consommateurs et les pays de transit contre le trafic d’espèces sauvages

Nombreux sont les acteurs qui ont un rôle à jouer dans cette lutte, qui s’avère colossale. 

 

Sources de l’article :

  • La France, plaque tournante du trafic d’espèces sauvages – Le Monde
  • La CITES en bref – CITES
  • Biodiversité: renforcement des mesures de lutte contre le trafic d’espèces sauvages – Commission européenne
  • The Environmental Crime Crisis – Interpol, UNEP
  • Wildlife Crime Initiative – WWF
  • Criminalité liée aux espèces sauvages – IFAW

On me demande souvent pourquoi la transition ou, pour être plus ambitieux, la bascule vers une société écologique ne se fait pas plus rapidement. Difficile de répondre simplement, bien évidemment, tant les raisons sont multiples et les racines  du blocage, systémiques.

Constatons d’abord, pour garder un brin d’optimisme, que la transition, pour lente qu’elle soit, a tout de même tendance à s’accélérer. Lorsque nous étions considérés comme des empêcheurs de manager en rond il y a quelques années, nous sommes aujourd’hui parfois appelés à la rescousse. Nous sommes encore loin de la médecine préventive, convenons-en, mais une certaine dynamique se fait sentir.

Pendant des années, ce cercle a été grippé, chacun se renvoyant les responsabilités ou pour le dire plus prosaïquement, la patate chaude.

Pour expliquer le phénomène plus en profondeur et comprendre notre situation de blocage, le concept très didactique du triangle de l’inaction semble approprié.
Il part du principe que la société évolue lorsque les citoyens, le monde économique et la sphère politique alimentent un cercle vertueux. Or, pendant des années, ce cercle a été grippé, chacun se renvoyant les responsabilités ou pour le dire plus prosaïquement, la patate chaude.

Pourquoi ? Parce que les citoyens, mal aidés par les médias et les lobbys en tous genres, n’étaient pas suffisamment informés et donc conscients des phénomènes à venir, à savoir le dérèglement climatique et la chute de la biodiversité, pourtant excessivement documentés depuis des dizaines d’années.

Est-ce leur faute ? Probablement pas.
Face à cette société civile peu conscientisée, les politiques n’avaient aucune raison ‘politicienne’ de s’occuper du sujet. La pression populaire n’allait pas dans ce sens et les élections n’étaient en rien menacées par leur absence de courage politique, bien au contraire. Les Henri Dumont et autres écologistes avaient beau se remuer et agiter le chiffon rouge, rien, ou presque ne se passait. Constatons aussi que leur niveau de connaissances des enjeux était, lui aussi, très faible. Pour résumer, les politiques disaient et disent encore parfois, je ne peux rien faire, la société civile n’est pas prête.
Hop, je renvoie la patate, de plus en plus chaude, sur le citoyen…

Par construction, la pression mise par les politiques sur le monde économique était donc, elle aussi, nécessairement limitée. Et, par effet miroir, les entreprises, peu conscientes et insuffisamment à l’écoute des risques que ces crises faisaient peser sur leur activité, et pas volontaristes pour un sou, n’avaient elles-mêmes peu de motivations pour demander aux politiques d’agir. Elles ne ressentaient aucune pression en interne de leurs salariés-citoyens, nous l’avons déjà mentionné et se contentaient de politiques RSE timides et suivistes.
Pour résumer, les décideurs économiques disaient de leur côté: que voulez-vous que nous fassions si le consommateur n’est pas prêt…Hum, et la politique de l’offre ?
Hop, je renvoie la patate chaude qui devient brûlante à mesure que la planète se réchauffe, sur les citoyens…

Voilà, vous l’aurez compris, la mise en mouvement de la société était bloquée, les responsabilités ‘habilement’ et réciproquement renvoyées, c’est ce qu’on appelle le triangle de l’inaction. Malin, aujourd’hui, la patate nous brûle les doigts…

Alors, doit-on perdre espoir ? La machine est-elle définitivement grippée et notre monde condamné aux 4° ?
Disons qu’il va falloir mettre beaucoup d’huile dans les rouages pour qu’ils se mettent à tourner dans le bon sens, mais que rien n’est perdu si l’on agit vite.

Passer à une dynamique de mise en mouvement, que nous pouvons nommer le vortex de la régénération.

Disons aussi, que dans un contexte de prise de conscience généralisée, en tout cas en France, en Europe et dans certaines régions ‘en avance’ sur le sujet, il semble que les choses se mettent ou pourraient se mettre, à changer.
Pourquoi, car les citoyens, conscientisés, alertés et inquiets, pourraient faire pression sur les politiques d’une part et sur leurs entreprises d’autre part pour qu’ils bougent (cf. le phénomène de grande démission des jeunes générations qui quittent de plus en plus les entreprises accusées de cynisme et d’inaction environnementale) ; les politiques seraient dès lors poussés à réglementer plus vite, contraignant ou incitant les entreprises à agir ; les entreprises, par devoir de bonne gestion et de plus en plus conscientes des risques, pourraient elles-mêmes demander aux politiques un cadre plus clair et plus juste pour planifier leur transformation.

Pour trouver une formule et par soucis de clarté, nous passerions alors d’une situation de blocage, le triangle de l’inaction, à une dynamique de mise en mouvement, que nous pouvons nommer le vortex de la régénération.

 

Voilà ce à quoi nous devons tous œuvrer et ce pourquoi toutes les formes d’actions sont souhaitables et se complètent.
Faire pression sur les médias pour qu’ils alertent toujours plus et accélèrent encore d’avantage la prise de conscience citoyenne. Favoriser la mobilisation de la société civile, des consomacteurs et salariés-citoyens, pour qu’ils pèsent de plus en plus sur les décideurs économiques, au sein de leurs organisations et sur les décideurs politiques à toutes les échelles territoriales.
Faire pression sur les politiques pour qu’ils aient le courage de réglementer à la hauteur des enjeux, sans faire trop de pauses… Cela pourrait aider les entreprises, responsables de 75% des dérèglements actuels à comprendre que leurs intérêts et l’intérêt général ne font désormais plus qu’un, car un monde à +4° ne sera pas très bon pour leur business, comme ils disent…
Mais cette question fondamentale de la convergence des intérêts fera l’objet d’un prochain article.

Jérôme Cohen
Fondateur ENGAGE

Les différents éléments de la biodiversité sont notamment liés entre eux à travers la chaîne alimentaire : chaque être vivant mange celui qui le précède. Si certains organismes n’ont pas la chance d’être à la tête de la chaîne alimentaire en tant qu’espèce prédatrice, détritivore ou composteur, ils doivent alors trouver des moyens d’adaptation pour survivre. Focus sur le camouflage.

Au fil du temps et de la mutation génétique nourrie par la sélection naturelle, certains animaux ont mis en place des moyens de défenses subtils et adaptés : le camouflage et le mimétisme.

Mais ces techniques ne servent pas uniquement contre les prédateurs, en effet, les différentes espèces peuvent également s’en servir afin de tromper leurs proies. 

Le camouflage est une méthode de dissimulation qui permet à des êtres vivants de se fondre dans leur environnement. Différentes techniques peuvent être utilisées afin de passer inaperçu. 

Une des premières catégories de camouflage est l’homochromie : l’animal s’adapte aux couleurs de l’environnement qui l’entoure. Cette adaptation peut se faire de différentes manières. L’animal peut naître directement avec la couleur qui correspond à son environnement, mais dans d’autres cas, sa couleur peut varier en fonction de la saison ou encore de son milieu. 

Certaines espèces utilisent également les couleurs disruptives, c’est-à-dire qu’elles sont très contrastées. Cela leur permet de rendre troubles les contours de leurs corps et de mieux se confondre avec les éléments qui l’entourent. Les couleurs ne sont pas forcément unies, en effet, des tâches, rayures ou autres formes peuvent faire partie de ce phénomène d’adaptation. Les fameux guépards, bénéficient grâce à leurs fourrures tachetées, d’un avantage de dissimulation pour mieux surprendre leurs proies. 

Dans la même lignée, certains motifs très présents peuvent servir à distraire d’autres espèces, notamment des prédateurs ou des proies, afin d’avoir une longueur d’avance dans toutes les situations. 

Une deuxième technique développée par certaines espèces est l’homotypie. Cela consiste également à accorder sa couleur à son environnement, mais également sa forme. Les principales espèces concernées par cette méthode sont des insectes qui se fondent notamment dans des éléments de plantes ou d’arbres. C’est notamment le cas du Papillon-feuille, qui comme son nom l’indique prend la forme et la couleur d’une feuille d’arbre afin de se camoufler efficacement. 

Une troisième technique de camouflage est le mimétisme. Ici, le bluff est poussé à son paroxysme. En effet, l’animal va essayer de ressembler à une autre espèce, souvent plus dangereuse ou menaçante, afin d’échapper à ses prédateurs. Certaines espèces nocives ou venimeuses s’imitent même entre elles via des couleurs vives sur leurs corps, ainsi elles bénéficient d’une protection mutuelle car elles sont souvent confondues. 

Tous ces mécanismes de défenses ou de prédations qui ont été adoptées par certaines espèces, bénéficient directement à leur survie dans la nature. La sélection naturelle qui consiste à sélectionner certains individus en fonction de leurs caractéristiques, est le phénomène qui permet de développer ces techniques de camouflage pour les rendre communes à nombre d’individus d’une espèce présente dans un certain milieu.

  • Vous voulez creuser la thématique et mieux comprendre la biodiversité ? Participez à notre atelier Mission Biodiversité

Sources de l’article :

  • Les animaux apprennent-ils à se camoufler ? – Ça m’intéresse
  • Les animaux jouent à cache-cache : l’art du camouflage – Noé
  • Camouflage et mimétisme chez les animaux – Instinct Animal
  • Qu’est ce que la sélection naturelle – Géo

Élément essentiel de la biodiversité marine, les herbiers marins sont présents dans différentes zones de notre planète. Composés de plantes à fleurs, ils sont considérés comme des “prairies sous-marines”, situés à une faible profondeur sous l’eau, afin que la lumière puisse les atteindre. 

Malgré leur faible densité d’occupation des espaces marins, environ 0,15%, leurs fonctions écologiques est indispensable à la bonne santé des écosystèmes qui les accueillent. 

Ils façonnent leur environnement, par tous les services écosystémiques qu’ils apportent : oxygénation de l’eau, stabilisation des fonds et des courants marins, production de matière organique, zone de refuge et source de nourriture pour de nombreuses espèces. Ils jouent également un rôle important dans le stockage de carbone, puisqu’ils absorbent 18% du total stocké par les océans chaque année. Ainsi, leur conservation est indispensable à la bonne santé des espaces marins, mais également à celle de notre planète. 

Seulement, depuis les années 90, leur répartition à diminuer de moitié, notamment en conséquence des activités humaines.

Une des premières causes énoncées dans une étude scientifique publiée dans The Global Change Biology, est l’impact du secteur maritime sur ces herbiers : hélice, pêche de fond, ancre marine, loisirs nautiques… Toutes ces activités dégradent directement la santé des herbiers et donc tout l’écosystème qui y est rattaché. Avec toutes ces activités, qui se sont multipliées ces dernières années, vient s’ajouter la qualité de l’eau, qui de par les innombrables mouvements et la pollution, devient plus trouble et agitée. En conséquence, les rayons du soleil ont plus de mal à atteindre les zones où les herbiers sont installés, mettant en péril leur photosynthèse et leur croissance. 

En France et plus particulièrement le long des côtes méditerranéennes, l’herbe marine la plus répandue est la posidonie. D’après une étude de la revue Scientific Reports, cette dernière joue un rôle primordial dans la lutte contre la pollution plastique. En effet, ces herbiers auraient développé la capacité de capturer puis de filtrer les déchets plastiques, dont les microplastiques, qui sont par la suite mélangés à des déchets végétaux marins et relâchés sous forme de boules sur les côtes lors de moment de forte agitation des mers. 

Afin de protéger ces éléments indispensables à leurs écosystèmes et au bon fonctionnement de la planète, de plus en plus de mesures de protection sont et doivent être mises en place : formation et programme sur l’éco navigation, mise en place d’aires marines protégées, contrôles des méthodes d’ancrage, sensibilisation, et même restauration d’habitat. 

 

Sources :

  • Les herbiers marins, essentiels à notre survie – Fondation de la mer
  • Cinq façons dont les herbiers marins stimulent la biodiversité – UNFCC
  • Seagrasses provide a novel ecosystem service by trapping marine plastics – Scientific Reports
  • Les herbiers marins : des prairies sous-marines au rôle écologique considérable – OFB
  • Long-term declines and recovery of meadow area across the world’s seagrass bioregions – The Global Change Biology

Un écosystème est constitué d’une multitude d’interactions entre les espèces qui y sont présentes, certaines sont sédentaires, d’autres nomades, mais elles ont toutes un rôle significatif dans le maintien de la bonne santé de leurs milieux. Rencontre avec les espèces clés de voûte.

Certaines espèces, cependant, ont des rôles majeurs dans l’architecture des écosystèmes : elles les façonnent à travers leurs déplacements, leurs alimentations ou leurs interactions. Elles ont des fonctions essentielles, qui ne peuvent pas être remplies par d’autres espèces, c’est ce qu’on appelle des espèces clés de voûte.

Différents exemples peuvent être donnés, comme le castor. Il modifie son environnement et participe directement à la création de nombreuses zones humides sur son territoire, permettant ainsi la conception de zones de sédimentation et de puits de carbone.

De nombreuses espèces “clés de voûtes” sont également considérées comme des espèces dites parapluie, c’est-à-dire que la protection de ces espèces, dont le domaine vital est large, assure également la protection des autres espèces de l’écosystème, dans un effet domino.

L’éléphant appartient à ces deux catégories. En effet, par leur alimentation et leur déplacement, il modifie physiquement son environnement, permettant de créer, changer ou maintenir différents habitats. Son passage peut permettre de créer de nouveaux lieux d’habitation à des espèces plus petites comme les lézards, qui vont ainsi pouvoir trouver refuge dans les crevasses des branches cassées des arbres.
Les brèches causées par le passage des éléphants dans les forêts, permettent également de faire pénétrer de la lumière à certains endroits et de favoriser l’existence et la prolifération de certaines espèces végétales. Cela peut aussi permettre aux arbres de gagner en force et en hauteur, avec une plus grande capacité de stockage de carbone, ayant ainsi non seulement un impact local, mais mondial.
La consommation alimentaire importante des éléphants et leur système digestif rapide (environ 24h) permettent aussi la dispersion de graines à travers leurs selles. Grâce aux qualités d’engrais de la bouse d’éléphants, ces graines peuvent germer et se développer, favorisant la création de nouveaux habitats via l’implantation de certaines végétations dans de nouvelles zones où les éléphants sont passés.

Le rôle des éléphants est essentiel au bon maintien des écosystèmes, et leur protection ne bénéficie donc pas uniquement à cette espèce, mais aux centaines d’autres avec lesquelles ils cohabitent, dont les humains.

 

Sources :

  • Les éléphants en tant qu’ingénieurs de l’écosystème – Save the Elephants
  • Les espèces parapluies au secours de la nature – Géo
  • Les espèces parapluies assurent la biodiversité – Notre nature

Nos fleurs, plantes, fruits et arbres ne seraient pas les mêmes sans elles. Les abeilles ont un rôle primordial dans le fonctionnement de la biodiversité et la survie de la majorité des êtres vivants.

On estime qu’elles contribuent à la conservation d’environ 80% des espèces végétales dans le monde.

Elles jouent le rôle de pollinisatrices, puisque lorsqu’elles butinent, elles déplacent le pollen de fleurs en fleurs permettant ainsi la reproduction végétale.

De nombreuses espèces d’abeilles peuplent aujourd’hui notre terre, mais il semble important d’en différencier deux catégories : les abeilles sauvages et les abeilles domestiques – Apis mellifera. Les abeilles sauvages sont les plus nombreuses sur la planète, elles représentent environ 80% de la population totale. Généralement solitaires, elles peuvent se regrouper par groupe de petites dizaines d’individus contrairement aux abeilles domestiques qui peuvent aller de 20 000 à 60 000 individus par ruche. L’Apis mellifera est un réel outil de production pour les différents dérivés issus du travail des abeilles :

D’après l’IPBES “Environ 81 millions de ruches dans le monde produisent environ 1,6 million de tonnes de miel par an”.

Malheureusement, les menaces qui pèsent sur ces pollinisateurs sont nombreuses : changements d’affectation des sols, agriculture intensive et pesticides, pollution, espèces exotiques envahissantes, agents pathogènes et changement climatique. Mais depuis quelques années, de plus en plus de scientifiques viennent également mettre en garde contre une concurrence possible entre les abeilles sauvages et les abeilles domestiques.

En effet, différentes études ont été menées pour étudier ce potentiel phénomène. Dans les espaces ruraux, des résultats ont montré que le butinage des abeilles sauvages était deux fois inférieur à la normale, dans les 600 mètres aux alentours des ruchers d’élevages.  Cependant, au-delà de ce périmètre, la concurrence entre les espèces ne révèle rien d’alarmant. En France, 92 % des exploitations comportent moins de cinquante ruches, limitant de cette façon l’impact des populations domestiques sur les populations sauvages, surtout à la campagne.

La situation la plus inquiétante serait celle des villes. En effet, le nombre de ruches s’est multiplié dans nos agglomérations. À Paris, on peut désormais compter plus de 2 000 ruches, souvent installées dans une démarche écologique et/ou pédagogique. Seulement, ce nombre exponentiel d’abeilles domestiques sur ce territoire limité, ne favorise pas le développement de la biodiversité, au contraire, la diversité des espèces sauvages est alors mise à mal. Une étude sur la diversité des abeilles dans Paris, menée par Isabelle Dajoz, a démontré ce phénomène dans la capitale parisienne, tirant ainsi la sonnette d’alarme sur l’utilisation massive des ruches. Ses recommandations tendent vers une autre gestion des espaces verts : plus de fleurs, moins de tonte régulière des herbes, mais surtout une limitation des ruches à 2 au kilomètre carré, donc deux fois moins que leur nombre parisien.

De nombreuses villes limitent déjà le nombre de ruches dans leur agglomération comme Metz, et des parcs nationaux lancent de plus en plus de recherches sur les effets de la cohabitation entre les abeilles sauvages et domestiques, afin de repérer les éventuelles concurrences qui pourraient être néfastes et ainsi pouvoir réagir à temps.

La protection des abeilles sauvages ne peut être que bénéfique, puisqu’elle sera favorable à tous les autres pollinisateurs qui souffrent des mêmes menaces. La concurrence avec les abeilles domestiques reste, en France, un danger assez réduit et surtout ciblé selon les espaces.

 

Vous voulez creuser la thématique et mieux comprendre la biodiversité ? Participez à notre Atelier Mission Biodiversité

 

Sources :

  • Pourquoi les abeilles sont cruciales pour les personnes et pour la planète – UNEP
  • Nos abeilles domestiques, un danger pour la nature ? – GÉO
  • Le rôle des abeilles dans la nature – Ma Ruche en Pot 

Quand nous pensons au désert, l’image d’une vaste étendue de sable fin sous une forte chaleur nous vient souvent à l’esprit. Or, les milieux désertiques comprennent en réalité différentes catégories : tropicaux, tempérés, continentaux ou polaires. Ces catégories ont néanmoins des caractéristiques communes : une faible intensité de précipitations, une forte évaporation, des vents violents et la pauvreté des sols. Les déserts, souvent qualifiés de zones arides ou semi-arides, sont présents à de nombreux endroits sur Terre.

Le continent où ces zones sont les plus présentes est l’Afrique, notamment par la présence du désert du Sahara et du désert du Namib. Ce continent est également le plus touché par les zones dénommées de “désert absolu” où les formes de vie sont très rares, voire inexistantes.

Dans les milieux arides ou semi-arides, cependant, une biodiversité a réussi à s’adapter à ces déserts et aux conditions de vie difficiles qui les caractérisent. Focus sur l’adaptabilité des espèces

La végétation y est bien présente, dépendante de la quantité d’eau disponible, de l’état du sol et des vents, certaines espèces bien précises réussissent à perdurer dans cet élément.  Pour limiter les effets des rayons du soleil, certaines plantes ont développé des feuilles de très petites tailles, d’autres en ont aucune. Parmi les types de plantes qu’on peut retrouver dans ces zones, nous pouvons notamment citer les plantes succulentes, les cactus, les palmiers et des herbes sous différentes formes. 

La faune n’a pas non plus déserté ces zones. Souvent actives la nuit, la plupart ont su développer des techniques d’adaptation aux conditions difficiles de ces milieux. Un des animaux désertiques le plus connu est le chameau, qui stocke les graisses dans ses bosses lui permettant de pouvoir passer plus de 4 mois sans manger. Grâce à l’adaptation de leurs cellules, notamment les globules rouges qui ont une plus grande capacité d’absorption de l’eau, cet animal est capable de rester une semaine sans boire une goutte d’eau. 

Beaucoup de ces espèces sont nomades et donc en constant mouvement à la recherche de sources d’eau et de nourriture sur de vastes zones. À cela, s’ajoute le développement d’une pigmentation dans les tons clairs, afin de moins souffrir des rayons du soleil. D’autres espèces comme les lézards, sont hétérothermes, c’est-à-dire que leurs températures internes varient avec la température ambiante. Bénéficiant des rayons du soleil la journée, ils sont également capables de résister à des températures plus froides souvent présentes la nuit. 

Les déserts regorgent donc de différentes espèces capables de s’adapter à des conditions extrêmes.

Malheureusement, le réchauffement climatique vient également affecter ces écosystèmes. Les températures sembleront augmenter davantage dans ces zones que dans le reste du monde, mettant directement en danger la faune et la flore qui y sont présentes.

Les vagues de chaleur de plus en plus intenses risquent de ne plus être supportables pour de nombreux animaux et végétaux, et de transformer de plus en plus d’espaces en désert absolu.

Vous souhaitez en savoir plus sur l’adaptabilité des espèces ? Participez à l’atelier Mission Biodiversité

Sources :

Les feux de forêt sont de plus en plus fréquents et virulents dans notre pays, mais également à travers le monde. Pourtant, initialement, ces feux sont des phénomènes naturels, qui participent étonnamment au maintien de la biodiversité.

Dans différents milieux, comme les plaines ou les forêts, leurs évolutions constantes amènent un phénomène de “succession écologique”. Ce dernier correspond à l’évolution et au développement d’un milieu écologique au travers de différents stades. Arrivé au stade maximum de développement, certaines espèces peuvent alors se retrouver dans une situation de concurrence, notamment pour les ressources naturelles. À ce moment-là, un feu de forêt issu d’un phénomène naturel, permettra de ramener un milieu à un état initial ou modéré, permettant ainsi à certaines espèces de ne plus être en concurrence, mais de coexister. Certains spécialistes ont donc développé une hypothèse, selon laquelle un degré de perturbation intermédiaire dans sa fréquence ou son intensité, favoriserait la diversité génétique des milieux.

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Seulement, les feux qui touchent les différents milieux de notre planète, ne sont plus uniquement le résultat de phénomènes naturels, mais bien des conséquences des activités humaines et du réchauffement climatique.

 

Dès lors, les conséquences sur la biodiversité ne sont plus du tout favorables et accentuent son érosion :

  • Les feux de forêt impactent directement la végétation des milieux, augmentant ainsi l’érosion des sols qui étaient alors protégés par la couverture végétale et stabilisés par les racines. En conséquence, le milieu ne jouera plus son rôle de régulateur des eaux, perturbant ainsi directement les ressources d’eau douce disponibles.

  • La faune est également directement impactée. Les plus gros mammifères et oiseaux peuvent réussir à s’échapper à temps, mais ce n’est pas le cas de la majorité des espèces, comme les insectes ou les amphibiens par exemple. Les espèces endémiques, présentes uniquement sur le territoire touché, sont alors directement menacées de disparition, car elles auront plus de difficultés à s’adapter à un autre milieu.

 

Malheureusement, les incendies extrêmes causés directement ou indirectement par l’action humaine risquent d’augmenter de 50% d’ici 2100 d’après les Nations Unies.

 

Afin de favoriser au mieux la reconstitution des milieux et la reprise de la biodiversité, des actions sont mises en place, notamment par l’Office Nationale des forêts. En Gironde, où les incendies ont fait rage l’été dernier, les équipes de l’ONF sont très actives sur le terrain.
Dans un premier temps, c’est un moment d’observation qui a été mis en place, pour identifier quels arbres ont pu survivre, où il est nécessaire de replanter, mais surtout d’établir un diagnostic précis de l’état de la biodiversité. La stratégie choisie est de travailler sur la fonctionnalité des habitats naturels afin de favoriser le retour des espèces de faunes et de flores au fur et à mesure. Des enquêtes spécifiques sont également réalisées sur certaines espèces menacées, comme la Grande Noctule, la plus grande chauve-souris d’Europe. La capacité de récupération des espèces dépendra également de leurs caractéristiques propres comme la longévité, la fécondité et leurs possibilités de déplacements.

Les équipes de l’ONF estiment qu’entre 40 et 100 ans seront nécessaires pour retrouver la richesse de ces milieux.

 

Anneliese Depoux est experte en santé planétaire et santé environnementale, avec elle, nous tentons de comprendre les impacts des crises environnementales sur la santé humaine. Elle est experte associée du MOOC santé et environnement que nous créons pour le groupe VYV.

Pouvez-vous vous présenter ? 

Chercheure en Santé globale, je dirige depuis plus de 5 ans le Centre Virchow-Villermé, un centre de recherche rattaché à la faculté de Santé de l’Université Paris Cité. Nous travaillons principalement sur les impacts sanitaires du changement climatique et les enjeux d’adhésion et d’engagement des populations dans la lutte contre le changement climatique.

Dans le cadre de mes activités comme membre du bureau du Centre des Politiques de la Terre, qui est un centre de recherche interdisciplinaire sur les enjeux de l’Anthropocène, je co-anime l’axe dédié à la santé planétaire.

Enfin, j’ai co fondé l’Alliance Santé Planétaire, une organisation qui regroupe professionnels de santé et acteurs des territoires investis par la question de la santé planétaire. 

Comment définissez-vous le terme “santé planétaire” ? 

Il s’agit d’envisager le soin et la pratique médicale avec une approche plus globale et systémique et de réfléchir aux sous-jacents de la santé dans le contexte de l’Anthropocène (nouvelle période géologique dans laquelle les activités humaines sont le principal facteur d’impact sur la biosphère). Finalement, c’est observer l’Homme dans son rapport à la biodiversité et à un environnement qu’il a dégradé en faisant converger les disciplines et les expertises. Concrètement, la santé planétaire est un outil d’amélioration de la santé, de l’équité et du bien-être de tous les humains, dans le respect permanent de la biosphère (c’est à dire les autres vivants et leur/notre écosystème). 

Quels liens existent entre problématiques environnementales et santé publique ?

C’est très large et c’est ici tout l’enjeu de la santé planétaire, qui ne se limite pas uniquement aux impacts du changement climatique. 

Il s’agit aussi de réfléchir aux questions liées à l’antibiorésistance, à l’effondrement de la biodiversité, à l’émergence de zoonoses… Il y a aussi toutes les questions liées à la sécurité alimentaire, à la malnutrition, aux déplacements de populations. 

Puis enfin, et il s’agit d’une thématique finalement peu traitée, se posent les questions liées à la santé mentale. De plus en plus de recherches démontrent les liens entre le réchauffement climatique et et l’émergence d’émotions telles que la colère, la peur, la perte d’espoir… Les ¾ des 16-25 ans à l’échelle mondiale jugent leur avenir effrayant. 

La pandémie de Covid a été l’occasion brutale de prendre conscience des conséquences sur notre santé des perturbations environnementales et de la dimension planétaire que cela pouvait prendre.

Nous entendons souvent que l’érosion de la biodiversité aura pour conséquences l’émergence de prochaines épidémies, pourquoi ? 

La pandémie de Covid a été l’occasion brutale de prendre conscience des conséquences sur notre santé des perturbations environnementales et de la dimension planétaire que cela pouvait prendre. Une série d’autres maladies infectieuses émergentes telles que Ebola, la grippe aviaire ou le SRAS – appelées zoonoses – sont le résultat de l’impact de l’homme sur la faune. Dans le cas des zoonoses comme Ebola, il s’agit du résultat de pertes forestières ayant entrainé des contacts plus étroits entre la faune sauvage et les zones habitées par les humains. C’est également le cas pour la grippe aviaire, qui est liée à l’élevage intensif. On voit donc que l’interaction de l’Homme et du bétail avec la faune sauvage nous expose à un risque de propagation d’agents pathogènes potentiels.

Les facteurs d’émergence de ces zoonoses sont nombreux et largement déterminés par l’activité humaine : changements des facteurs de l’environnement, changement d’utilisation des terres, changement climatique… Donc la déforestation et l’expansion agricole jouent un rôle important dans l’émergence de ces pathologies. 

Finalement, 60% des maladies infectieuses nous parviennent par l’intermédiaire des animaux. Par exemple, la chauve-souris,  qui a un rôle très important pour la biodiversité grâce à ses capacités de pollinisation, est aussi vectrice de nombreuses infections. Donc si l’on vient la déloger, les opportunités de contact avec le bétail qui sert pour l’alimentation se trouvent favorisées, et par effet de ricochet, l’homme se retrouve exposé à ces virus. 

Le dépassement des limites planétaires laisse présager d’autres séquelles sur la santé mondiale, quelle serait la problématique majeure ? 

La question de l’alimentation semble centrale. La hausse des températures, les évènements climatiques extrêmes vont avoir un rôle clé sur notre alimentation dans l’avenir. 

On sait que la chaleur va faire peser un risque extrême sur 71% de la production alimentaire autour de 2045-2050 et que les canicules à répétition vont mettre le secteur agricole en situation de risque extrême. Cela va concerner l’Inde en première ligne, qui alimente une très grande partie de la population mondiale. Mais la hausse des températures va aussi affecter des pays plus tempérés, et nous subissons déjà des impacts importants en France, en témoigne la sécheresse de l’été dernier. 

La modification des conditions climatiques va aussi favoriser le développement de certaines maladies touchant végétaux et animaux et la prolifération d’espèces nuisibles, deux facteurs impactant aussi les cultures. Enfin, la chaleur va réduire les rendements et affecter les travailleurs.

Parmi les autres impacts sur l’alimentation, on retrouve également la diminution de la qualité nutritionnelle des fruits, des légumes et des céréales. L’excès de carbone fait chuter la concentration de vitamines dans les plantes, c’est-à-dire moins de protéines, de zinc et de fer : l’impact n’est pas du tout négligeable. L’autre cause de la baisse de qualité nutritionnelle est l’agriculture intensive, qui épuise les sols et compromet la capacité des plantes à être en contact avec des champignons, indispensables à la capacité des espèces à accéder aux nutriments qui se trouvent dans le sol. Par effet de domino, la qualité de la viande est aussi en jeu, puisqu’elle le bétail nourrit de ces mêmes végétaux

On voit bien qu’il y a un effet très systémique et que les dégradations environnementales dégradent nos conditions d’alimentation, qui elles même menacent notre santé avec des effets en cascade. 

Finalement, par ricochets, les grands équilibres socio-économiques de certains pays pourraient se retrouver affectés et déclencher des des crises aux conséquences possibles sur la stabilité sociopolitique. 

Les effets en cascades de la crise environnementale peuvent aussi suivre un schéma vertueux et l’adoption de modes de vie plus soutenables aura aussi des impacts positifs sur la santé à l’échelle collective. 

La santé planétaire évoque fréquemment la notion de “co-bénéfices”, pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ? 

Pour l’expliquer, reprenons l’exemple de l’alimentation. 

On sait que la diminution de la consommation de viande réduit l’empreinte environnementale liée à la production alimentaire (émissions de gaz à effet de serre, impact sur les ressources en eau, diverses pollutions par les nitrates…), mais on sait aussi que la réduction de l’alimentation carnée participe à l’amélioration de la santé humaine via la réduction des risques de maladies non transmissibles telles que le diabète et les maladies cardio-vasculaires et neurologiques. Les co-bénéfices sur la santé sont d’autant plus intéressants car contrairement aux bénéfices liés aux actions mises en œuvre pour diminuer les émissions de gaz à effets de serre, les bénéfices sur notre santé sont perceptibles à très brève échéance. 

Ces co-bénéfices s’appliquent également sur d’autres facteurs liés à notre santé. Par exemple, la réduction des émissions entraînera une amélioration de la qualité de l’air que nous respirons, la rénovation thermique améliorera le bien-être et permettra aussi de protéger les individus lors d’épisodes caniculaires, et enfin l’adoption de modes de transports dits “actifs” – marche, vélo, transports en commun – préviendra certaines pathologies.

On voit donc que les effets en cascades décrits précédemment peuvent aussi suivre un schéma vertueux et que l’adoption de modes de vie plus soutenables aura des impacts positifs sur la santé à l’échelle collective. 

Quelles seraient les mesures d’adaptation à mettre en place pour rendre nos systèmes de santé plus résilients ? 

Aujourd’hui, l’empreinte carbone de notre système de santé représente jusqu’à 8% de l’empreinte globale, d’après un rapport du Shift Project datant de 2021. Donc les premières mesures résident forcément dans la réduction de  ces émissions. Elles sont principalement liées au transport des usagers (professionnels et patients), et aux usages du secteur en matière de prescription de médicaments. 

Comment les organisations du secteur de la santé et les professionnels de santé peuvent participer à la mise en place de ces mesures ? 

La mise en place de ces mesures passe avant tout par la formation des professionnels aux enjeux de santé planétaire. Former les professionnels de santé, qui sont aux avant-postes pour engager leurs patients à adopter des comportements bénéfiques pour la santé, est un vrai défi.

On doit donc pouvoir s’appuyer sur cette confiance de la population pour délivrer des messages de prévention et engager des changements de comportement. 

On a été capable de le faire pour beaucoup de questions de santé publique : antibiotiques, tabagisme, prévention contre le Sida… Il faut donc tirer les bénéfices de ces précédentes campagnes pour les adapter aux enjeux environnementaux. 

Et enfin, quels sont vos futurs désirables ? 

Un futur où la qualité de l’air qu’on respire peut garantir notre bien être et celui de nos enfants. Cela concerne la pollution atmosphérique et les particules fines mais aussi l’augmentation significative des allergies liées à la propagation de plantes allergènes, autant de défis pour la santé planétaire ! Adapter nos comportements, notre consommation, repenser l’espace urbain, suppose des efforts et des investissements conséquents, mais ce sont aussi de véritables mesures de santé publique. La lutte contre le changement climatique représente une très grande opportunité pour la santé et la pleine santé.

Plus de ressources :

Marie Donzel est experte des sujets d’égalité femme/homme et directrice associée auprès d’AlterNego. Avec elle, nous creusons les liens entre droits des femmes et environnement.

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je suis Marie Donzel et je suis directrice associée d’AlterNego, qui accompagne toutes les transformations du monde du travail et ce qu’elles impliquent. Cela va des transformations liées à l’économie, liées à la société (diversité et inclusion par exemple), mais aussi portées par le politique et le légal. 

Les problématique de la mixité et bien sur des transformations environnementales montent, les sous-jacents sont nombreux : revoir le business modèle en fonction des coûts carbones, faire de la prévention autour des risques psycho-sociaux…

Oui, clairement, les femmes sont plus préoccupées, plus inquiètes, mais la raison n’est pas tant leur rôle de femme que le fait qu’elles soient systémiquement à l’endroit de la vulnérabilisation liée au système inégalitaire. 

Il semble que les femmes ont été historiquement plus nombreuses à s’engager dans la transition environnementale, c’est en tout cas ce que nous avons constaté chez ENGAGE. Partagez-vous cette analyse ? Et comment l’expliquez-vous ?

C’est une pure réalité ! 

C’est d’ailleurs rigolo de voir à quel point le mot “éco-féminisme” est mal-traité par les médias et par le politique. Il n’empêche que tous les paradigmes d’une chaine de valeur respectueuse de la chaine du vivant, ont été pensés dès 1974 chez Françoise d’Eaubonne. La prédation des animaux, des ressources naturelles, l’appropriation du ventre des femmes et les inégalités y sont traités. 

Je peux même remonter au moment des préhistoriennes de l’agriculture qui met en évidence la période de la création des inégalités femmes/homme. Précisément, c’est à ce moment où on se met à considérer les femmes comme des possessions exploitables.

Donc le lien entre féminisme et écologie politique est quand même bien établi et je me réjouis qu’il deviennne mainstream aujourd’hui, en revanche, je trouverai gros que l’on en oublie l’historique. 

Ceci étant dit, on peut aborder la thématique sous d’autres angles. Le sujet de la transition agricole à l’échelle mondiale est porté depuis les années 60-70 par les femmes, et ceci est très documenté par l’ONU. En l’occurence, elles ont été les premières à signaler qu’il manquait d’eau dans certains pays en développement ou elles allaient chercher l’eau. 

L’autre sujet, c’est l’écologie des petits gestes : si les femmes ont une très grande sensibilité à ces petits gestes c’est étroitement lié au fait qu’elles effectuent la majorité des tâches domestiques. 

Alors oui, clairement, les femmes sont plus préoccupées, plus inquiètes, mais la raison n’est pas tant leur rôle de femme que le fait qu’elles soient systémiquement à l’endroit de la vulnérabilisation liée au système inégalitaire. 

Pourrait-on faire un parallèle avec les métiers du soin, traditionnellement plus féminins ?

Je ne le fais pas. J’ai bien évidemment souvent entendu cette idée qui dit qu’une fois que les femmes auraient pris soin des enfants, des vieux, des pauvres et des malades, finiraient par aussi prendre soin de la nature. 

Je ne fais pas ce parallèle à un modulo près, celui qu’historiquement, le travail des femmes a été perçu comme une extension de la fonction domestique et maternelle. Donc si les femmes sont très nombreuses dans le care, la première raison c’est qu’à un moment nous avons trouvé judicieux d’indemniser ce travail. 

Et donc, en allant chercher le sujet de l’attachement à l’environnement de vie, si on avait demandé aux femmes il y a 50 ans, elles nous auraient déjà dit que pour que les gens soient plus heureux et que la maison tourne mieux, il vaut mieux pouvoir boire de l’eau propre, avoir un environnement préservé et des ressources consommées avec mesure et modération. Mais ce n’est pas un care naturel, c’est une fonction.

C’est pour cette raison également qu’il existe un réel enjeu à politiser l’attachement des femmes à l’écologie, et qu’il ne soit plus uniquement renvoyé au temps long, au care et au coeur. Cet attachement est vital pour tous, c’est un maillon essentiel qui va bien au delà de la performance. 

Le fait que les femmes soient sous-représentées dans les organes de décision pourrait-il expliquer le retard pris par la transition du monde économique et des entreprises ?

J’en suis intimement convaincue ! Je trouve que nous n’apprenons pas assez de l’histoire. À titre d’exemple, la résolution 1325 de l’ONU sur les pourparlers de paix, démontrait déjà que la paix est mieux construite et plus durable quand les femmes prennent place. Leur position de première victime de guerre fait que leurs raisonnements sont avant tout tournés sur la façon de protéger l’humain et le vivant. Les sujets environnementaux nous amènent sur une forme de guerre aussi, donc de toute évidence nous avons besoin des femmes. 

Leurs connaissances, que ce soit dans les pays en développement pour faire face aux effets, ou la connaissance très aigue qu’elles ont de ce qu’il se passe quand il y a un  feu ou une inondation, sont finalement des connaissances intimes liées à leur position dans la société. C’est donc évidemment risqué de passer à côté de sujet essentiels et vitaux, en les renvoyant à de l’anecdotique, à du pratico-pratique.

Par exemple la connaissance des arbres et des végétaux, est une connaissance ancestralement féminine et se passer de ca pour lutter contre la déforestation serait INSENSÉ. Pourtant, on voit aujourd’hui dans les COP, que la place donnée aux femmes est souvent celle de “grands-témoins”. La décision elle, appartient souvent aux technocrates qui observent le prisme d’une façon un peu méta. 

Qu’apporterait une féminisation de ces organes de décision selon vous ? 

À titre d’exemple, quand la loi Copé-Zimmerman est passée et que les femmes ont rejoint les conseils d’administration, elles se sont demandé si elles étaient suffisamment formées. Elles ont alors élevé le niveau de compétences général et ont posé de l’organisation.

Elle apporte ce que ca apporte partout ! 

Quand des réputés “différents” entrent dans un monde de “mêmes”, l’effet outsider s’applique, même s’il ne faut pas en faire le seul effet car cela placerait les femmes comme étant seulement là pour être outsider. À titre d’exemple, quand la loi Copé-Zimmerman est passée et que les femmes ont rejoint les conseils d’administration, elles se sont demandé si elles étaient suffisamment formées. Elles ont alors élevé le niveau de compétences général et ont posé de l’organisation. Ce n’est pas parce que ce sont des femmes, c’est parce ce sont des gens qui arrivent dans un endroit et que l’effet “arrivant” se produit. 

On peut aussi démontrer aujourd’hui que la diversité fabrique de la décision plus robuste. La confrontation des points de vue, si elle ne se transforme pas en rapport de force, produit de la décision plus fine, durable et consciente des risques. C’est en effet tout à fait normal que des gens d’origine différentes, de parcours différents, voient des risques que les autres ne voient pas. 

Dans une autre perspective, les femmes et en particulier les femmes les plus pauvres vont être les premières victimes du dérèglement climatique et de la chute de la biodiversité. Comment pouvons-nous lutter contre cela ?

Cela dépend fortement de l’endroit dans lequel on voit le fait qu’elles soient victimes. 

Un premier élément de réponse réside dans tous les sujets liés à la formation minimum à laquelle n’importe quel humain devrait avoir accès, à savoir nager, lire et écrire. Quand je vois que les femmes se noient davantage dans les inondations parce qu’elles savent moins nager, je ne sais plus à quelle espèce nous appartenons et quels sont nos points d’intérêts. On devrait s’assurer de ces choses là. Aussi, l’accès aux consignes en cas d’incidents climatiques est limité pour les femmes en raison du manque d’accès aux médias et d’alphabétisation. L’action devrait être totalement prioritaire pour ces sujets, surtout que cela coute très peu cher. 

Enfin, repositionnons nos postes d’investissement et regardons systématiquement avec une grille à quel point ils aideront les populations les moins aisées dans le monde entier ! Les femmes sont également les premières victimes de la pauvreté, donc forcément tout perdre quand on a très peu à perdre est encore plus dramatique. Là aussi, il faut agir car nous manquons cruellement d’ambition pour les femmes. 

Et enfin, vos futurs désirables, Marie ? 

J’ai un vrai futur désirable : c’est que l’on traite mieux nos vieux ! Je ne parle pas que de la toute fin de vie. Globalement, je trouve qu’à l’exception de quelques sociétés, qui d’ailleurs sont malheureusement rattrapées, où culturellement il était organisé le droit de vieillir, nous ne sommes plus au niveau. Et finalement, les civilisations se mesurent à la façon dont elles traitent leurs “vieux”. 

Cette question mène à casser un logiciel purement utilitariste, selon lequel nous ne sommes qu’utiles, et finit par traiter les personnes agées comme de simples postes de coût. Sortons de ce modèle et demandons nous vraiment “est-ce que ce qui fait ma valeur, c’est mon utilité ?”. 

Plus de ressources : notre émission Manifeste

Olivia Blanchard est co-fondatrice et Présidente de l’association des Acteurs de la Finance Responsable. Elle est également experte en conformité bancaire et fondatrice du cabinet LiveConsulting

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je m’appelle Olivia Blanchard, et je travaille en finance de marché depuis 15 ans.  Mon métier aborde tout ce qui est relatif à la réglementation financière (lutte contre le blanchiment, fraudes et corruption). Je suis également consultante indépendante depuis 6 ans, j’accompagne des sociétés de gestions, des fonds ou des entreprises à mettre en place leurs dispositifs de conformité. Et depuis 3 ans et demi, je suis co-fondatrice et Présidente de l’association des Acteurs de la Finance Responsable. 

Quelle serait votre définition de “finance responsable”, qu’est-ce que cela implique ?

La finance responsable, c’est une finance qui sert à financer le vivant, donc l’Homme et la Nature. Cette finance prend conscience du pouvoir qu’elle représente face aux enjeux sociaux et environnementaux.  Elle prend la responsabilité de son propre pouvoir : être un acteur majeur du changement. 

L’AFR a réalisé une vidéo plus complète sur le sujet :

Concrètement, quels outils de mesure existent aujourd’hui pour établir et définir ce que sont les activités économiques vertueuses ?

C’est là tout le nerf de la guerre : oui des outils de mesure existent, la donnée ESG par exemple. Mais finalement, les agences de notation extra financières créent elles-mêmes leurs propres méthodologies d’analyse… 

Sur les données climatiques, on arrive à avoir un peu plus de visibilité et le cadre commence à devenir plus commun, mais le véritable défi repose vraiment sur tout ce qui est relatif à la biodiversité, car on manque cruellement de données et de cadre de référence. La biodiversité sort totalement du cadre de compétences des professionnels du secteurs et touche davantage à des compétences de scientifiques et d’ingénieurs, liées au vivant et aux espèces. 

Côté réglementation, quelles lois encadrent ces investissements ? 

Globalement ils sont encadrés par le pacte vert Européen, créé en 2018 et se déclinent autour de quatre réglementations. 

  • La première, qui est vraiment la pierre angulaire, s’appelle la taxonomie et pourrait être comparée à un dictionnaire de la durabilité. 
  • Ensuite, vient la réglementation SFDR, une directive qui s’assure de la transparence des informations transmises par les investisseurs à leurs actionnaires et épargnants et qui repose sur une classification des fonds en Articles 6, 8 ou 9. 
  • La troisième est MIFID II, qui a été revue pour intégrer les préférences des épargnants en matière de durabilité. 
  • Et la dernière, CSRD, qui vient augmenter les obligations de reporting des entreprises.

Pourtant, des failles existent, et des projets pas ou peu alignés aux enjeux environnementaux et sociaux se voient financés par des fonds destinés à soutenir la transition. Comment expliquer ces failles et comment les éviter ? 

Je pense que ces failles s’expliquent majoritairement par un manque de compréhension du système financier, qui s’est toujours basé sur la notation extra-financière (les critères ESG). Pourtant, ces critères ne sont pas du tout du même ordre que les notions de durabilité sous-jacentes à la taxonomie. 

À titre d’exemple, des secteurs comme celui des énergies fossiles ont une notation extra-financière ESG, par contre ce ne sont pas des secteurs durables au sens de la taxonomie Européenne. 

Finalement, nous sommes en pleine transition : celle du monde de l’investissement socialement responsable, vers un monde où il faut intégrer cette notion de durabilité, difficile à appréhender. 

Quant aux actions à mettre en place, il faut garder en tête que la finance est liée aux entreprises, à l’industrie. Si vous financez une entreprise vertueuse, forcément votre fond sera vertueux. Mais si nous devions dès aujourd’hui prendre l’ensemble de la masse monétaire existante et la rediriger uniquement vers des entreprises vertueuses, ce serait impossible. 

Donc le sujet, c’est de se demander comment les acteurs financiers peuvent être acteurs du changement en tirant vers le haut les entreprises dans lesquelles ils investissent, mais aussi, comment les entreprises elles-mêmes, doivent revoir leurs modèles économiques, pour être en accord avec cette transition. 

Finalement, nous sommes en pleine transition : celle du monde de l’investissement socialement responsable, vers un monde où il faut intégrer cette notion de durabilité, difficile à appréhender. 

Au niveau des banques grand public, l’offre de banques vertes s’est largement élargie ces dernières années, qu’en pensez-vous ? 

Tant que l’on peut verdir l’existant, je pense que l’on ne peut que saluer l’initiative.

En revanche, seul le temps pourra confirmer ce modèle, car aujourd’hui, ces banques ne sont pas autonomes et sont indexées sur des systèmes financiers existants. 

L’autre limite imposée par leur caractère nouveau, est qu’elles ne proposent pas les mêmes produits financiers qu’une banque classique. Mais le temps fera qu’elles prendront de plus en plus d’ampleur et je suis convaincue que les consommateurs tendent à aller vers ces systèmes, vers ces banques qui n’ont pas juste un logo peint en vert.

Tous ces chamboulements législatifs, réputationnels, vont faire évoluer les métiers et de nouveaux emplois vont naître au sein du secteur financier. Quels seront-ils et quelles seront les compétences et connaissances liées à ces changements ?

Je ne sais pas si on peut vraiment parler de nouveaux métiers, bien sûr, certains se sont créés, notamment au niveau de la RSE ou de l’analyse ESG. 

Selon moi, la seule façon de parvenir à impulser le changement, c’est d’estomper le clivage entre les métiers de la RSE et les autres métiers. Nous y serons parvenus quand la finance responsable ne sera pas un métier différent, mais quand ce sera une compétence intégrée dans l’ensemble des métiers existants. 

Il faut que les gens se forment à la finance responsable, et comprennent comment, à leurs niveaux actuels, ils peuvent être acteurs de cette finance. 

Et enfin, Olivia, quels sont vos futurs désirables ? 

J’espère vraiment un éveil des consciences, et pas seulement dans la finance ! 

Il faut que nous prenions conscience, au quotidien, de nos responsabilités pour pouvoir changer les choses et aller vers ce nouveau monde qui nous appelle. Vivons en paix et en harmonie avec le vivant, et non pas contre lui. 

Jérôme Cohen est fondateur d’ENGAGE et cofondateur du Grand Défi. Quelques réponses sur les ambitions et les fondamentaux du Grand Défi.

Vous avez fait le pari de l’intelligence collective, pourquoi ?

Il est proprement illusoire de penser que nous résoudrons les défis environnementaux et sociaux en pensant en silo. Les enjeux sont intimement interreliés, les réponses résident dans les interstices et les acteurs capables de contribuer à leur résolution viennent de tous les horizons. Il est donc nécessaire de constituer des écosystèmes divers et de faire travailler ensemble des compétences, des expériences, des sensibilités différentes qui se complètent pour trouver des réponses à la hauteur des enjeux. C’est ce que nous avons expérimenté en constituant en amont un écosystème extrêmement riche de plus de cent partenaires. C’est aussi ce qui a soutenu la démarche de délibération des délégués, enrichie des apports d’experts, de scientifiques, de chefs d’entreprises, d’acteurs de la transition. Le processus est incroyablement puissant, incarné par le chemin d’apprentissage et de mise en action individuel et collectif que toutes et tous ont emprunté mais aussi au regard des propositions dont, je l’espère, vous validerez la pertinence.

“Ce nouveau modèle implique d’interroger l’ordre des priorités entre l’économique, l’environnemental et le social”

 

Que signifie ce nouveau modèle de prospérité économique, humaniste et régénérative ?

Nous avons d’abord confirmé, lors de la consultation, l’attente profonde de transformation des acteurs de l’économie, qu’ils soient salariés, dirigeants ou actionnaires. Nous avons perçu aussi leur désarroi quant au nouveau modèle à inventer et à la trajectoire pour y parvenir. C’est précisément sur cette redéfinition de la mission des entreprises et de leur trajectoire de transformation que nous avons travaillé. Ce nouveau modèle implique d’interroger l’ordre des priorités entre l’économique, l’environnemental et le social ; il propose de repenser la place des femmes et des hommes et la gouvernance des organisations ; il impose aussi de redéfinir l’activité des entreprises au regard des limites planétaires et de la nécessité de régénérer les écosystèmes.

Pour concevoir ce nouveau modèle et le mettre en place, nous avons besoin d’une prise de conscience mais aussi de connaissances profondes, de nouvelles compétences, d’outils, de références et de normes partagées et c’est à cela que contribuent les cent propositions.

Que peut apporter le Grand Défi aujourd’hui ?

Le Grand Défi n’est pas un énième livre blanc consacré à la transition écologique et à sa nécessité. Il est tout au contraire un outil mis à la disposition des décideurs politiques, économiques et académiques pour accélérer opérationnellement et dès aujourd’hui la transformation de l’économie et des entreprises. Notre ambition consiste en ce que ces différentes sphères se saisissent des propositions dont les trajectoires d’application et processus de mise en œuvre sont détaillés. La troisième phase qui s’ouvre, celle de la diffusion, est donc décisive car c’est précisément dans cette étape d’appropriation que se mesureront notre impact et les transformations que nous saurons engendrer. Un seul mot d’ordre, que chacun s’empare des propositions pour les diffuser et travailler, dans sa propre sphère de responsabilité, à leur mise en œuvre.

Retrouvez l’interview croisée de Bettina Laville, Présidente fondatrice du Comité 21, partenaire du Grand Défi et de Sophie Szopa, intervenante du Grand Défi et auteure du GIEC.

Pour SS et BL : Pouvez-vous vous présenter ? 

BL : Je suis la fondatrice et présidente d’honneur du Comité 21. Je suis également présidente de l’Institut d’Études Avancées de Paris. J’ai par ailleurs fait toute une carrière publique, d’une part dans l’administration de l’environnement et puis au Conseil d’État. 

SS : Je suis directrice de recherche CEA au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement au sein de l’Université Paris Saclay. Je travaille sur la chimie atmosphérique et j’ai participé au GIEC en tant qu’auteure principale et coordinatrice d’un chapitre. 

Pour SS : Vous êtes intervenue lors de la première session de Nantes aux côtés de Philippe Grandcolas, pourquoi était-ce important pour vous ? 

Il y a bien sûr l’initiative elle-même, le fait de réunir des gens présents au sein de l’industrie et des PME, de prendre le temps de les former avant qu’ils soient force de proposition. Je trouvais le concept intéressant et le fait qu’il y ait une bonne place accordée à la formation est aussi remarquable, pour pas juste dire “on vous donne la parole” mais bien s’assurer qu’ils aient compris les enjeux en profondeur pour envisager les leviers d’action.

Il était important de donner à la science sa juste place, notamment au travers des grands rapports scientifiques internationaux (Giec, IPBES). Ce contact direct entre les scientifiques et les Délégués, qui allaient avoir la responsabilité de faire émerger des propositions, était primordial. Je trouvais aussi extrêmement intéressant de mixer climat et biodiversité. 

Pour BL : Bettina, le Comité 21 est un partenaire de la première heure, quels sont les éléments qui ont motivé votre choix de participer à cette initiative ?

Il y en a plusieurs. Le premier est que je connaissais très bien les organisateurs et que j’avais pleinement confiance en eux. Jérôme Cohen est un homme d’engagement. Je travaille et j’échange avec Virginie Raisson-Victor depuis longtemps, notamment dans sa fonction de Présidente du GIEC Pays de Loire, auquel le Comité 21 participe. Nous étions sûrs qu’ils allaient tous deux donner de l’épaisseur au projet, que ça ne serait pas simplement une opération de com. 

J’ai également tout de suite senti que cette ‘convention citoyenne’ donnerait beaucoup de place aux PME. Je pense aujourd’hui que les grandes entreprises ont compris les enjeux et que les obligations réglementaires les incitent à les intégrer. Les PME en revanche, surtout après la crise sanitaire, ont plus de mal à relever ces défis. 

Pour SS et BL : Vous avez pu prendre connaissance des 100 propositions du Grand Défi, que vous évoquent-elles ? 

BL : Je me sens proche de ces propositions car elles apportent plusieurs éclairages. Si les limites planétaires sont au cœur du constat, la vision de l’entreprise qui s’en dégage replace ses parties prenantes au centre et non pas à côté. 

Ce qui résonne, c’est aussi le chemin de transformation, qui fait écho au rapport du Comité 21 sur la Grande Transformation. 

Enfin, j’ai apprécié de voir traités tous les domaines de l’entreprise, cela prouve le souci d’une approche à la fois systémique et concrète.

SS : Je les trouve intéressantes car elles s’inscrivent aussi bien dans le temps long (financement de la recherche ou modification de la gouvernance par exemple) que dans une trajectoire de transformation très concrète (l’analyse du cycle de vie ou les scores environnementaux)…  Tout a été pensé à court et long terme. 

Il y a également des discussions sur la sobriété et sur l’adaptation des entreprises à un monde dans lequel les impacts climatiques vont être croissants. Beaucoup d’axes sont couverts et cela montre que les Délégués ont compris le besoin de s’attaquer à toutes ces problématiques, de façon systémique.

Pour SS et BL : Si vous deviez choisir 2 ou 3 propositions prioritaires, quelles seraient-elles et pourquoi ?

BL : C’est bien évidemment compliqué puisqu’elles se répondent toutes. Mais j’ai quand même été frappée par le fait de faire de la biodiversité une grande cause nationale. Car si les entreprises agissent davantage pour le climat aujourd’hui, leur impact est au moins aussi important sur la biodiversité. 

Une mode dit qu’il faut une personne avant-gardiste au sein de l’entreprise et que les autres vont suivre, je ne suis pas convaincue et je pense qu’il est très important d’embarquer tout le monde. Ici, les propositions visant à nommer un directeur RSE au COMEX et à mettre en place des rémunérations variables à tous les échelons de l’entreprise font écho. 

Mentions spéciales aussi pour une loi publicité environnement qui serait extrêmement importante et pour les centres logistiques mutualisés en entrée de ville, des chercheurs de la région nantaise sont très en avance sur ce sujet. 

Ensuite, toutes les propositions sur le numérique, sur la durabilité, sur l’empreinte environnementale des rayons sont essentielles. 

SS : Je pense à la proposition sur la publicité, qui est un point qui avait été remonté par la Convention Citoyenne pour le Climat. On peut toujours mener des politiques pour limiter les impacts, mais si on ne change pas nos manières de consommer, on ne pourra pas y arriver. Donc aujourd’hui il faut vraiment expliquer l’impact environnemental et faire rêver à d’autres types de produits, d’autres manières d’être et d’avoir. 

L’autre proposition forte selon moi, c’est le fait de s’attaquer à la gouvernance, c’est-à-dire ne pas voir les problématiques environnementales ou le développement soutenable comme quelque chose d’à part, ou comme un vernis, mais vraiment d’intégrer toutes ces dimensions dans chaque prise de décision, en se posant la question de la trajectoire. 

Ces deux propositions me tiennent le plus à cœur, mais toutes sont primordiales. 

J’ai d’ailleurs trouvé les témoignages des Délégués au CESE très intéressants, on sent leur implication et c’est fort de constater à quel point ils ont été transformés par le processus et se sont investis.  

Pour SS : Sophie, lors de la soirée de présentation des propositions au CESE, vous avez souligné l’importance de la déclinaison territoriale des mesures, qu’entendez-vous par là ?

On sait qu’il y a des spécificités par métier, par territoire. Trop centraliser les décisions risque de nous opposer. 

Par exemple, des transformations sont réalisables et souhaitables en ville ou dans des espaces relativement resserrés lorsque d’autres sont plus appropriées dans des espaces plus ouverts. Il ne s’agit pas de faire vivre et travailler tout le monde de la même manière. Il existe ainsi des opportunités pour le trajet domicile/travail en zones urbaines ou périurbaines qui sont indisponibles dans d’autres zones. Là aussi, c’était intéressant de voir la représentativité des personnes ayant participé au processus, avec des Délégués représentant des activités tertiaires, d’autres de transport… forcément les leviers ne sont pas les mêmes ! C’est primordial d’écouter et de faire travailler ensemble cette diversité. 

Pour SS et BL : Et enfin, Mesdames, quels sont vos futurs désirables ? 

BL : A titre personnel, j’aimerais finir d’écrire un livre sur la transformation sur lequel je travaille depuis longtemps. Mon futur désirable, c’est aussi que l’on parvienne à trouver la juste place de l’activisme, car si certaines actions radicales sont justifiées, il faut faire attention à ce que cela ne fasse pas éclater la société et ne freine les logiques de co-construction. Ce qui ne veut pas dire que nos ambitions ne doivent pas être extrêmes !

Enfin, je souhaite que l’on retrouve l’enthousiasme des grandes transformations, qu’on ne les subisse pas. Notre époque est comparable aux grandes explorations du 16ème siècle : nous cherchons et nous trouvons des réponses que l’on ne cherchait pas. L’avenir sera difficile, probablement, mais il ne sera pas noir, à condition que tous ensemble, nous prenions à bras le corps les propositions du Grand Défi. 

SS : C’est déjà de réussir à ne pas créer un clivage entre les urbains et les ruraux,  entre les jeunes et les vieux. Que l’on arrive à avancer ensemble en regardant avec honnêteté les difficultés, que l’on voie ce que nous apportent ces changements plutôt que ce que cela nous enlève. 

Un futur désirable, c’est un futur où l’on aurait ringardisé certaines pratiques, où il deviendrait évident de se déplacer en transports en commun. Ce serait un futur dans lequel on aurait les infrastructures pour le faire, dans lequel on aurait une offre alimentaire qui permette de diminuer significativement notre part de protéines animales, dans lequel on aurait protégé les population les plus vulnérables, car ce sont celles qui ont le moins d’informations et qui sont le moins émettrices. Il est réellement fondamental de rechercher une équité sociale et l’accompagnement de l’ensemble des populations.

Cette semaine, avec Yannig Raffenel, fondateur de Blended Learning, du Learning Show et président d’Edtech France, nous faisons le point sur les apports et les limites de l’innovation technologique sur nos façons d’apprendre.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis slasheur donc j’ai beaucoup de casquettes différentes et complémentaires. Toutes ont à voir avec l’usage des outils sociaux-éducatifs et technologiques et avec la formation.

Aujourd’hui, je suis à la tête d’une société de conseil qui s’appelle Blended Learning, et qui fait de l’accompagnement à la stratégie de digital learning pour les organisations.

Parallèlement, je donne 50 à 70% de mon temps en bénévolat puisque je suis le fondateur et président du Learning Show depuis 6 ans, administrateur de 3 hubs Edtech régionaux, puis président de Edtech France qui regroupe toutes les entreprises qui travaillent dans le monde de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle.

En quoi l’usage des technologies a-t-il bouleversé le secteur de l’éducation et les manières d’apprendre ?

Il paraît avant tout essentiel de préciser que c’est bien l’usage des technologies et non pas la technologie en tant que telle qui a bouleversé les choses. La technologie n’a aucun sens si elle n’est pas au service des usages.

Bien sûr, l’une des plus grosses modifications, mais qui n’est pas nouvelle, c’est la possibilité de se former à distance et donc de lutter contre les déplacements et autres contraintes liées au temps. Là où les choses bougent en ce moment, c’est quand ces technologies sont le support de pratiques pédagogiques innovantes. Ces pratiques technologiques sont fondamentales.

Ce qui est intéressant, c’est de voir combien des concepts qui ont plus de cent ans, comme l’auto formation, la formation par les pairs ou le développement de l’intelligence collective, se trouvent boostés par l’usage des outils technologiques.

Quels sont les apports du digital pour le secteur de l’éducation ?

Les aspects transformateurs et innovants sont, d’un côté, l’arrivée de l’intelligence artificielle, pour peu qu’elle soit couplée aux recherches en sciences cognitives (apprendre à apprendre, renforcement mémoriel par exemple), et d’un autre côté, tout ce qui est apporté par la réalité augmentée et qui permet d’apprendre par les sens, au travers de la simulation et de l’immersion.

L’intelligence artificielle permet également à l’enseignant de mettre les élèves en situation de pratiques auto-formatives, pour pouvoir être plus disponible pour accompagner ceux qui en ont davantage besoin.

Tout cela est valable aussi bien sur l’éducation que sur la formation professionnelle. À l’exception près que l’on ne peut pas utiliser de réalité augmentée en dessous de 11 ou 12 ans.

À l’inverse, quelles sont les limites pour les apprenants et ceux qui font apprendre ?

Tous ces outils n’ont rien de magique : les acheter sans renforcer l’accompagnement humain, ça ne marche pas. Ces outils ne fonctionnent que si des ressources humaines d’accompagnement sont mises en place. C’est fondamental car seulement 5 à 6% de la population est équipée pour apprendre seule.

Autrement, il faut faire attention à ne pas créer de la ségrégation entre ceux pour qui l’accès est simple et ceux qui n’ont pas l’accès matériel ou ont des difficultés, (problèmes comme l’illectronisme). En revanche, les solutions importées par le digital sont très performantes et permettent l’inclusion de personnes neuro atypiques par exemple.

Enfin, il faut aussi prendre en compte l’importance de la low tech, qui nécessite d’être développée. Il faut savoir aller explorer dans la frugalité pour pouvoir déployer l’Edtech pour le plus grand nombre. À titre d’exemple, on travaille beaucoup avec le continent Africain, qui a une réelle expertise en low tech, et qui réussit à déployer des dispositifs qui s’adaptent totalement aux outils que les utilisateurs ont déjà dans les mains (les téléphones par exemple, sans être dernier cri).

Un autre chamboulement est celui de l’intelligence artificielle, notamment avec l’ascension de ChatGPT ces derniers mois. En quoi cela vient faciliter, ou perturber, les avancées en matière d’innovation pédagogique ?

Cela permet de réinventer quelque chose de fondamental : le savoir est partout, et le rôle d’un enseignant n’est pas tant de transmettre du savoir que d’accompagner et faire développer la compétence.

Par essence, toutes les ressources produites avec de l’IA, vont permettre aux enseignants d’avoir du temps dégagé pour se recentrer sur leur valeur ajoutée forte.

L’avenir de l’apprentissage réside-t-il selon vous dans le “tout digital” ou dans une combinaison “physique/ digital” ?

En aucun cas nous ne pouvons continuer à poursuivre cette vision du monde du tout digital. La question n’est plus de savoir ce qui est “mieux” entre présentiel et distanciel, entre humain et numérique, mais de comprendre comment construire des dispositifs qui vont prendre le meilleur de chacun des modes en les mixant.

Si la technologie, l’intelligence artificielle ou la réalité virtuelle sont devenues incontournables, que faire pour s’assurer que ces innovations soient inclusives et intègrent aussi ceux qui n’ont pas l’accès matériel ou fonctionnel à ces outils ?

C’est en effet un vrai défi et les biais sont là en permanence. Je reviens de Guyane ou de Mayotte, qui sont pourtant des départements français : si on pouvait au moins avoir du courant et du wifi… ça serait bien.

Ces approches technologiques ne sont pas inclusives par définition. C’est donc la responsabilité des collectivités et de l’État de mettre en place les moyens pour les répandre, grâce au développement de tiers lieux par exemple. Les concepteurs doivent aussi matérialiser tous les moyens pour permettre une transversalité des ressources. C’est-à-dire que lorsque l’on conçoit un outil, il doit pouvoir être utilisable aussi bien sur téléphone que sur ordinateur. Dans la réalité virtuelle, il y a de plus en plus de “full web” qui va simuler l’immersion, sans avoir besoin de casque.

Finalement, il faut s’ouvrir aux contraintes des utilisateurs et apprenants.

Quelle peut-être la place des technologies pour diffuser les compétences et connaissances clés de la transition environnementale et sociale ?

Aujourd’hui, il est essentiel pour les formateurs et les enseignants de ne surtout pas produire de contenu. Il faut se mettre dans une posture particulière et se dire : ce pourquoi j’aimerais créer un contenu, existe probablement déjà. Faisons du benchmark, arrêtons de produire alors que les ressources existent déjà, centrons notre plus value pédagogique dans l’utilisation des ressources qui existent déjà en inventant les activités pédagogiques. Il en est de l’ordre de la responsabilité environnementale.

Cela nécessite en revanche la mise en place d’un cadre légal pour réguler, simplifier les déclarations et indexer les ressources utilisées et produites pour éviter le vol, grâce à un guichet unique par exemple

Justement, selon vous, peut-on conjuguer digital et sobriété ?

Oui à condition de ne pas aller dans les fantasmes du metavers. Oui à condition d’aller dans ces logiques de low tech et de ne pas consommer de la bande passante à l’extrême. De la même manière qu’il faut se recentrer sur la plus-value pédagogique, il faut questionner notre capacité à mesurer l’impact et à juger l’intérêt des médiums utilisés.

Et enfin, vos futurs désirables, Yannig ?

Mes futurs désirables, c’est justement d’aller vers un monde dans lequel chacun peut avoir un véritable accès à des ressources. C’est aussi un monde dans lequel on investit un maximum au niveau des tiers lieux : des espaces dans lesquels on pourrait développer de l’éducation populaire, dans lesquels on mélange de la culture, de l’échange de pratiques, des relations sociales entre les personnes.

Le digital doit servir à rapprocher les gens, quand il sert à les éloigner, on est à l’inverse du monde que je désire.

Cette semaine, nous rencontrons Marina Zuber, co-fondatrice de Nouvel Air Studio, une agence de communication engagée. Avec elle, nous faisons le point sur le rôle du communicant dans la transition, des nouvelles règlementations mais également sur les nouveaux récits à créer.

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je m’appelle Marina Zuber et je suis communicante depuis plus de 20 ans. J’ai commencé chez BDDP en 1997 puis ai été formée auprès des fondateurs chez BETC. 

J’ai également eu une expérience internationale au sein de l’agence DDB pour gérer la communication internationale de Lipton depuis Paris. Je me suis ensuite envolée pour New York, toujours pour travailler pour Lipton mais également pour d’autres marques du groupe Unilever. Cette expérience aura été très formatrice, puisque c’est à ce même moment que Paul Polman a pris la direction globale d’Unilever pour transformer la société et entamer une stratégie de développement durable. C’est donc à ce moment que j’ai pris conscience que je pouvais aussi accompagner des sujets de développement durable en tant que communicante. 

En revenant en France je suis retournée chez BETC avant de prendre la direction de TBWA. J’avais donc les rênes d’une agence mais je détenais finalement peu de libertés au vu du contexte marché et des réalités business. 

À ce moment-là, je me suis rappelée que ce que je souhaitais, c’était d’être engagée en tant que communicante. C’est avec Constance Barde, qui à l’époque accompagnait des start-ups à impact, que nous avons eu l’idée de co-fonder Nouvel Air, qui tient son nom de l’inspiration trouvée lors de nos grandes marches au plein air lors des différents confinements.

On parle de plus en plus de communication responsable, de quoi s’agit-il exactement ? 

Selon l’ADEME, la communication responsable, c’est répondre aux objectifs de communication, de visibilité et de ventes, tout en prenant en compte les urgences sociales et environnementales. 

Dans l’édition 2022 de son Guide de la communication responsable, l’ADEME introduit 4 notions piliers : messages responsables, éco-conception des supports, efficacité des messages et éthique, puis relation aux parties prenantes (communiquer pas uniquement pour cibler les consommateurs, mais aussi les collaborateurs, les ONG, les actionnaires…) 

Le terme “communication responsable”, bien qu’ayant des vertus pédagogiques, détient toutefois une image un peu scolaire… Chez Nouvel Air nous aimons parler de “communication d’engagement” qui mobilise, embarque davantage. Nous y trouvons une vertu plus positive, engageante justement. 

À l’heure où une majorité de citoyens déclarent revoir leurs modes de consommation pour consommer moins mais mieux, quel rôle la communication peut-elle jouer pour appuyer cette évolution ?

Aujourd’hui beaucoup d’experts fustigent la communication et la publicité en les citant comme “l’exemple à ne pas suivre”… C’est un peu triste car nous sommes convaincues qu’elles font aussi partie de la solution. 

La communication peut montrer la voie vers des modèles plus vertueux, tels que le reconditionné, la mobilité douce, la location de vêtements, la seconde main. Elle a aussi un rôle énorme de pédagogie et d’éducation… 

Communiquer responsable, c’est donner la part-belle à des approches rédactionnelles, avec davantage de contenus, d’infographies… En fait, la communication ne se résume pas uniquement à l’affichage et aux spots TV.

C’est finalement d’un nouveau récit dont nous avons besoin autour de cette transition environnementale. Comment le faire émerger ? 

L’enjeu majeur, c’est selon moi de rendre désirable la sobriété. 

Jusqu’ici, les sujets de transition écologique étaient vus comme l’apanage de militants écolos, un peu caricatural donc… En fait, la sobriété peut aussi apporter du bonheur et du bien être.

La communication doit montrer ce qui est cool, ce vers quoi l’on peut se projeter : rendre désirable la réparabilité, faire l’éloge de la lenteur… Ce rôle, c’est aussi celui des journalistes et des influenceurs, qui détiennent une certaine visibilité. 

Enfin, il est important de trouver de nouvelles formes créatives pour rendre les sujets techniques plus accessibles. On peut prendre exemple sur le succès de Un Monde sans Fin, de Jancovici, qui utilise les codes de la BD pour faire passer des apports scientifiques complexes. 

La transformation des modèles des entreprises passera par l’adhésion des collaborateurs. La communication peut-elle y contribuer ?

Selon moi, le premier client d’une entreprise est son collaborateur et donc, nous ne parviendrons pas à changer les modèles sans mobiliser les collaborateurs. 

La communication doit mobiliser autour d’une mission de l’entreprise, qui fait sens aux collaborateurs. Par exemple, quand j’ai travaillé pour la SNCF, il a d’abord été essentiel de toucher les collaborateurs à travers nos campagnes avant même de s’adresser aux voyageurs. 

Une fois convaincus de la mission, les collaborateurs sont les meilleurs ambassadeurs. 

La loi peut aussi accélérer cette transformation. La mesure “anti-greenwashing” de la loi Climat et résilience entrée en vigueur en ce début d’année est déjà vue comme une petite révolution par les professionnels de la communication, pouvez-vous nous l’expliquer ?

Cette loi permet l’interdiction de faire du greenwashing (communiquer sur la neutralité carbone de ses produits sans pouvoir le prouver). C’est une première car, à part la loi Evin qui interdisait la publicité sur l’alcool et le tabac, aucune autre loi ne contraignait à ce point les annonceurs. 

Il y a donc désormais un risque financier, puisque les entreprises risquent une amende pouvant aller jusqu’à 80% des dépenses de communication initialement engagées, mais aussi un risque réputationnel car ces dernières devront communiquer sur leur condamnation. 

Le rôle et la responsabilité des communicants vont donc être amenés à évoluer substantiellement. Quelles seront les compétences et connaissances clés pour le communicant de demain ? 

Les communicants devront donc savoir rendre simples des notions techniques et complexes. 

Pour pouvoir accompagner leurs clients, les communicants de demain devront aussi se former aux sujets environnementaux et à la réglementation, qui sera de plus en plus contraignante. 

La créativité sera une compétence de plus en plus importante, notamment pour parvenir à écrire de nouveaux récits, mais aussi pour trouver de nouveaux leviers de communication, compatibles avec cette nouvelle réglementation. 

Les sujets étant complexes, il faudra faire davantage de co-construction avec les parties prenantes, les ONG, les autres agences, tout en admettant que l’on ne sait pas tout. Cet aspect sera nouveau, car l’esprit de collaboration entre pairs n’a pas toujours été le fort des agences. 

Et enfin, Marina, quels sont vos futurs désirables ?

Pour la communication, je dirais que d’ici 2030, il n’y aura plus que de la communication d’engagement. 

Mon futur désirable, c’est aussi une société plus juste, plus respectueuse de la planète, avec plus de liens de solidarité entre les générations. 

Enfin et à titre plus personnel, mon souhait est de voir cette nouvelle génération, plus engagée, se mettre en action. Quand je vois mes enfants réfléchir à leur avenir, c’est le sens et l’impact qui les drivent. Je trouve ça beau, car à mon époque, c’était plutôt les sujets d’employabilité et de salaire qui importaient. 

Si le dérèglement climatique est perçu à travers des événements extrêmes fortement médiatisés, l’effondrement de la biodiversité avance encore à bas bruit. 

La nature décline pourtant à un rythme effrayant et nos modes de vies détruisent irrémédiablement le monde sauvage qui nous côtoie encore. 

En France, selon un rapport de 2018, la population des oiseaux des villes et des champs a décliné de 30 % en trente ans. En Europe, sur la même période, les populations d’insectes ont chuté de près de 80%, selon une étude internationale publiée par la revue PLoS One. Enfin, à l’échelle du globe, l’Indice Planète Vivante révèle que 68 % des populations de vertébrés ont disparu en moins de cinquante ans.

Arrêtons-nous là, les chiffres sont désormais connus de tous. Le constat est expertisé, les voyants sont au rouge et attestent d’une sixième extinction des espèces, dépassant les précédentes par son rythme effréné. Les causes sont connues, elles-aussi, du changement d’affectation des sols au dérèglement climatique, de la pollution à la surexploitation des milieux naturels. Elles pointent irrémédiablement du doigt l’Homme et son modèle de développement.

Pourtant, le système résiste et se nourrit toujours des mêmes indicateurs productivistes et prédateurs, des mêmes modèles mortifères. 

Le cercle de l’inaction perdure, engendré par la frilosité des acteurs économiques, la crainte des décideurs politiques et l’attentisme, parfois, des consommateurs. Les freins au changement sont immenses, les avancées restreintes, lorsque l’état d’urgence devrait nous éloigner des demi-mesures. 

“Il s’agit aujourd’hui d’agir vite et de façon beaucoup plus radicale, à tous les niveaux de la société”

 

Il s’agit aujourd’hui d’agir vite et de façon beaucoup plus radicale, à tous les niveaux de la société, pour transformer cette spirale de l’inaction en vortex de la régénération. La survie de la biodiversité et accessoirement de l’espèce humaine en dépend.

Les entreprises, au cœur de la problématique, détiennent une grande partie des clés. Aucun résultat substantiel ne sera atteint sans un changement profond de leurs modèles d’affaires et de leur gouvernance. Elles doivent pour cela mieux comprendre leurs dépendances et leur impact sur le vivant et inventer un nouveau modèle régénératif, parfois synonyme de renoncements. 

“Cette mutation sera d’autant plus facile à accepter que la destruction de la planète programme, à court ou moyen termes, leur propre disparition”

 

Cette mutation sera d’autant plus facile à accepter que la destruction de la planète programme, à court ou moyen termes, leur propre disparition.

La tâche est d’ampleur, n’en doutons pas, mais n’est-il pas réjouissant pour les salariés et dirigeants de contribuer, au sein même de l’entreprise, à la protection et à la régénération du vivant ? 

Pour volontaristes qu’elles soient, les entreprises n’y arriveront pas seules. Le rôle du politique est lui aussi primordial. Il doit construire le cadre, faire émerger les justes incitations et produire les nouvelles réglementations permettant au monde économique de se mettre en mouvement. 

Elles seront aussi aiguillonnées par des citoyens de plus en plus conscients dont les modes de vie n’auront de cesse d’évoluer.

Cette transformation passera par une reconnexion de chacune et chacun d’entre nous au vivant, lorsque notre monde moderne nous en a coupé. Notre sensibilité retrouvée au monde animal et végétal nous poussera à agir, dans notre sphère personnelle ou professionnelle.

C’est bien le message du dernier rapport de l’IPBES, qui nous enjoint à reconsidérer les valeurs de la nature contre le profit à court terme.

Gardons espoir donc, car les écosystèmes marins ou terrestres ont la capacité de se régénérer. Gardons espoir aussi, car la nature est une cause sensible capable d’accélérer notre mobilisation. 

Si nous souhaitons que les générations futures connaissent le chant des mésanges, la beauté d’un ruisseau et toutes les émotions que génère la nature, c’est aujourd’hui qu’il faut agir, avec détermination et radicalité.

Jérôme Cohen

Tribune parue dans Les Échos le 2 décembre 2022

Cette semaine, nous revenons sur plusieurs concepts, souvent abordés dans le secteur de la transformation environnementale et sociale : limites planétaires, jour du dépassement, Théorie du Donut… Le point avec Jérôme Cohen, Président fondateur d’ENGAGE.

Peux-tu tout d’abord présenter succinctement la raison d’être d’ENGAGE, sa mission et ses activités ?

ENGAGE a pour mission de lutter contre le manque d’action significative des personnes et des organisations pour opérer une bascule écologique. C’est ainsi que nous définissons notre raison d’être. Nous voulons permettre aux citoyens et aux organisations de se saisir des grands défis environnementaux et sociaux, car comme tu le sais, les enjeux environnementaux et sociaux sont intimement liés.

Pour cela, notre métier consiste à créer les programmes et les outils d’engagement collectif : le Mooc Biodiversité ou l’atelier Mission Biodiversité, par exemple, pour construire une société prospère, participative et écologique.

Cela résonne avec la notion des limites planétaires, dont nous entendons de plus en plus parler. Peux-tu nous les expliciter ?

Il y a en effet 9 limites planétaires *. Certaines, comme le dérèglement climatique, la crise de la biodiversité ou l’acidification des océans sont déjà dépassées. Cela signifie que, sur ces dimensions, nous puisons profondément dans nos ressources, qui n’ont pas le temps de se reconstituer. On peut relier cette analyse avec le jour du dépassement.

*voir l’article qui y est consacré dans cette ActionLetter ici

Six de ces neuf limites sont déjà dépassées ou sur le point d’être dépassées, n’est-ce pas trop tard ? Peut-on encore agir lorsque l’on voit l’état de nos écosystèmes ?

Non, il n’est jamais trop tard pour agir. Prenons l’exemple concret de l’une de ces limites, l’appauvrissement de la couche d’ozone atmosphérique. Cette limite était dépassée mais suite aux accords de Montréal, nous sommes repassés en dessous. Cela montre qu’en agissant à une échelle mondiale et coordonnée, il est possible d’inverser des tendances et rapidement de surcroît.
Prenons un autre exemple, celui du climat. La limite est certes dépassée, mais tous les efforts et toutes les réductions d’émissions sont fondamentales car vivre dans un monde à 2 ou 2,5 degrés n’a pas la même signification pour la planète et donc pour les Hommes.

Sans rentrer trop dans les détails, l‘entreprise régénérative se fonde pour moi sur quatre principes : décarboner, restaurer, protéger et coopérer.

Cette notion est de plus en plus reliée à celle d’économie ou d’entreprise régénérative, pourquoi ?

L’impact des entreprises est massif. Un rapport du Shift Project estimait l’impact des entreprises sur les questions climatiques (mais on peut l’élargir à l’impact environnemental) à 70% de l’impact global. Cela veut évidemment dire que la contribution des entreprises dans la transition est absolument fondamentale. Il est donc de notre responsabilité d’inventer une nouvelle économie, un nouveau modèle qui, au lieu de détruire nos écosystèmes, les protège voire participe à leur régénération.

L’entreprise régénérative permet de passer d’une logique d’extraction et d’épuisement à un modèle qui se met au service du vivant, dans toutes ses acceptions.
Sans rentrer trop dans les détails, l‘entreprise régénérative se fonde pour moi sur quatre principes : décarboner, restaurer, protéger et coopérer. On parle ici de protection du capital naturel donc, mais aussi du capital humain. Nous pourrions parler d’économie du bien-être ou du soin, appliquée à la nature, au vivant et à l’Homme (dont il fait partie).

Cela implique des transformations majeures pour l’entreprise, lesquelles ?

Oui, bien sûr. Personne ne dit que cette transformation massive sera simple. Mais la transition sera difficile pour tous les acteurs, particuliers comme organisations.
Si l’on reprend chacun des principes un par un :

  • Décarboner, cela veut dire favoriser la circularité et l’éco-conception, favoriser l’usage et la fonctionnalité puis arbitrer, rediriger ses activités (on peut prendre l’exemple des stations de ski).
  • Restaurer, cela veut dire restaurer les puits de carbone, les écosystèmes, ce que l’on pourrait aussi appeler les communs.
  • Protéger, nous parlons encore des écosystèmes, des communs, mais cela veut dire aussi prendre soin des Hommes, de leurs conditions de vie, qu’ils soient des consommateurs, des salariés directs ou chez nos fournisseurs en assurant une juste rétribution et un sens à leur travail.
  • Enfin coopérer s’applique à notre relation au vivant mais aussi favoriser au sein ou à l’extérieur de l’entreprise des modes collaboratifs, participatifs.

On voit donc que l’entreprise régénérative touche autant la nature que l’Homme et implique des transformations dans ses activités mais aussi dans sa gouvernance.

Dernier point peut-être, cela nécessite un accompagnement fort des pouvoirs publics et un changement des pratiques des citoyens-consommateurs.

L’économiste Kate Raworth a formalisé la Théorie du Donut, un outil permettant de visualiser les limites écologiques et sociales à ne pas dépasser pour conserver un développement économique inclusif et durable. Cet outil représente-t-il une première brique sur laquelle les entreprises pourraient s’appuyer ?

Absolument, c’est l’un des outils pouvant être utilisé puisqu’il intègre ces notions. Il nous invite à faire se rejoindre la notions de limites planétaires et les besoins fondamentaux de chaque personne. La partie verte symbolise l’espace dans lequel doivent vivre les 8 milliards d’habitants de la planète entre le plafond et le plancher.


D’ailleurs, cette théorie ne s’applique pas seulement aux entreprises mais aussi à d’autres types de systèmes et d’organisations comme les villes. Amsterdam a, par exemple, fondé sa stratégie de développement sur cette théorie à horizon 2050 avec de nombreuses applications, sur l’immobilier par exemple. Comment établir une stratégie habitat, respectueuse de l’environnement (stratégie émission 0 en 2050) et capable de loger tous les habitants dans des conditions descente, pour l’exprimer simplement.

Voir ici un article d’Oxfam sur la Théorie du Donut.

Dans une récente interview, tu insistais sur la nécessité de repenser, individuellement et collectivement, notre rapport au vivant. Qu’entends-tu par là ?

Je pense simplement que rien de tout cela ne pourra être mis en place sans repenser notre place, sans repenser notre rapport au vivant, sans repenser notre système de valeurs, même si ce mot est bien sûr à prendre avec des pincettes. Cela nécessite de revoir notre éducation, dès le plus jeune âge, notre système de représentation. Lorsque l’on pense qu’un enfant américain peut reconnaître et nommer en moyenne trois essences d’arbre de sa région et cinq cents marques (je n’ai pas les chiffres pour la France ou l’Europe), on peut estimer le chemin à parcourir.
L’Homme fait partie du vivant, nous avons eu tendance à l’oublier et à nous considérer comme surpuissant, prédominant…le retour de bâton est violent.

Et enfin, Jérôme, quels sont tes futurs désirables ?

Je crois qu’il faut d’abord se reposer les questions premières. Pourquoi sommes-nous sur terre ? Quel est notre essentiel ? Ce sont certainement des évidences mais il me paraît utile de les rappeler.
Je pense qu’il faut retisser un lien perdu, fondamental.
Je rêve finalement de futurs ou de présents désirables dans lesquels nos enfants pourront encore s’émerveiller du chant d’un rossignol, de la beauté d’un paysage montagneux ou d’un été dans les champs.

 

Retrouvez également ici le Live Linkedin de Jérôme Cohen sur l’entreprise régénérative.