Articles

Il veut en finir avec les designers stars promoteurs de l’obsolescence programmée ! Frédéric Lecourt porte un Design pour le Vivant, design global qui prend en considération toute la chaîne et qui est une est une véritable arme de transformation douce. Il est aujourd’hui directeur de l’École de design pour le vivant.

Sandrine Bissoulet : Frédéric Lecourt, qui êtes-vous ?
Frédéric Lecourt : Je suis designer de formation. Après un premier petit boulot de 27 ans (J’ai co-fondé le studio Sismo), j’ai décidé de transmettre l’entreprise à mes salariés et je dirige aujourd’hui CY, l’Ecole de design pour de vivant.

Le design vivant, c’est une approche du design globale, systémique, faite d’interactions et d’incertitudes, comme le vivant.

SB : “Design pour le vivant “ : du design pour les petits oiseaux ?
FL : Pas du tout ! Ce n’est pas une vision bucolique du design. C’est une approche du design globale, systémique, faite d’interactions et d’incertitudes, comme le vivant.

SB : Design global, comme la santé globale ?
FL : Oui, c’est un changement de philosophie : c’est un peu comme passer de Descartes à Edgar Morin. La moindre petite chose est enchâssée dans un ensemble complexe, avec lequel elle interagit, par lequel elle est influencée et façonnée… Et cet écosystème interagit avec elle, est influencé et façonné par elle.

SB : En quoi le design global est-il différent ? Et en quoi il agit pour le vivant ?
FL : Pendant des années, le design a généré de l’obsolescence. Des canapés, voitures, téléphones ont été conçus pour devenir bons à jeter, pas quand ils ne marchaient plus, mais quand la représentation sociale qu’ils projetaient de leur utilisateur était dépassée.

Avec le design global, ça n’est pas possible car il considère chaque objet dans son ensemble : les matériaux nécessaires, leurs conditions d’extraction, les humains qui les fabriquent, le transport, le point de vente, l’utilisation (dont le stockage, la réparation), la fin de vie de l’objet (qu’est-ce qu’il devient, où va-t-il quand on le jette ?)…

Le design, c’est une arme de transformation douce.

SB : Le designer du futur c’est le designer global ?
FL : Oui, il faut en finir avec le designer star qui fait de de l’esthétique ! Le design doit redevenir une méthode, un mode de pensée.

SB : “La laideur se vend mal” selon Raymond Loewy : alors, on lui répond quoi ?
FL : C’est le cœur du problème : on ne doit plus se dire que le design est là pour embellir les choses et en vendre plus ou les vendre plus cher.

SB : Si le design n’est pas là pour embellir les choses, il sert à quoi ?
FL : Le design c’est une arme de transformation douce. Transformation parce qu’on commence par s’interroger sur le pourquoi, sans cahier des charges pré-défini, sans s’interdire quoi que ce soit ; tout est possible !
Douce parce que la transformation n’est pas imposée et qu’elle se co-construit : tu interroges, tu imagines, tu testes, tu modifies, en interaction permanente !

SB : Concrètement, ça change quoi de travailler avec un designer ?
FL : Prenons l’exemple d’une entreprise avec un projet de pont…
Aujourd’hui, elle va voir un ingénieur, qui va demander toutes les données et le cahier des charges pour proposer le pont optimal… Si elle s’adresse à un designer, il va demander qui doit traverser la rivière et pourquoi… Après avoir interrogé les parties-prenantes, proposé des options, testé… il va proposer un pont… ou une autre chose complètement différente !

SB : Et ça marche pour transformer des organisations ?
FL : Bien sûr, le design systémique est idéal pour des sujets complexes ! Tout le monde peut faire du design et appliquer sa méthode pour repenser tous types de sujets : techniques, humains, dans la tech, la finance, les RH, la RSE… Par exemple, repenser un accueil client, un processus de recrutement…

SB : En plus c’est low-tech, inclusif et ça utilise uniquement de l’intelligence naturelle 🙂

SB : Quels sont tes futurs désirables ?
FL : Qu’il y ait des designers de haut niveau partout dans les entreprises. Des designers épanouis, optimistes, enthousiastes à l’idée d’accompagner la transformation d’une usine, d’un Comex, d’un fonds d’investissements, d’une ville… Parce que tout est possible !