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Jean-Louis Bertrand est CEO de Tardigrade AI, Vice-président du GIEC Pays de la Loire et professeur de Finance à l’ESSCA. Il a notamment été expert pour le Grand Défi. Dans cette interview, Jean-Louis nous parle de son nouveau projet Tardigrade AI qui a pour mission d’agir et de renforcer la résilience des entreprises et des collectivités face au changement climatique mais aussi pour préserver le bien-être des employés et des usagers.

Pouvez-vous vous présenter ?

J’accompagne les entreprises face aux risques climatiques depuis plus de 20 ans. J’ai participé au Grenelle de l’environnement en 2007, étudié l’impact du climat sur l’activité des entreprises pour piloter  leur quotidien, créé des produits financiers pour les protéger à court terme et les aider à faire face durablement. Mon engagement se prolonge avec le GIEC des Pays de la Loire dans un rôle de Vice-Président et porte-parole.

Pourquoi avoir créé Tardigrade AI ? 

Je souhaitais partager ce que j’ai appris dans une offre de services actionnables pour agir et renforcer la résilience des entreprises et des collectivités face au changement climatique et pour préserver le bien-être des employés et des usagers.

Le tardigrade est un micro-organisme connu pour son extrême résilience et sa capacité d’adaptation aux conditions les plus hostiles (froid, chaleur, vide spatial).

A son image, Tardigrade AI propose des solutions pour s’adapter aux défis climatiques, en transformant l’incertitude en opportunités d’actions concrètes pour un avenir plus résilient pour tous.

Comment ça marche ?

Notre méthodologie A.D.A.P.T. (Anticiper/Diagnostiquer/Adopter/Protéger /Transformer) est directement inspirée des besoins remplis sur les post-it pendant les rendez-vous du Grand Défi. Nous avons développé les outils de formation pour embarquer les équipes dans l’adaptation et la résilience. Nous proposons un diagnostic précis à la coordonnée GPS, disponible partout dans le monde et accessible financièrement au plus grand nombre. Enfin, nous avons mobilisé des partenaires pour le traduire en solutions concrètes. Chaque organisation peut ainsi comprendre son exposition face aux risques climatiques actuels et à venir, sélectionner et dimensionner les stratégies d’adaptation pour continuer à développer son activité.

A qui est destiné cet outil ?

ADAPT est disponible pour tout type d’entreprise ou collectivité,  quelle que soit sa taille.

Question 5 :  Une entreprise, à quoi lui sert votre analyse ?  Et comment peut-elle s’en servir ? 

Notre plateforme A.D.A.P.T. offre un cadre d’actions, quel que soit le niveau d’avancement de la réflexion des parties prenantes, pour s’engager dans la voie de l’Adaptation et de la Résilience Climatique.  

  • Anticiper : c’est prendre conscience de la réalité du dérèglement climatique et de la nécessité de tout mettre en œuvre pour assurer sa résilience,
  • Diagnostiquer : c’est disposer d’indicateurs de risque fiables pour bâtir une stratégie d’adaptation et de transformation,
  • Adopter : c’est partager la stratégie avec l’ensemble des collaborateurs et des partenaires,
  • Protéger : c’est s’engager dans la mise en œuvre,
  • Transformer :  c’est protéger les personnes et les biens face aux changements climatiques, et assurer la prospérité de l’entreprise.

Vous étiez expert pour le Grand Défi : cela a-t-il eu un impact sur Tardigrade AI ? 

C’est l’ADN de notre entreprise ! Nous nous sommes attachés à remplir chaque critère du cahier des charges idéal qui a émergé au travers des ateliers et des réunions Teams. Transparence, fiabilité, accessibilité, facile à utiliser… c’est ce qui nous a guidé. Nous avons construit notre solution à partir d’un besoin exprimé par des personnes engagées qui avaient à cœur d’agir, et de poursuivre le développement de leurs entreprises dans le respect de la planète et des gens, quand les autres solutions d’évaluation de risque climatique fournissent des scores à des gérants de portefeuilles… Tout est dit

Et vos futurs désirables ?

Nous n’avons qu’une planète et il n’y a pas de plan B ! ce que nous voulons préserver, c’est notre capacité à l’habiter et à y vivre. Œuvrons pour un avenir qui puisse concilier respect de la planète et développement économique sans oublier le bien être humain. L’ambition est énorme mais c’est la mission que nous nous sommes donnée en créant Tardigrade : aider à intégrer le changement climatique dès maintenant, lui donner un coût, un horizon sur lequel on peut mesurer les progrès, pour préserver l’outil de travail et le bien-être des collaborateurs, et pour inciter à se transformer durablement.

Pierre-Etienne Franc est Directeur des activité Hydrogène Energie chez Air Liquide, numéro 2 mondial des gaz industriels. Après vingt-cinq ans de carrière dans le groupe industriel, il est aujourd’hui responsable de l’ensemble des activités liées aux systèmes hydrogène. Il est aussi membre fondateur et secrétaire du Conseil de l’Hydrogène qui rassemble les ambassadeurs du développement de l’hydrogène au sein la transition énergétique.

 

Qu’est-ce que la crise du Covid 19 a changé dans la sphère économique ?

D’abord, comme durant la crise des Subprimes, la crise actuelle nous rappelle l’importance de la diversité des acteurs économiques, permettant une meilleure résilience de la société face aux chocs, ainsi que la nécessité de collaboration entre ses acteurs.

Prenons l’exemple de la production de respirateurs. A Air Liquide, nous étions la seule entreprise à produire des respirateurs sur le territoire français. L’État nous a sollicité en urgence pour multiplier par cinquante la production, ce dont nous étions incapables seuls. Nous avons engagé un rapprochement avec d’autres grands acteurs de la production de série, Valeo, Peugeot et Schneider. La collaboration entre ces grands groupes industriels, qui travaillent dans des secteurs différents et qui n’ont pas l’habitude des partenariats, a finalement permis de mettre en marche la dynamique attendue.

Ce qui différentie la période actuelle à la crise de 2008, c’est qu’aujourd’hui, on fait beaucoup plus de lien entre la crise sanitaire et des enjeux plus larges, sociétaux et environnementaux. De fait, il n’y pas un seul plan de relance qui ne comporte pas une part tournée vers les enjeux de transition énergétique.

“ Dans un monde de plus en plus incertain où les vérités d’aujourd’hui peuvent être balayées demain, on doit s’accrocher à ses savoir-faire et à ses convictions.

 

Malgré des politiques de réduction drastique des coûts, notamment dans les secteurs de l’aéronautique, de l’automobile ou du tourisme, toutes les grandes entreprises cherchent à maintenir dans leurs agendas des grands objectifs stratégiques de long terme. Pourquoi ? Car dans un monde de plus en plus incertain où les vérités d’aujourd’hui peuvent être balayées demain, on doit s’accrocher à ses savoir-faire et à ses convictions. Ce sont des moyens pour garder le cap et tenir la distance.

Les entreprises qui ne croient pas en quelque chose de plus grand que les marchés avancent vers un monde très instable, qu’elles subissent totalement.  Il s’agit de passer d’un monde fortement tiré par les logiques de marchés, à un monde d’après dont les besoins sociétaux inspirent les décisions stratégiques beaucoup plus nettement. C’est en tout cas ma conviction profonde.

 

Comment concilier les enjeux de long terme avec les urgences du court terme ?

C’est la grande difficulté : on ne peut évidemment se payer des visions à long terme que si l’on réussit à tenir les exigences opérationnelles et financières du court terme.
D’aucuns souhaiteraient ainsi une transition immédiate d’un système à un autre, par exemple d’une économie fossile à une économie neutre en carbone. Le problème de cette stratégie souvent dite de l’effondrement, c’est qu’elle ne mobilisera jamais les entreprises qui sont pourtant les acteurs centraux de la transition, par les technologies, les moyens financiers, la capacité de se mobiliser dans toutes les géographies et localement.

 

“ Une entreprise qui n’est pas résiliente sociétalement devient une entreprise à risque.

 

A quoi ressemble ton entreprise désirable ?

C’est une entreprise à la fois performante et dont le chemin de performance sert aussi des intérêts plus grands qu’elle. Une entreprise qui a pris conscience, dans l’ensemble de sa stratégie, de tous les tenants et aboutissants de sa chaine de valeur vis-à-vis des enjeux de bien commun.

Je suis convaincu que l’entreprise qui ne suit que des ratios de performance sera fortement bousculée par les marchés financiers eux-mêmes dans quelques années – et cela a déjà commencé. Les financiers ne voudront plus investir dans des entreprises qui n’ont pas mesuré l’impact possible sur leur activité d’un effondrement des énergies fossiles lié à des chocs externes ou à des retournements politiques. Une entreprise qui n’est pas résiliente sociétalement devient une entreprise à risque.

Le défi du manager de demain est donc d’intégrer les externalités positives et négatives à l’élaboration de sa stratégie, et de démontrer comment les bénéfices d’aujourd’hui générés par des activités fossiles par exemple doivent permette d’investir plus chaque année plus dans les modèles propres de demain.

 

Quelle est la place du politique dans la transition écologique des entreprises ?

L’entreprise ne peut pas avancer seule. Pour mettre en place des plans de neutralité carbone ambitieux, il est essentiel d’ouvrir un dialogue tripartite entre l’entreprise, les politiques publiques et les financiers.

A Air Liquide, pour pousser le développement des systèmes hydrogène, nous avons par exemple essayer de fédérer les acteurs mondiaux de tous les grands secteurs concernés autour d’une vision collective de long terme, partagée au plus haut niveau, en créant un Conseil de l’Hydrogène.

 


Le conseil de l’hydrogène

 

Nous avons ensuite développé une ambition sur le rôle que l’hydrogène pouvait jouer dans la transition énergétique, nous l’avons structurée, quantifiée et expliquée. Progressivement cette vision a été reprise, challengée, retravaillée puis appropriée par la plupart des grands think tank de l’énergie et de la transition. C’est ainsi progressivement devenu un sujet fédérateur, et les politiques et les financiers ont commencé à s’y intéresser. Cette dynamique vertueuse permet maintenant d’engager des secteurs entiers sur des trajectoires inédites !

C’est peut-être cela que doit viser ce que vous appelez un management éclairé (quoi qu’on ne sait que bien plus tard si l’on a été éclairé ou pas…) : rechercher à l’extérieur de sa zone de confort des sources d’inspiration pour consolider des convictions indépendantes des effets de crises et pouvoir ainsi proposer des ambitions qui soient capables de porter les énergies au-delà des crises.

Aujourd’hui, quand nous parlons aux marchés financiers, nous discutons autant des sujets de long terme que des performances à court terme. Si nous avions des résultats à court terme sans objectifs à long terme, l’engagement des actionnaires serait probablement plus passif. Mais si nous n’avions que des objectifs de long terme merveilleux sans performance intrinsèque à court terme, les actionnaires ne nous suivraient certainement pas non plus !