Cette semaine, avec Yannig Raffenel, fondateur de Blended Learning, du Learning Show et président d’Edtech France, nous faisons le point sur les apports et les limites de l’innovation technologique sur nos façons d’apprendre.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis slasheur donc j’ai beaucoup de casquettes différentes et complémentaires. Toutes ont à voir avec l’usage des outils sociaux-éducatifs et technologiques et avec la formation.

Aujourd’hui, je suis à la tête d’une société de conseil qui s’appelle Blended Learning, et qui fait de l’accompagnement à la stratégie de digital learning pour les organisations.

Parallèlement, je donne 50 à 70% de mon temps en bénévolat puisque je suis le fondateur et président du Learning Show depuis 6 ans, administrateur de 3 hubs Edtech régionaux, puis président de Edtech France qui regroupe toutes les entreprises qui travaillent dans le monde de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle.

En quoi l’usage des technologies a-t-il bouleversé le secteur de l’éducation et les manières d’apprendre ?

Il paraît avant tout essentiel de préciser que c’est bien l’usage des technologies et non pas la technologie en tant que telle qui a bouleversé les choses. La technologie n’a aucun sens si elle n’est pas au service des usages.

Bien sûr, l’une des plus grosses modifications, mais qui n’est pas nouvelle, c’est la possibilité de se former à distance et donc de lutter contre les déplacements et autres contraintes liées au temps. Là où les choses bougent en ce moment, c’est quand ces technologies sont le support de pratiques pédagogiques innovantes. Ces pratiques technologiques sont fondamentales.

Ce qui est intéressant, c’est de voir combien des concepts qui ont plus de cent ans, comme l’auto formation, la formation par les pairs ou le développement de l’intelligence collective, se trouvent boostés par l’usage des outils technologiques.

Quels sont les apports du digital pour le secteur de l’éducation ?

Les aspects transformateurs et innovants sont, d’un côté, l’arrivée de l’intelligence artificielle, pour peu qu’elle soit couplée aux recherches en sciences cognitives (apprendre à apprendre, renforcement mémoriel par exemple), et d’un autre côté, tout ce qui est apporté par la réalité augmentée et qui permet d’apprendre par les sens, au travers de la simulation et de l’immersion.

L’intelligence artificielle permet également à l’enseignant de mettre les élèves en situation de pratiques auto-formatives, pour pouvoir être plus disponible pour accompagner ceux qui en ont davantage besoin.

Tout cela est valable aussi bien sur l’éducation que sur la formation professionnelle. À l’exception près que l’on ne peut pas utiliser de réalité augmentée en dessous de 11 ou 12 ans.

À l’inverse, quelles sont les limites pour les apprenants et ceux qui font apprendre ?

Tous ces outils n’ont rien de magique : les acheter sans renforcer l’accompagnement humain, ça ne marche pas. Ces outils ne fonctionnent que si des ressources humaines d’accompagnement sont mises en place. C’est fondamental car seulement 5 à 6% de la population est équipée pour apprendre seule.

Autrement, il faut faire attention à ne pas créer de la ségrégation entre ceux pour qui l’accès est simple et ceux qui n’ont pas l’accès matériel ou ont des difficultés, (problèmes comme l’illectronisme). En revanche, les solutions importées par le digital sont très performantes et permettent l’inclusion de personnes neuro atypiques par exemple.

Enfin, il faut aussi prendre en compte l’importance de la low tech, qui nécessite d’être développée. Il faut savoir aller explorer dans la frugalité pour pouvoir déployer l’Edtech pour le plus grand nombre. À titre d’exemple, on travaille beaucoup avec le continent Africain, qui a une réelle expertise en low tech, et qui réussit à déployer des dispositifs qui s’adaptent totalement aux outils que les utilisateurs ont déjà dans les mains (les téléphones par exemple, sans être dernier cri).

Un autre chamboulement est celui de l’intelligence artificielle, notamment avec l’ascension de ChatGPT ces derniers mois. En quoi cela vient faciliter, ou perturber, les avancées en matière d’innovation pédagogique ?

Cela permet de réinventer quelque chose de fondamental : le savoir est partout, et le rôle d’un enseignant n’est pas tant de transmettre du savoir que d’accompagner et faire développer la compétence.

Par essence, toutes les ressources produites avec de l’IA, vont permettre aux enseignants d’avoir du temps dégagé pour se recentrer sur leur valeur ajoutée forte.

L’avenir de l’apprentissage réside-t-il selon vous dans le “tout digital” ou dans une combinaison “physique/ digital” ?

En aucun cas nous ne pouvons continuer à poursuivre cette vision du monde du tout digital. La question n’est plus de savoir ce qui est “mieux” entre présentiel et distanciel, entre humain et numérique, mais de comprendre comment construire des dispositifs qui vont prendre le meilleur de chacun des modes en les mixant.

Si la technologie, l’intelligence artificielle ou la réalité virtuelle sont devenues incontournables, que faire pour s’assurer que ces innovations soient inclusives et intègrent aussi ceux qui n’ont pas l’accès matériel ou fonctionnel à ces outils ?

C’est en effet un vrai défi et les biais sont là en permanence. Je reviens de Guyane ou de Mayotte, qui sont pourtant des départements français : si on pouvait au moins avoir du courant et du wifi… ça serait bien.

Ces approches technologiques ne sont pas inclusives par définition. C’est donc la responsabilité des collectivités et de l’État de mettre en place les moyens pour les répandre, grâce au développement de tiers lieux par exemple. Les concepteurs doivent aussi matérialiser tous les moyens pour permettre une transversalité des ressources. C’est-à-dire que lorsque l’on conçoit un outil, il doit pouvoir être utilisable aussi bien sur téléphone que sur ordinateur. Dans la réalité virtuelle, il y a de plus en plus de “full web” qui va simuler l’immersion, sans avoir besoin de casque.

Finalement, il faut s’ouvrir aux contraintes des utilisateurs et apprenants.

Quelle peut-être la place des technologies pour diffuser les compétences et connaissances clés de la transition environnementale et sociale ?

Aujourd’hui, il est essentiel pour les formateurs et les enseignants de ne surtout pas produire de contenu. Il faut se mettre dans une posture particulière et se dire : ce pourquoi j’aimerais créer un contenu, existe probablement déjà. Faisons du benchmark, arrêtons de produire alors que les ressources existent déjà, centrons notre plus value pédagogique dans l’utilisation des ressources qui existent déjà en inventant les activités pédagogiques. Il en est de l’ordre de la responsabilité environnementale.

Cela nécessite en revanche la mise en place d’un cadre légal pour réguler, simplifier les déclarations et indexer les ressources utilisées et produites pour éviter le vol, grâce à un guichet unique par exemple

Justement, selon vous, peut-on conjuguer digital et sobriété ?

Oui à condition de ne pas aller dans les fantasmes du metavers. Oui à condition d’aller dans ces logiques de low tech et de ne pas consommer de la bande passante à l’extrême. De la même manière qu’il faut se recentrer sur la plus-value pédagogique, il faut questionner notre capacité à mesurer l’impact et à juger l’intérêt des médiums utilisés.

Et enfin, vos futurs désirables, Yannig ?

Mes futurs désirables, c’est justement d’aller vers un monde dans lequel chacun peut avoir un véritable accès à des ressources. C’est aussi un monde dans lequel on investit un maximum au niveau des tiers lieux : des espaces dans lesquels on pourrait développer de l’éducation populaire, dans lesquels on mélange de la culture, de l’échange de pratiques, des relations sociales entre les personnes.

Le digital doit servir à rapprocher les gens, quand il sert à les éloigner, on est à l’inverse du monde que je désire.