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Rendez-vous avec Maxime Blondeau entrepreneur, créateur, conteur et cosmographe des temps modernes.

SB : Qui êtes-vous et que faites-vous Maxime Blondeau ?
MB : Je suis quelqu’un qui porte un message : notre perception du territoire doit évoluer, du système Terre à l’endroit où l’on vit. Et c’est une question vitale. Je déploie ce message de plein de manières différentes : en enseignant, en créant, en entreprenant (créateur du syndicat Printemps Écologique, de la coopérative Sailcoop et d’une société de création de contenus).

Je ne suis pas dans la description du monde, mais dans son récit : éclairer, interpréter, révéler.

SB : Vous vous définissez comme cosmographe : qu’est-ce que cela veut dire ?
MB : La Cosmographie est une discipline très ancienne qui a + de 2 500 ans ! Ptolémée l’était à Alexandrie, la Renaissance en a beaucoup compté. C’est l’ancêtre de la géographie, qui est née au XIXème siècle. Cette discipline existe toujours en astro-physique. Elle permet de montrer des choses invisibles à l’œil nu, comme la naissance d’une étoile. Je l’applique au territoire terrestre et proche : je révèle tout un tas de choses invisibles à l’œil nu.

SB : Aujourd’hui on a Google Earth, Google Maps, GeoGuessr : que reste-t-il à montrer ?
MB : Justement, l’essentiel est invisible pour nos yeux ! Les liens et les inter-dépendances, les causes et les finalités, les apports psychologiques… Je ne suis pas dans la description du monde, mais dans son récit : éclairer, interpréter, révéler.

SB : J’adore les cartes que vous partagez : elles sont éclairantes et changent les perspectives !
MB : Pour moi, la carte c’est un moyen d’expression, c’est un langage. Chaque carte pose la question de l’attention : à quel aspect du territoire prête-t-on attention ? Ce que j’aime aussi avec la carte, c’est la profondeur et les différents niveaux de lecture : de l’agrément immédiat à la recherche de détails. Mais aussi car elle convoque plusieurs dimensions : esthétique, sensible, intellectuelle. Elle est à la fois simple, immédiate et complexe.

SB : Comment comprenez-vous la crise écologique à l’aune du territoire ?
MB : Pour l’humanité s’ouvre la 3ème ère de relation au territoire. A l’origine, nous étions des chasseurs cueilleurs.
Le Néolithique, c’est la sédentarisation : agriculture, domestication des animaux et des plantes. Le récit collectif qui nous a porté pendant 12 000 ans est celui de l’exploitation et de la conquête du territoire grâce à la domination technique.
La mondialisation géographique s’est achevée au XIXème siècle. Alors quel projet commun, quel récit collectif ? Nous avons besoin d’une pensée intégrale : systémique (climat, vivant, océans…), qui réconcilie les échelles (local/ global) et établit des relations de soins réciproques.

Ce qui m’intéresse, c’est d’influencer les décisions.

SB : Et que peut apporter le cosmographe à l’heure de cette révolution/ crise, aujourd’hui ?
MB : On a l’impression qu’on est neutres, objectifs vis à vis d’un territoire, alors qu’on est imprégnés de nos croyances, de nos représentations socioculturelles. Et cela a un impact très concret sur nos actions et nos décisions.
C’est vital, car c’est la source de tous les problèmes écologiques ou stratégiques. Comme le disait Gregory Bateson : La source de la majorité de nos problèmes provient de l’écart entre la manière dont pensent les hommes et la manière dont la Nature fonctionne.

SB : Vous travaillez avec différents publics, dont des entreprises : pourquoi et comment ?
MB : Ce qui m’intéresse, c’est d’influencer les décisions. C’est pourquoi je travaille avec des Comex d’entreprises : pour provoquer un déclic chez les dirigeants. Poser le cadre qui prévaut à la décision. Parce que la décision va avoir de gros effets.

SB : Complexité, approche pluridisciplinaire, art, science… on peut dire que vous êtes un humaniste ?
MB : L’humanisme a apporté deux choses formidables : avec la fin de la transcendance divine et du joug théocratique, sont nées la philanthropie et l’émancipation par la science et la raison.
Le corollaire, c’est que se sont développées la misanthropie et une nouvelle opposition Science VS Nature. Francis Bacon définissait la Nature comme une “Femme publique qu’il fallait mater, enchaîner”…. J’aspire à l’avènement d’un Nouvel Humanisme, qui mette la science et le savoir au coeur de l’action, intègre le non-humain à l’humanité.

SB : Vos futurs désirables ?
MB : Un monde dans lequel les grands moteurs de récits collectifs créent des imaginaires qui nous réconcilient avec les différentes dimensions du territoire.
Ces moteurs sont à la fois les industries créatives comme le cinéma et les grandes entreprises et marques. Je rêve de jeux vidéo qui ne glorifient pas la domination, l’exploitation et la destruction de notre univers.

Pour aller plus loin :
– Commander son livre : Géoconscience, un nouveau regard sur le territoire
– Se renseigner sur SailCoop

Noémie Aubron est fondatrice du studio Prospective Créative et de la newsletter hebdomadaire La Mutante . Elle revient dans cette interview sur la force des mots et des récits pour transformer le réel.

Qui es-tu et qu’est ce que la “Prospective Créative” ?

Je suis Noémie Aubron et ma mission consiste à “ouvrir des futurs possibles”.
J’ai longtemps travaillé sur des projets d’innovation pour de grands groupes sur des problématiques de renouvellement de modèles économiques mais je me sentais toujours frustrée car je ne réussissais pas à faire entrer la dimension du changement dans le paradigme et les modèles d’innovation. 

C’est pour cela que j’ai commencé à creuser la question du “comment” parler de changements en sachant que j’avais déjà tenté de le faire sans succès via des méthodes plus rationnelles et corporate. J’ai commencé à  intégrer la notion de fiction en l’associant à la prospective.

Cela fait maintenant 5 ans que j’écris des récits qui sont l’incarnation de ce qui pourrait se passer. J’appelle cela de “l’analyse prospective”. J’essaie d’abord de détecter le changement, de le comprendre.

 

Comment racontes-tu le changement justement ?

Le plus important c’est de trouver le bon angle, une manière nouvelle de raconter ce changement.

Dans ma Newsletter je vais plutôt raconter le changement que j’observe personnellement, de façons très subjective, je partage mon regard sur le monde. 

Mais je travaille aussi auprès des entreprises pour les aider à comprendre et décrypter les tendances nouvelles. Nous sommes à la recherche des “angles morts” ou de ce que l’on appelle les “éléphants noirs” dans notre jargon : des tendances que l’on ne veut pas voir mais qui sont bien présentes et dont les entreprises ont tout intérêt à se saisir pour les intégrer dans leur modèle. 

 

Y a-t-il une réelle volonté de la part des entreprises de transformer le réel pour des futurs plus désirables?

Je dirais que la fiction prend surtout une dimension “de conte d’avertissement”, de lanceur d’alerte qui fait prendre conscience aux entreprises d’un futur non souhaitable, dystopique, pour elles et pour le monde afin de les inciter à travailler sur des transformations plus désirables. 

Pour cela j’aide les entreprise à définir leur intention, je les aide à se projeter pour définir leur mission, les nouveaux métiers qui en découlent et surtout à définir ce vers quoi elles ont envie de se projeter. C’est ce chemin de transformation que j’essaie d’installer grâce à la fiction qui devient un réel outil de transformation.

 

Dans quelles domaines observes-tu le plus de potentialité ou de nécessité de changement ?

Il y en a beaucoup bien évidemment ! Ce sont surtout nos modes de vie car ils vont nécessairement impacter l’activité des entreprises. 

Il y a par exemple notre rapport au confort. Le confort tel qu’il a été conceptualisé ces 50 dernières années devient inopérant aujourd’hui. Se pose la question de savoir ce qu’est un environnement confortable. Il ne s’agit plus, à mes yeux, de le définir comme un confort matériel. 

L’apparition des low tech est aussi un marqueur important à l’heure de notre interrogation sur l’utilisation de nos ressources naturelles.

Dans un monde en accélération constante, je parlerais aussi de notre rapport au temps, de notre gestion des espaces. Pour parler de façon triviale, le confort s’incarne-t-il dans notre désir de posséder la dernière machine à café la plus perfectionnée ou dans le temps dont nous disposons pour cultiver nous-même, notre jardin ?

Il semble que s’ouvre un nouveau chapitre dans nos manières de consommer, d’envisager notre rapport au monde.

 

Et justement, quels seraient tes futurs désirables ?

Habitant à La Rochelle, j’ai une sensibilité toute particulière sur les sujets lié à la mer, à sa protection et plus généralement à notre rapport au vivant. 

Dans cette même veine, je pense aussi à l’urgence de redéfinir notre rapport à l’alimentation. Cela touche les aliments eux-mêmes, leur qualité mais aussi leurs modes de production, de distribution avec des conséquences en matière de santé publique, d’aménagement du territoire.