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Après plusieurs années passées à repérer et accompagner des Entrepreneurs Sociaux innovants, Florence Rizzo a choisi de se concentrer sur l’innovation et le changement social dans le domaine éducatif. Elle a fondé SynLab, qui accompagne les enseignants, les cadres et les formateurs du monde éducatif à développer leur potentiel d’acteurs du changement au cœur du système public.

 

Pourquoi as-tu lancé Synlab  ?

Synlab a pour mission d’accompagner la transformation du système éducatif par l’empowerement des enseignants et des chefs d’établissement dans la transformation de l’éducation. Issue d’une famille immigrée italienne, aucun de mes deux parents n’a le baccalauréat et a fait des études supérieures. Tous les deux convaincus que l’éducation était la seule voie de mobilité sociale, j’ai eu la chance de faire mes études dans des « grandes écoles ». Mais j’ai ressenti beaucoup de colère et de révolte contre la reproduction des élites, considérant que je faisais partie de la minorité des 5 à 10% qui ne venaient pas des élites intellectuelles ou économiques.

J’avais profondément envie de m’engager au service de l’intérêt général, au départ en travaillant de façon transversale sur des questions de santé, de pauvreté et d’éducation. En 2010 j’ai voulu investir mes compétences dans un seul domaine pour avoir plus d’utilité sociale et de capacité de transformation et l’éducation s’est imposée comme une évidence car c’était pour moi la cause racine de la transformation des sociétés. Pour contribuer à l’élévation de la conscience et à la réduction des inégalités, il faut travailler dès le plus jeune âge sur l’évolution des modes de représentation. Ça a été le point de départ de l’aventure Synlab.

 

 

Aujourd’hui, il existe un déficit de connaissance des enjeux, d’une part, et des croyances très ancrées, d’autres part. Comment faire évoluer cela ?

Il y a tout d’abord je crois la question du conditionnement et de la prise de conscience des individus de ce conditionnement. Cela constitue la première étape pour évoluer et implique d’apprendre à désapprendre pour déconstruire ce que l’on croit savoir.

Avec Synlab, nous avons élaboré des outils et des ressources qui permettent au corps enseignant de déconstruire les croyances erronées, par exemple celles sur l’intelligence. Soit tu penses que l’intelligence est fixe et tu vas plus avoir une vision déterministe et formatée, soit tu penses que l’intelligence est flexible c’est-à-dire que tu vas apprendre tout au long de ta vie, construire et déconstruire, évoluer toi-même et faire évoluer la société en même temps.  Pour transformer le domaine éducatif et la société, il est donc essentiel que les enseignants aient conscience des déterministes sociaux et des croyances structurantes pour se déconditionner.

Nous avons ainsi mené une enquête auprès de mille enseignants pour mesurer l’impact de la méritocratie sur la réalité des pratiques pédagogiques. Ce que l’on observe, c’est que les enseignants qui croient en la méritocratie vont mettre en place des pratiques pédagogiques très compétitives qui vont stigmatiser l’erreur, valoriser les quelques têtes de classe mais vont desservir la majorité dans leur progression. Ce type d’approche est en grande partie responsable de notre rang dans le classement PISA, avec une école qui accroît les inégalités puisqu’un enfant qui vient de milieu défavorisé a quatre fois moins de chance de faire partie des bons élèves. On peut très clairement agir sur les pratiques pédagogiques que les enseignants mettent en place pour tenter de réduire ces inégalités. Nous avons notamment lancé le programme Enjeu (R)Accrochage qui permet aux enseignants de poser un diagnostic sur leur classe pour anticiper les risques de décrochage de leurs élèves et ainsi adapter leur stratégie pédagogique pour réduire les écarts de niveau.

 

« Pour transformer le domaine éducatif et la société, il est essentiel que les enseignants aient conscience des déterministes sociaux et des croyances structurantes pour se déconditionner. »

 

 

Cette transformation du système éducatif ne risque-t-elle pas d’arriver trop tard au regard de l’urgence écologique que nous connaissons ?

L’école doit préparer à la société qui vient. Elle doit donner à la fois la confiance, les compétences et le cadre de sécurité qui permet de prototyper et de tester des solutions pour demain. L’école doit être en avance sur la société mais pour cela il faut lui donner les moyens. Est-ce que cela arrivera trop tard ? Je pense que chaque génération a connu des crises qu’elles ont su surmonter. Je fais confiance en l’être humain pour transformer positivement la société.

 

As-tu un exemple concret de pays, de ville ou de territoire, ayant développé des expériences concluantes de transformation du système éducatif ?

La Finlande est un exemple avec notamment la mise en place d’un moratoire sur les réformes. C’est-à-dire que les finlandais se sont mis d’accord, à l’échelle de la nation, sur les priorités à tenir pour améliorer le système éducatif. Ils ont réussi cette transformation car pendant 20/30 ans ils ont eu une stabilité de leur vision et de leur mode de pilotage, liée à une union nationale. C’est un processus très sain qui a engendré un débat public, la stabilisation des réformes, leur mise en place et puis leur évaluation.

Je suis persuadée que l’évolution des systèmes est soit liée à la capacité à construire une vision commune à l’échelle nationale et à la piloter, soit à la délégation du pouvoir et de l’autonomie à des échelons infranationaux comme au Canada où des provinces comme l’Ontario peuvent mettre en place les bonnes stratégies politiques en étant au plus près des besoins des citoyens.

La Finlande a aussi apporté une immense attention à la formation des enseignants. C’est un métier là-bas très valorisé et bien rémunéré. C’est pour moi déterminant car la qualité d’un système éducatif ne peut pas dépasser celle de ses enseignants. Un autre élément culturel clé est leur capacité à dépasser une vision unique de la réussite, ce qui permet à chaque enfant de trouver sa propre trajectoire d’audace et sa place. Il y a quand même des points de vigilance sur la transposition, notamment la différence d’homogénéité culturelle et de culture d’égalité entre la France et la Finlande.

 

« L’évolution des systèmes peut-être liée à la capacité à construire une vision commune à l’échelle nationale et à s’y tenir ou à la délégation du pouvoir et de l’autonomie à des échelons infranationaux. »

 

Quels seraient tes futurs désirables ?

A court terme, il y a un vrai sujet démocratique avec les élections de 2022. Je souhaiterais l’introduction du tirage au sort de celles et ceux qui ont la responsabilité temporaire d’œuvrer au service du bien commun afin de neutraliser les égos et la conquête du pouvoir.

D’un point de vue de l’éducation, j’aimerais que les dirigeantes et dirigeants prennent conscience de la nécessité d’investir dans la formation des enseignants en France pour faire évoluer le système éducatif, au service d’un pacte républicain c’est à dire que l’école soit intégrée dans la société, que les parents et enseignants travaillent ensemble afin que les jeunes générations soient éduquées et capable de relever les défis auxquels elles feront face.

Sinon, plus largement, je rêve que l’être humain ait la conscience nécessaire pour fonctionner dans le respect de lui-même, des autres et de l’environnement…

 

Jérôme Cohen est fondateur et président d’ENGAGE dont la mission est d’aider les citoyens et les entreprises à se saisir des grands défis du XXIème siècle. Il est également co-fondateur du Grand Défi dont l’ambition est de fédérer le monde de l’entreprise face aux défis environnementaux.

 

Le facteur humain est-il fondamental dans la transition ?

Le facteur humain est au cœur de la transition car cette dernière nécessite de se remettre en question individuellement, de déconstruire certaines de nos croyances, certains de nos réflexes en termes de comportements et de connaissances, devenus aujourd’hui incompatibles avec un monde durable. Il nous faut revoir le logiciel qui a accompagné notre société depuis l’après-guerre, notre rapport à l’autre, au monde, qui a imprégné à la fois notre vie personnelle mais également notre vie dans les organisations et les entreprises.

Cette transition passe d’abord par une prise de conscience. Elle passe aussi par l’acquisition de connaissances profondes liées aux enjeux de la transition – environnement, gouvernance, technologie, leardership – et par le développement de compétences qui n’étaient pas celles jugées comme prioritaires il y a encore quelques années. Cette transition individuelle résonne donc avec une transition à plus grande échelle, une transition collective, organisationnelle et sociétale.

C’est tout cela, le facteur humain, qui peut constituer un réel frein comme un puissant levier de transformation.

 

Quelles compétences devons-nous développer pour contribuer à cette transition ?

Ces compétences sont d’ordre individuel mais aussi collectif. Une des premières compétences est la créativité. En effet nous observons la claire nécessitée de réinventer ce qui est aujourd’hui défini comme un modèle solidement accepté. Pour cela, il nous faut penser hors des cadres, hors des cases et ne plus s’appuyer sur certains réflexes conditionnés. Il nous faut adopter une posture créative profonde afin de pouvoir remettre en question, en permanence, nos habitudes.

Je parlerais également de la notion d’apprentissage profond, comme l’explique François Taddei dans son livre Apprendre au XXIème siècle, nous devons  apprendre à apprendre. Dans un monde en mutation, il est essentiel d’adopter une posture permanente d’apprentissage.

Cette transition touche également la question du rapport à l’autre et nos façons d’interagir : qu’attendons-nous de l’autre ? Il faut développer nos compétences en termes de communication, d’écoute active, d’ouverture à l’autre, d’empathie.

Enfin et surtout peut-être, j’appuierais sur les notions d’intelligence et de prise de décision collectives. Les enjeux sont complexes, les solutions le seront aussi, et nécessitent de combiner des intelligences, des expertises, des expériences, des sensibilités variées. Cela nécessite d’inclure et de respecter les idées d’autrui, différent de moi. Ce recours à l’intelligence collective est nécessaire à l’échelle des organisations comme à celle des sociétés.  C’est en nous appuyant sur la collaboration que nous trouverons des réponses à des défis, par essence, globaux.

J’ajouterais que nous devons surtout, presque prioritairement, repenser notre rapport au vivant, dans une approche philosophique voire spirituelle. Quelle est notre juste place ?

 

« Nous devons surtout repenser notre rapport au vivant :
quelle est notre juste place ?
»

 

 

Comme cela s’incarne-t-il en entreprise ?

L’entreprise est en soi un écosystème et fait partie d’un écosystème. Son rôle sera crucial dans la transition. C’est un système complexe composé d’humains.

Le facteur humain est donc nécessairement au cœur de la transition des organisations. Il est à la fois source des blocages de l’entreprise (en développant des freins par manque de connaissance, de conscience ou d’audace) et à la fois moteur de la transformation. Le niveau managérial n’est d’ailleurs en rien un indicateur de la capacité d’un collaborateur à constituer un frein ou un moteur pour la transformation de l’entreprise.

Pour évoluer, l’entreprise doit devenir un lieu de connaissance, un lieu de créativité et de remise en cause, d’intelligence collective à la fois verticale et horizontale. Elle doit permettre de relier tous les échelons managériaux pour que l’émergence d’idées et la prise de décision soient partagées. La stratégie doit nourrir l’opérationnel et vice-versa.

L’entreprise doit également endosser un rôle politique dans la cité. C’est un organisme vivant qui interagit avec son écosystème, ses parties prenantes – ONG, territoires, citoyens, élus… C’est par cette rencontre et cette porosité que l’entreprise pourra participer efficacement à sa propre transformation et à celle de la société. C’est notamment ce que nous promouvons avec le Grand Défi des entreprises pour la planète, en faisant converger les points de vue, en renforçant le dialogue entre les acteurs de l’économie et de la société civile.

 

 

« Pour évoluer, l’entreprise doit devenir un lieu de connaissance, un lieu de créativité et de remise en cause, d’intelligence collective à la fois verticale et horizontale. »

 

 

Concrètement, comment ENGAGE intègre-t-elle le facteur humain dans son approche ?

ENGAGE intègre le facteur humain dans son accompagnement des individus que les collectifs.

L’ENGAGE University, avec ses différents programmes et notamment le Programme Transformation, travaille sur l’acquisition des connaissances et compétences nécessaire à un monde en transition. Elle permet aux participants d’expérimenter de nouvelles façons de faire, d’agir. Nous mêlons beaucoup les profils afin que chacun interagisse avec d’autres différents de soi, s’enrichisse, apprenne. Cela permet ensuite aux participants d’intégrer ces pratiques dans leurs entreprises et organisations.

C’est aussi ce que l’on promeut au travers des défis comme le Défi Biodiversité. Nous cherchons à relier des écosystèmes -citoyens, ONG, entreprises, médias- pour mêler les perspectives, les contributions.

Dans ENGAGE Corporate, le facteur humain s’incarne à toutes les phases de l’accompagnement des entreprises. Nous mêlons toujours les sessions d’apprentissage et les ateliers de créativité ou d’intelligence collective. Apprendre sur les enjeux, bien sûr, mais aussi se les approprier collectivement, accélérer le dialogue, faciliter l’émergence de projets partagés.

Nous invitons également les collaborateurs à penser l’entreprise comme un organisme inter-relié à son écosystème, vivant d’échanges permanent, en interne comme en externe.

 

Comment relier ces futurs désirables auxquels nous inspirons et cette notion de facteur humain ?

Un futur désirable, c’est un futur où chacun a pris conscience de la fragilité de l’autre et de son environnement et a fait de cette conscience son moteur pour mener à bien la transition à travers sa pensée et ses actes.

 

 

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