Philippe Grandcolas est Directeur de recherche CNRS. Ecologue et biologiste de l’évolution, il cherche en permanence à répondre à l’incroyable appétit de connaissance qu’il perçoit dans la société civile.
Vous êtes un auteur du vivant à succès : Le Sourire du Pangolin, Tout Savoir (ou Presque) sur la Biodiversité… Vous sortez prochainement Biodiversité, Fake or Not. Comment l’idée de ce livre vous est-elle venue ?
C’est une continuité avec les essais que j’ai écrits. Dans un essai on va au fond des choses et c’est un travail qui ouvre des dialogues passionnants… mais avec une minorité de personnes. Je cherche d’autres formats pour toucher de nouveaux publics.
Avec l’ouvrage semi-graphique précédent, je me suis rendu compte qu’on pouvait rendre le sujet de la biodiversité clair et accessible à tous.
A qui s’adresse-t-il ?
En fait, le public est très varié : des cadres supérieurs, décideurs, citoyens lambda… C’est plus le mode de lecture qui les relie. Et cet usage, on l’a tous, à un moment ou à un autre.
Avec cette collection (Fake Or Not) on n’est pas sur le même sujet de la première à la dernière page : on peut picorer, zapper, s’inspirer. Si on compare avec la nourriture : on peut faire un repas complet entrée/ plat / dessert (ça c’est l’essai) ou bien choisir un petit snack quand ça nous tente !
Pourquoi ce livre ?
Je veux casser les Fake News !!!
On est aujourd’hui abreuvés par une quantité énorme d’informations. Et beaucoup de fausses infos circulent, à toutes vitesses et reviennent en boucle, particulièrement sur Web et les réseaux Sociaux. C’est important de se positionner face à des faits qui ne sont pas validés !
D’où viennent-ils ces Fakes que vous démontez ?
De mes conférences, de mes cours, de formations divers et variés. Je ne suis pas toujours face à un public conquis ou intéressé ! Souvent je fais face à des réactions négatives, d’incrédulité ou d’incompréhension.
Et bien sûr, l’autre source, ce sont les réseaux sociaux, où beaucoup de Fakes circulent.
Les Fakes se ramassent, comme les feuilles mortes, à la pelle : alors comment les avez-vous choisis ?
C’est important d’adresser ceux qui sont les plus révélateurs d’une incompréhension ou d’une dissonance. Pourquoi ? Parce que quand on est profondément agacé, qu’on réagit en disant un peu n’importe quoi ou qu’on est en colère…
Alors Philippe, qui veut la peau de la vérité ?
On le sait, il y a actuellement un déni de science, lourdement financé (concernant le climat, comme la biodiversité) par des lobbies industriels. Beaucoup plus d’argent y est investi que la transition écologique d’ailleurs !
Mais il y a aussi beaucoup de personnes qui y participent sans intentions malhonnêtes ou conscientes. Cela signale les problèmes de compréhension dont je parlais précédemment, et aussi un problème de partage. Faire la morale ou demander de renoncer, ça ne donne pas envie de comprendre ! Souvent les réactions ne viennent pas de la vérité scientifique elle-même mais de la manière dont on l’a énoncée.
Enfin, on vit souvent sur des aprioris, des idées reçues. On n’a pas forcément de licence en écologie ou en biologie, c’est normal, mais des notions élémentaires sur le vivant ne sont pas enseignées, ni au niveau scolaire, ni dans les formations continues. Au final, on ne sait pas comment notre environnement fonctionne et on n’a pas conscience des ordres de grandeur.
C’est quoi le plus gros Fake sur la biodiversité ?
Je vais en citer deux qui sont complémentaires :
- Le Rebond de Population
Une espèce charismatique va mieux momentanément (pour de bonnes ou de mauvaises raisons) et cela prouverait que la biodiversité ne va pas si mal que ça. Exemple : le Castor.
C’est comme l’effet été breton pour le climat : la météo a été mauvaise cette année, alors finalement le réchauffement global n’est pas si important que ça !
- Le Technosolutionisme
Pour le climat on a la géo-ingénierie et pour la biodiversité on la bio-ingénierie. Exemple : l’énorme fake sur la culture des betteraves à sucre et les néonicotinoïdes (pesticides qui ont été interdits pour leur toxicité sur les pollinisateurs).
Le fake : on pourrait enrober les graines de betterave de néonicotinoïdes sans risque pour les pollinisateurs… parc que l’on récolte avant floraison. Sauf que, en réalité, la graine enrobée est lessivée et les pesticides se répandent dans le sol… et contaminent les plantes sauvages… qui vont empoisonner les pollinisateurs quand elles fleurissent !
C’est quoi le meilleur ami du Fake ?
- Le Sanglier : C’est l’animal sauvage qui prouverait que la faune sauvage va bien… sauf qu’il n’est pas sauvage !
Les chasseurs l’ont hybridé avec des cochons pour augmenter sa fécondité. Et ils le nourrissent. En plus, on le chasse de manière idiote : en tuant les vieux mâles (de très beaux trophées) on donne accès à la reproduction à de jeunes qui se multiplient. Résultat : on tue plusieurs centaines de milliers de sangliers chaque année (100 fois plus qu’il y a quelques décennies).
C’est qui la plus grande victime du Fake ?
- Le renard : son image de voleur (de poules ou de fromage) lui colle à la peau… et on massacre un de nos meilleurs alliés.
Ce soi-disant réservoir de maladie est, en fait, un auxiliaire précieux puisqu’il régule les populations de rongeurs. Le renard n’est pas un problème : le problème c’est qu’on tue des centaines de milliers de renards chaque année.
C’est quoi la meilleure arme anti-fake ?
- La surprise.
Rationaliser de manière savante pour les personnes réceptives et éduquées c’est positif, mais ça a ses limites. On a tous besoin de surprise : pour sortir de notre trajectoire, renouveler notre intérêt, apprendre avec plaisir. Et si en plus on peut le faire avec de l’humour, c’est le jackpot pour s’approprier des choses nouvelles de manière rapide.
Dernière question : tournons-nous vers l’avenir : quels sont vos futurs désirables ?
Un futur heureux et agréable d’abord. La biodiversité on en a besoin et en plus elle nous rend heureux, c’est ça qui est formidable ! Manger des fruits et légumes de saison, contempler un paysage… ce sont des grands plaisirs de la vie.
La biodiversité (ne le dîtes pas à mes collègues du climat), c’est le contraire du renoncement, de la sobriété : on est dans l’abondance, luxuriance. Quand on vit avec le vivant, il se disperse, se reproduit, croît pour notre plus grand bonheur.
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