Bien plus qu’une ferme urbaine ouverte au public, Zone Sensible se définit comme un lieu de production d’art et de nourriture. Il se passe toujours quelque chose  d’engagé, voire de politique sur ce territoire nourricier. Rencontre avec son fondateur, le plasticien apiculteur Olivier Darné.  

 

Olivier, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis plasticien de mon état depuis 35 ans et apiculteur depuis 25 ans. Je cumule les mandats. Les abeilles ont agi comme un révélateur y compris dans mes pratiques artistiques. Le point de vue des abeilles questionne les différentes façons que j’ai d’intervenir dans l’espace urbain.

 

Vous avez fondé le Parti Poétique qui développe des projets artistiques autour des thèmes NATURE + CULTURE + NOURRITURE. Quelle en est la genèse  ?

Le Parti Poétique est né en 2003 d’une volonté de partager toutes mes découvertes en tant que plasticien avec mes abeilles, à un cercle plus étendu. C’est un collectif artistique sous le format associatif qui s’apprête à fêter ses 20 ans. Nous axons nos travaux sur l’art et l’environnement. En 2011, j’ai décidé de prendre exemple sur les abeilles : elles sont mobiles car elles partent d’un point. J’ai alors fait le pari d’un lieu, nous nous sommes installés dans une maison d’un quartier ouvrier de Saint-Denis. Zone Sensible fut notre premier quartier général, une zone de sensibilité et de sens.

‘A cette volonté de nourrir les ventres s’ajoute la volonté de nourrir les esprits par des questionnements, à travers des évènements qui regroupent des chercheurs, des cuisiniers et des artistes.’

 

Que représente Zone Sensible aujourd’hui ?

Dans le cadre de la création d’une académie de cuisine à Saint-Denis en 2016, on a découvert qu’une ferme maraîchère d’un hectare, propriété de la ville depuis 1983 cherchait un repreneur. Il s’agit de la dernière ferme du 19eme siècle encore en activité aux portes de Paris. Je voulais participer à la sauvegarde de ce patrimoine et le réinventer. A l’époque, la ferme produisait 1,5 millions de salades chaque année, loin de notre modèle agricole souhaité. Nous avons opté pour des cultures plurielles en créant un jardin en permaculture : sans intrants, ni pesticides, ni herbicides. Le lieu est aujourd’hui une terre nourricière, c’était l’engagement pris auprès de la municipalité.

A cette volonté de nourrir les ventres, nous avons la volonté de nourrir les esprits par des questionnements, à travers des évènements qui regroupent des chercheurs, des cuisiniers et des artistes. Petit à petit Zone Sensible est donc devenu un centre de production d’art et de nourriture, accessible et gratuit.

‘La ferme est devenue l’espace politique des temps futurs.’

 

Peut-on parler d’un lieu de résistance ? Quelle est son empreinte sur le tissu économique local ?

 Zone Sensible ne doit pas être catalogué comme un simple tiers-lieu, je dirais qu’il est un démonstrateur de passage à l’acte. Un lieu qui sert de démonstration sur les nouvelles façons de penser les espaces, la nourriture, la participation citoyenne et d’autres enjeux liés aux préoccupations environnementales et climatiques. Nous sommes aussi en train d’amorcer un virage pour faire de Zone Sensible un démonstrateur zéro carbone en supprimant le pétrole de tous nos usages.

De plus, on connait les difficultés d’un territoire comme Saint-Denis. Lorsque la pandémie a éclaté, beaucoup d’habitants se sont retrouvés en grande difficulté. Un projet agricole comme le nôtre sur un territoire comme celui-là, est forcément politique. La ferme est devenue l’espace politique des temps futurs. On a construit le programme « solidarité pandémique » afin de créer une boucle de solidarité alimentaire. Avec une quinzaine d’associations et de relais du territoire en capacité de distribuer la production agricole, nous avons offert 90% de notre production aux habitants les plus fragiles. Et nous continuons aujourd’hui nos actions.

 

Parlez-nous de vos prochaines actions.

On vient de lancer notre championnat du monde des cuisines du monde avec le département du 93. Il a pour ambition de valoriser les savoir-faire culinaires des habitants du quartier. Et pour ne pas enfermer Zone Sensible dans une logique d’agriculture exclusivement urbaine, nous avons créé son pendant dans le sud de la France, en Camargue : Regain ! On aura donc une programmation croisée entre la ferme urbaine à Saint Denis et cette ferme située dans la plaine de Crau à proximité d’Arles. Toutes deux développeront leur programmation autour de la culture, de l’art et de la nourriture.

 

La biodiversité est un thème central à ENGAGE. Quelles actions menez-vous en faveur du vivant chez Zone Sensible ?

La biodiversité est dans une souffrance extrême. Zone Sensible agit comme une poche sur un hectare. Nos méthodes naturelles accompagnent la biodiversité qui est encore en capacité de renouveau. On observe des hérissons et des insectes que je ne pensais pas retrouver au bout de seulement quatre ans de reconversion d’un sol qui n’était pas du tout biologique.

 

Et vos futurs désirables, quels sont t-ils ?

Je souhaite que toutes ces actions perdurent et que les initiatives se multiplient. On a beaucoup d’espoir mais il faut multiplier les expériences comme les nôtres.

 

Interview réalisée par Justine Villain