Philippe Grandcolas est Directeur de recherche CNRS. Ecologue et biologiste de l’évolution, il cherche en permanence à répondre à l’incroyable appétit de connaissance qu’il perçoit dans la société civile.

Vous êtes un auteur du vivant à succès : Le Sourire du Pangolin, Tout Savoir (ou Presque) sur la Biodiversité… Vous sortez prochainement Biodiversité, Fake or Not. Comment l’idée de ce livre vous est-elle venue ?

C’est une continuité avec les essais que j’ai écrits. Dans un essai on va au fond des choses et c’est un travail qui ouvre des dialogues passionnants… mais avec une minorité de personnes. Je cherche d’autres formats pour toucher de nouveaux publics.
Avec l’ouvrage semi-graphique précédent, je me suis rendu compte qu’on pouvait rendre le sujet de la biodiversité clair et accessible à tous.

A qui s’adresse-t-il ? 

En fait, le public est très varié : des cadres supérieurs, décideurs, citoyens lambda… C’est plus le mode de lecture qui les relie. Et cet usage, on l’a tous, à un moment ou à un autre.
Avec cette collection (Fake Or Not) on n’est pas sur le même sujet de la première  à la dernière page : on peut picorer, zapper, s’inspirer. Si on compare avec la nourriture : on peut faire un repas complet entrée/ plat / dessert (ça c’est l’essai) ou bien choisir un petit snack quand ça nous tente !

Pourquoi ce livre ?  

Je veux casser les Fake News !!! 

On est aujourd’hui abreuvés par une quantité énorme d’informations. Et beaucoup de fausses infos circulent, à toutes vitesses et reviennent en boucle, particulièrement sur Web et les réseaux Sociaux. C’est important de se positionner face à des faits qui ne sont pas validés !

D’où viennent-ils ces Fakes que vous démontez ? 

De mes conférences, de mes cours, de formations divers et variés. Je ne suis pas toujours face à un public conquis ou intéressé ! Souvent je fais face à des réactions négatives, d’incrédulité ou d’incompréhension.
Et bien sûr, l’autre source, ce sont les réseaux sociaux, où beaucoup de Fakes circulent.

Les Fakes se ramassent, comme les feuilles mortes, à la pelle : alors comment les avez-vous choisis ?

C’est important d’adresser ceux qui sont les plus révélateurs d’une incompréhension ou d’une dissonance. Pourquoi ? Parce que quand on est profondément agacé, qu’on réagit en disant un peu n’importe quoi ou qu’on est en colère… 

Alors Philippe, qui veut la peau de la vérité ? 

On le sait, il y a actuellement un déni de science, lourdement financé (concernant le climat, comme la biodiversité) par des lobbies industriels. Beaucoup plus d’argent y est investi que la transition écologique d’ailleurs !

Mais il y a aussi beaucoup de personnes qui y participent sans intentions malhonnêtes ou conscientes. Cela signale les problèmes de compréhension dont je parlais précédemment, et aussi un problème de partage. Faire la morale ou demander de renoncer, ça ne donne pas envie de comprendre ! Souvent les réactions ne viennent pas de la vérité scientifique elle-même mais de la manière dont on l’a énoncée.

Enfin, on vit souvent sur des aprioris, des idées reçues. On n’a pas forcément de licence en écologie ou en biologie, c’est normal, mais des notions élémentaires sur le vivant ne sont pas enseignées, ni au niveau scolaire, ni dans les formations continues. Au final, on ne sait pas comment notre environnement fonctionne et on n’a pas conscience des ordres de grandeur. 

C’est quoi le plus gros Fake sur la biodiversité ?

Je vais en citer deux qui sont complémentaires :

  • Le Rebond de Population 

Une espèce charismatique va mieux momentanément (pour de bonnes ou de mauvaises raisons) et cela prouverait que la biodiversité ne va pas si mal que ça. Exemple : le Castor.

C’est comme l’effet été breton pour le climat : la météo a été mauvaise cette année, alors finalement le réchauffement global n’est pas si important que ça !

  • Le Technosolutionisme

Pour le climat on a la géo-ingénierie et pour la biodiversité on la bio-ingénierie. Exemple :  l’énorme fake sur la culture des betteraves à sucre et les néonicotinoïdes (pesticides qui ont été interdits pour leur toxicité sur les pollinisateurs).
Le fake : on pourrait enrober les graines de betterave de néonicotinoïdes sans risque pour les pollinisateurs… parc que l’on récolte avant floraison. Sauf que, en réalité, la graine enrobée est lessivée et les pesticides se répandent dans le sol… et contaminent les plantes sauvages… qui vont empoisonner les pollinisateurs quand elles fleurissent !

C’est quoi le meilleur ami du Fake ?

  • Le Sanglier : C’est l’animal sauvage qui prouverait que la faune sauvage va bien… sauf qu’il n’est pas sauvage !

Les chasseurs l’ont hybridé avec des cochons pour augmenter sa fécondité. Et ils le nourrissent. En plus, on le chasse de manière idiote : en tuant les vieux mâles (de très beaux trophées) on donne accès à la reproduction à de jeunes qui se multiplient. Résultat : on tue plusieurs centaines de milliers de sangliers chaque année (100 fois plus qu’il y a quelques décennies).

C’est qui la plus grande victime du Fake ?

  • Le renard : son image de voleur (de poules ou de fromage) lui colle à la peau… et on massacre un de nos meilleurs alliés.

Ce soi-disant réservoir de maladie est, en fait, un auxiliaire précieux puisqu’il régule les populations de rongeurs. Le renard n’est pas un problème : le problème c’est qu’on tue des centaines de milliers de renards chaque année.

C’est quoi la meilleure arme anti-fake ?

  • La surprise. 

Rationaliser de manière savante pour les personnes réceptives et éduquées c’est positif, mais ça a ses limites. On a tous besoin de surprise : pour sortir de notre trajectoire, renouveler notre intérêt, apprendre avec plaisir. Et si en plus on peut le faire avec de l’humour, c’est le jackpot pour s’approprier des choses nouvelles de manière rapide.

Dernière question : tournons-nous vers l’avenir : quels sont vos futurs désirables ?

Un futur heureux et agréable d’abord. La biodiversité on en a besoin et en plus elle nous rend heureux, c’est ça qui est formidable ! Manger des fruits et légumes de saison, contempler un paysage… ce sont des grands plaisirs de la vie.

La biodiversité (ne le dîtes pas à mes collègues du climat), c’est le contraire du renoncement, de la sobriété : on est dans l’abondance, luxuriance. Quand on vit avec le vivant, il se disperse, se reproduit, croît pour notre plus grand bonheur.

Pour commander le livre, c’est ICI.

Sandrine Bissoulet est directrice général adjointe d’ENGAGE, passionnée de biodiversité, de truffes et de jardinage. Elle revient sur son rapport singulier au vivant et sur les sources et les intentions de l’exposition Nature On/ Off.

Sandrine, pourquoi cette exposition ?

Cette exposition est née d’un défi : reconnecter au vivant. Car si l’effondrement de la biodiversité constitue une menace sans précédent pour l’humanité, cette réalité reste abstraite et souvent lointaine. Malheureusement les conférences et rapports sur le sujet ne font pas suffisamment bouger les choses…
Nous avons imaginé une exposition à impact pour frapper les esprits et provoquer un déclic. L’image, c’est un langage universel, qui permet de parler à tout le monde, quels que soient l’origine, l’âge ou la culture. L’ambition est d’engager un large public : des jeunes, des vieux, des salariés, des patrons, des parents, des enfants….
Ouverte à tous, Nature On/ Off propose une expérience sensible et artistique. Nous sommes convaincus qu’il faut replacer le sujet vivant dans la culture, au-delà du cercle de la science ou de l’information…et dans une culture populaire. C’est pourquoi les tableaux sont tous des chefs-d’œuvres connus du plus grand nombre !

Elle raconte quoi finalement ?

Sa force est de montrer avant de raconter. Ces tableaux révèlent les impacts que nous avons sur le vivant et à quel point nous en sommes dépendants. Ils nous projettent dans ce monde privé de biodiversité qui nous attend si nous ne faisons rien.
Nature On/ Off permet d’illustrer les grandes causes de disparitions de la biodiversité tout d’abord. Ce travail est primordial car peu de gens les connaissent et savent que la première est le changement d’affectation des terres et des mers par exemple.
Elle matérialise comment cela se passe concrètement :  on construit un parking et Le Déjeuner sur l’herbe devient Le Déjeuner sur béton; on passe à la monoculture de maïs et Les Maïs remplacent Les Coquelicots de Manet.

Ensuite, l’exposition révèle les dépendances que nous avons vis-à-vis d’elle. Un concept complètement nouveau pour beaucoup ! Si on comprend facilement l’importance des pollinisateurs ou des plantes qui nous nourrissent, on sait moins que la biodiversité régule le climat. Et on a rarement conscience qu’elle nous inspire au quotidien, pour innover… ou dans la création. Comment aurait peint Elisabeth Vigée le Brun, si inspirée par la nature, en 2024… probablement de manière moins champêtre !

La reconnexion au vivant est donc pour toi le problème n°1 ? Est-ce le seul ?

Aujourd’hui 80% des populations vivent en milieu urbain. En France, on vit à 16 km en moyenne d’une zone naturelle. Alors oui, on est déconnecté : dans la ville, peu d’espace végétalisé, peu de biodiversité, pas d’espace sauvage, on ne voit plus la nuit, il n’y a plus d’animaux ou si peu… C’est un éloignement du vivant qui s’assortit d’une perte d’expérience sensible.

Cette distance est aggravée par l’excès de vitesse permanent ! On n’a plus le temps, on “switche”, on “zappe”, on “circule”. Alors que pour le vivant, la nature, il faut s’avoir s’arrêter, patienter. C’est nécessaire pour écouter, regarder, sentir, toucher, goûter.

Enfin, c’est un sujet grave qu’il faut pouvoir aborder sans tétaniser devant l’ampleur de la tâche ! On doit pouvoir être sérieux sans se prendre au sérieux. Le décalage et la créativité de Nature On/ Off étonnent, intriguent, font réagir, font parler : nous cherchons  une prise de conscience sans pathos. L’important c’est que l’effet produit soit une mise en action, en mouvement.

Ton œuvre préférée ?

Mon cœur balance entre Déjeuner sur béton et Chardonneret 2024.

Déjeuner sur Béton par la puissance de l’image qui matérialise la première cause de disparition de la biodiversité : le changement d’affectation des terres et des mers. En France, la consommation d’espace naturels, agricoles et forestiers atteint près de 25 000 hectares par an (soit approximativement la surface du Val-de-Marne ou de la Seine-Saint-Denis).

Le chardonneret car il me touche au cœur. J’ai déjà pu les observer se délecter de graines en virevoltant autour de pissenlits. Cette élégance et ce moment de grâce, j’ai bien peur que mes enfants ne le connaissent jamais.

Et tes futurs désirables en matière de biodiversité ?

Au niveau personnel, que les Causses du Périgord de mon enfance continuent à vivre dans leur richesse : prairies sèches et chênes pédonculés rabougris écrasés par le soleil d’été, vibrant du vacarme réjouissant des grillons et du vol délicat des papillons azurés…

Au niveau de la société, que nous avancions avec la tête, le coeur, la main et dans le collectif pour vivre heureux dans un monde vivant :
La tête : rester curieux, ouverts pour connaître sa magie, sa richesse;
Le coeur : regarder, écouter, caresser, toucher, sentir les sols, les bois, les prés;
La main  : planter, semer, cueillir, cuisiner au rythme des saisons;
Le collectif : se promener, échanger, cultiver entre amis, en famille, dans sa ville ou, tout simplement, ensemble.

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Marie-Sarah Adenis, sera intervenante du festival Life! et y présentera son exposition Gloire aux microbes.
Artiste-designer, diplômée en création industrielle (ENSCI) et en biologie (ENS Ulm), elle est co-fondatrice et directrice artistique de l’entreprise PILI et enseigne dans des écoles d’art et de design.

Quelle est votre relation à la biodiversité et au vivant ?

Ma première relation est une appartenance évidente puisque je suis moi-même partie prenante de cette biodiversité. Mes études de biologie m’ont permis d’établir une connexion plus fine en prenant conscience de la richesse infinie de son histoire évolutive, des mécanismes qui sont à l’oeuvre en nous et partout autour de nous. C’est un premier prisme théorique mais vertigineux et passionnant.
J’ai aussi construis au fil du temps une relation plus directe et plus surréaliste avec les autres vivants, notamment avec les êtres microscopiques qui invitent à un rapport presque magique quand on comprend que le monde est fait de ce tissu invisible vivant qui rend la vie possible par le biais de ces micro-organsimes. J’ai toujours un petit microscope de poche sur moi qui me permet de voir ce qui m’entoure et qui m’échappe. Cela crée une attention au monde radicalement différente. De la même manière que je “vois” l’invisible, je “sens” les vivants à travers l’emprunte qu’ils laissent derrière eux. Je respire leur activité métabolique à chaque bouffée d’oxygène, je partage mes repas avec eux au moment de la digestion, et j’établis cette connexion intime de plein de manières qui rendent ma perception plus fine et plus riche. C’est comme ça que j’habite le monde et que je lui donne du sens.

Pouvez-vous partager une anecdote qui illustre ce rapport ‘intime’ ?

J’en ai beaucoup mais la plus récente est la rencontre que j’ai faite et documentée avec une mue de crabe sur l’île de Lanzarote. Je l’ai emmenée partout avec moi, dans les randonnées, sur les volcans où je retournais avec elle aux premiers matins du monde, mais aussi dans les bars et les restaurants où je la posais sur la table face à moi, ce qui ne manquait pas de créer du trouble, des rires, des regards intrigués, et je pense que ce trouble est une bonne chose. C’est le point de départ de tout renversement de notre rapport au monde. Il faut inventer d’autres manières de vivre cette immense fresque burlesque, fragile et foisonnante qu’est la vie.

Pour vous, qu’est-ce que la biodiversité représente ?

La biodiversité est un vertige. Elle représente le miracle de la vie qui se perpétue depuis 3,8 milliards d’années. C’est aussi ma famille. Chaque être est un cousin ou une cousine, plus ou moins éloignés. Ce sont autant de formes spectaculaires et divergentes que la vie a prises pour s’incarner et peupler le monde. Elles viennent toute à l’origine d’ancêtres unicellulaires qui ont été les premiers à expérimenter la vie et qui ont établi la grammaire et les règles auxquelles nous nous soumettons encore aujourd’hui, avec quelques fautes de frappes qui sont parfois retenues et qui enrichissent d’autant le vocabulaire de la vie qui se prononce avec des ailes, des griffes, des neurones, des branchies, des capteurs sensoriels extrêmements variés qui donnent à chaque être une expérience du monde singulière et une umwelt particulière.
Et puisqu’il est question de biodiversité ici, il faut qu’on prenne conscience que les microbes forment la clé de voûte des écosystèmes. Aucune vie ne serait possible sans eux non seulement parce que ce sont eux qui nous ont donné la vie à l’origine, mais aussi parce qu’ils sont aujourd’hui les gardiens du temple, ceux qui perpétue et régule la vie, ceux qui peuvent la faire basculer dans un sens ou dans un autre.

Vous présenterez notamment l’exposition ‘Gloire aux Microbes’ lors du festival. Quelle est l’ambition de cette exposition ?

Gloire aux microbes est un cri d’amour qui visait à contrecarrer l’animosité et la terreur que les microbes ont toujours inspirés aux humains, plus encore avec la dernière pandémie. Le projet renouvelle les mots et l’imagerie pour conter l’histoire vraie et fascinante des microbes. Le point de départ est un texte manifeste que j’ai écrit comme un “Appel microscopique du 18 juin” (2020). J’ai ensuite réuni douze artistes qui se sont emparés des faits scientifiques qui sont détaillés dans le texte, et qui les ont sublimé dans des dessins qui proposent de nouveaux imaginaires, radicalement différents de ceux qui se sont cristallisés en nous.
Enfin, les oeuvres ont été sérigraphiées avec une encre produite par les bactéries elles-mêmes, ce qui donne une raison de plus de s’émerveiller de leurs pouvoirs innombrables. C’est un projet exigeant qui ne se contente pas de faire de la vulgarisation mais qui cherche à travers le texte et l’image à proposer un contrepoint puissant à nos imaginaires collectifs. C’est surtout une occasion de s’émerveiller avec la possibilité de parler de vivant et de biodiversité dans une perspective enthousiasmante, qui redonne le sourire alors que tout ce qu’on peut constater par ailleurs est clairement décourageant. Enfin un sujet qui donne de l’espoir !

Enfin, quels sont vos futurs désirables en matière de biodiversité ?

J’aimerais qu’on dépasse nos peurs et qu’on se mette à voir dans l’invisible, à travers l’espace et à travers le temps, pour reconnaître nos liens et nos interdépendances avec les autres habitants de la planète, qu’on puisse enfin voir en eux la puissance de nos alliances passées, présentes et à venir. La preuve avec le projet Pili que j’ai co-fondé (qui porte d’ailleurs le projet Gloire aux microbes) et qui fait alliance avec les bactéries pour produire des colorants et pigments écologiques. Une solution née de la collaboration entre les humains et les bactéries (même s’il faut bien dire que les humains portent déjà en eux bien plus de bactéries que de cellules humaines !).

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Karine Jacquemart est directrice générale de Foodwatch France et Éclaireuse ENGAGE.

Quelle est la mission de Foodwatch ?

Foodwatch France, qui fête ses 10 ans, est un contre-pouvoir citoyen 100% indépendant qui milite pour une alimentation saine, durable et abordable, pour toutes et pour tous.

Nous sommes une association loi 1901, mais également association agréée de défense des consommateurs et consommatrices, ce qui nous permet d’agir en justice. C’est fondamental car il faut casser le climat actuel d’impunité. Nous avons donc porté plainte dans l’affaire Lactalis des laits contaminés en 2018, suite aux scandales Nestlé (Buitoni) et Ferrero (Kinder) en 2022 et de nouveau il y a un mois quand on a découvert la fraude massive sur les eaux minérales filtrées illégalement par Sources Alma et Nestlé Waters.

Donc la mobilisation citoyenne, dont nous parlerons mercredi prochain, n’est pas notre seul moyen d’action.

Quant à moi, comme tu le sais, je milite depuis plus de vingt ans pour plus de justice sociale et environnementale, partout.

 

Si on entre un peu plus dans les détails, quels sont les moyens ou les leviers d’action de Foodwatch 

D’abord, nous menons des enquêtes fact based ou science based, et ça aussi c’est fondamental. Nous nous appuyons sur des rapports d’experts lorsque nous pointons du doigt par exemple des risques pour la santé liés à des additifs ou d’autres contaminants dans notre alimentation et exigeons leur interdiction (cf notre campagne contre les nitrites ajoutés dans la charcuterie).

Nous révélons des pratiques abusives dans l’industrie agroalimentaire et la grande distribution (arnaques sur l’étiquette, scandales, lobby…). Pour contraindre les entreprises à bouger bien sûr mais aussi pour contraindre les autorités à renforcer les lois (la plupart de ces pratiques étant illégitimes mais légales…) ou simplement à les faire appliquer, en France et dans l’UE.

Ce que nous voulons, c’est sortir de ce climat général d’opacité et d’impunité et remettre les points sur les i des responsables de notre système agricole et alimentaire qui est devenu fou : au début de la chaîne, un agriculteur ou agricultrice sur 5 vit sous le seuil de pauvreté et en bout de chaîne des millions de personnes tombent dans la précarité alimentaire. Au milieu, les géants de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution ont la main mise sur le marché : ce sont eux qui décident quels produits sont disponibles dans les rayons et à quels prix. Eux qui profitent de l’inflation sur le dos de la majorité.   Fin 2023, nous avons donc à la fois publié un décryptage de ce système, mais aussi une action de mobilisation pour exiger de la transparence sur la construction des prix et une modération des marges sur les produits les plus sains et durables.

 

Et la mobilisation collective dans tout ça ?

C’est un des ingrédients indispensables pour peser de tout notre poids. Lorsque les faits sont établis, nous lançons l’alerte auprès des médias et de millions de personnes, car tout commence par l’information, par rendre accessible cette information. C’est elle qui déclenche cette forme d’espoir que représente l’action.

Il est évident que les citoyennes et citoyens ne peuvent agir seuls, ils doivent être fédérés pour agir et c’est ce que fait Foodwatch, c’est notre raison d’être. Aujourd’hui nous avons une communauté de près de 450.000 foodwatchers, ce qui a un certain poids.

Cette communauté est indispensable lorsque nous pratiquons le Name and Shame (nommer et couvrir de honte, en bon français). Nous voulons mettre les entreprises qui ont ces pratiques délétères ou illégales face à leurs responsabilités, les obliger à rendre des comptes. Et l’Etat aussi. Lorsque nous obtenons des rendez-vous dans les ministères, ce qui arrive fréquemment, nous portons la voix de ces centaines de milliers de Françaises et Français. Et ils le savent.

Nous devons peser simultanément sur le monde politique et le monde économique en s’appuyant sur la sphère citoyenne qui, de plus en plus informée, réclame de véritables changements. C’est grâce à la mobilisation citoyenne que nous sommes un vrai contre-pouvoir.

 

Et pour finir, tes futurs désirables, quels sont-ils ?

Ce que je souhaite, c’est que l’on n’accepte plus l’inacceptable ! Que l’on arrive à faire changer les choses, pour une alimentation saine, durable abordable pour toutes et tous mais bien au-delà : pour une société où l’on vit ensemble dans un respect mutuel, la justice sociale et environnementale, les droits fondamentaux.

Que les notions de transparence et de redevabilité deviennent la règle. Si l’on prend l’exemple des marges et des prix de vente alimentaires, déjà mettre en lumière qui profite de quoi et les conséquences de ces pratiques dissuaderait davantage.

Pour que cette transformation advienne, je suis également persuadée que nous avons besoin d’un renouvellement en profondeur de notre personnel politique et leurs biais. Le système aujourd’hui est aussi lâche que violent, contre l’intérêt général. Donc contre toutes et tous. Mais ça n’est pas une fatalité. J’en reviens à notre sujet : mobilisons-nous !

Pour aller plus loin :
– Visiter le site de Foodwatch France
– Retrouver l’interview de Karine Jacquemart dans RTL matin
– Regarder l’interview contre-pouvoir

Hortense Dewulf vient de rejoindre ENGAGE pour déployer l’atelier MISSION biodiversité.

Qui es-tu, Hortense ?

Vaste question… Il me faudrait la journée pour y répondre ! Plus sérieusement, je viens de rejoindre ENGAGE après une expérience dans le conseil en innovation et un voyage au coeur de l’Amazonie.

Pourquoi alors ENGAGE et cette MISSION Biodiversité ?

Je ne vais pas te surprendre. Je souhaitais faire coïncider à 100% mes convictions personnelles et mes responsabilité professionnelles. M’engager chez ENGAGE… ça allait de soi !

En quoi consiste ton travail ?

ll a de multiples dimensions. Un aspect de conception d’abord, en travaillant à la refonte de l’atelier avec Quentin Thomas, notre responsable biodiversité. Un aspect d’adaptation ensuite, pour accorder le troisième temps de mise en action aux enjeux des entreprises avec qui nous le déployons (en fonction de l’organisation, de son niveau d’engagement ou d’avancée sur ces sujets). Enfin, un aspect de déploiement pour trouver des nouveaux partenaires, des entreprises ou des universités dans lesquels le déployer. D’ailleurs, si vous souhaitez le tester ou le déployer, n’hésitez pas à me contacter, je serai ravie de vous aider 😉

Et toi, dans quel type d’organisations préfères-tu le déployer ?

Difficile de répondre. J’aime beaucoup le déployer dans les universités (nous l’avons fait avec l’Université de Sfax, en Tunisie, récemment) car je crois que les étudiants qui ont bien compris les enjeux, sont à la recherche de moyens pour être acteurs du changement.

Dans les entreprises la dynamique est différente car les collaborateurs ou dirigeants sont à mes yeux moins au courant de la crise de la biodiversité, qui est encore le parent pauvre, par rapport au climat. Nous avons du chemin à faire et c’est évidemment motivant.

Alors, justement, que propose l’atelier pour se mettre en action ?

Il est organisé en trois temps, avec une approche progressive pour permettre à chacun de s’emparer des enjeux. Le premier temps pour comprendre, le second pour s’entraîner et puis le dernier pour se lancer dans sa propre entreprise ou dans n’importe quelle organisation d’ailleurs. Il relie donc la compréhension théorique de ce qu’est la biodiversité et l’appréhension pratique de ses liens avec les activités économiques. Il est aussi très interactif et fait appel à l’intelligence collective. C’est une approche fondamentale dans cet atelier mais aussi plus génériquement car je pense que ce n’est que collectivement que nous trouverons des solutions.

Tu gardes donc espoir ?

Et comment ! Je ne veux pas vous dire que tout est foutu à 26 ans. La situation est grave oui, mais pas désespérée. Nous pouvons travailler à la défense, à la restauration, voire à la régénération de la biodiversité. Nous le devons même ! C’est maintenant qu’il faut s’engager. Regardez l’exemple du couple Salgado dont nous parlons dans cette ActionLetter, ils l’ont fait et le résultat est là. Je crois aussi que nous vivons un Momentum. Les planètes de l’engagement, notamment du monde économique, commencent à s’aligner. Les entreprises n’ont plus le choix car les risques liés à l’inaction commencent à être trop évidents. Et puis la biodiversité, c’est aussi une opportunité d’aller chercher l’engagement par le sensible. Qui, autour de vous, ne voudrait plus d’oiseaux, de poissons, de fruits juteux et de paysages variés ? Je suis certaine que nous pouvons jouer là-dessus. Attention, ce n’est pas de la manipulation hein ;), juste la meilleure stratégie à adopter. Bref, plus de tergiversations… de l’action !

Et tes futurs désirables, Hortense, à quoi ressemblent-ils ?

Je rêve d’un futur où il ira de soi d’investir dans le Vivant à la hauteur des services qu’il nous rend. Comme l’explique Emmanuel Delannoy, il s’agit “juste” d’une démarche de bon gestionnaire de réinvestir dans le capital (naturel) les bénéfices que l’on tire de la productivité du vivant.

Noémie Aubron est fondatrice du studio Prospective Créative et de la newsletter hebdomadaire La Mutante . Elle revient dans cette interview sur la force des mots et des récits pour transformer le réel.

Qui es-tu et qu’est ce que la “Prospective Créative” ?

Je suis Noémie Aubron et ma mission consiste à “ouvrir des futurs possibles”.
J’ai longtemps travaillé sur des projets d’innovation pour de grands groupes sur des problématiques de renouvellement de modèles économiques mais je me sentais toujours frustrée car je ne réussissais pas à faire entrer la dimension du changement dans le paradigme et les modèles d’innovation. 

C’est pour cela que j’ai commencé à creuser la question du “comment” parler de changements en sachant que j’avais déjà tenté de le faire sans succès via des méthodes plus rationnelles et corporate. J’ai commencé à  intégrer la notion de fiction en l’associant à la prospective.

Cela fait maintenant 5 ans que j’écris des récits qui sont l’incarnation de ce qui pourrait se passer. J’appelle cela de “l’analyse prospective”. J’essaie d’abord de détecter le changement, de le comprendre.

 

Comment racontes-tu le changement justement ?

Le plus important c’est de trouver le bon angle, une manière nouvelle de raconter ce changement.

Dans ma Newsletter je vais plutôt raconter le changement que j’observe personnellement, de façons très subjective, je partage mon regard sur le monde. 

Mais je travaille aussi auprès des entreprises pour les aider à comprendre et décrypter les tendances nouvelles. Nous sommes à la recherche des “angles morts” ou de ce que l’on appelle les “éléphants noirs” dans notre jargon : des tendances que l’on ne veut pas voir mais qui sont bien présentes et dont les entreprises ont tout intérêt à se saisir pour les intégrer dans leur modèle. 

 

Y a-t-il une réelle volonté de la part des entreprises de transformer le réel pour des futurs plus désirables?

Je dirais que la fiction prend surtout une dimension “de conte d’avertissement”, de lanceur d’alerte qui fait prendre conscience aux entreprises d’un futur non souhaitable, dystopique, pour elles et pour le monde afin de les inciter à travailler sur des transformations plus désirables. 

Pour cela j’aide les entreprise à définir leur intention, je les aide à se projeter pour définir leur mission, les nouveaux métiers qui en découlent et surtout à définir ce vers quoi elles ont envie de se projeter. C’est ce chemin de transformation que j’essaie d’installer grâce à la fiction qui devient un réel outil de transformation.

 

Dans quelles domaines observes-tu le plus de potentialité ou de nécessité de changement ?

Il y en a beaucoup bien évidemment ! Ce sont surtout nos modes de vie car ils vont nécessairement impacter l’activité des entreprises. 

Il y a par exemple notre rapport au confort. Le confort tel qu’il a été conceptualisé ces 50 dernières années devient inopérant aujourd’hui. Se pose la question de savoir ce qu’est un environnement confortable. Il ne s’agit plus, à mes yeux, de le définir comme un confort matériel. 

L’apparition des low tech est aussi un marqueur important à l’heure de notre interrogation sur l’utilisation de nos ressources naturelles.

Dans un monde en accélération constante, je parlerais aussi de notre rapport au temps, de notre gestion des espaces. Pour parler de façon triviale, le confort s’incarne-t-il dans notre désir de posséder la dernière machine à café la plus perfectionnée ou dans le temps dont nous disposons pour cultiver nous-même, notre jardin ?

Il semble que s’ouvre un nouveau chapitre dans nos manières de consommer, d’envisager notre rapport au monde.

 

Et justement, quels seraient tes futurs désirables ?

Habitant à La Rochelle, j’ai une sensibilité toute particulière sur les sujets lié à la mer, à sa protection et plus généralement à notre rapport au vivant. 

Dans cette même veine, je pense aussi à l’urgence de redéfinir notre rapport à l’alimentation. Cela touche les aliments eux-mêmes, leur qualité mais aussi leurs modes de production, de distribution avec des conséquences en matière de santé publique, d’aménagement du territoire.

Rencontre avec Sabine Jean Dubourg, fondatrice et associée du cabinet de conseil en achat responsable The A Lab. Avec elle, nous creusons la thématique de l’achat responsable, sujet clé de la transition environnementale et sociale des entreprises.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Sabine Jean Dubourg, j’ai fondé il y a quatre ans un cabinet de conseil en achat responsable, The A Lab. “A” comme achat, comme autrement et comme Aquitaine ma région d’origine. “Lab” parce que j’ai commencé les achats il y a maintenant 27 ans dans l’industrie pharmaceutique. The A Lab est avant tout un réseau d’une dizaine de partenaires, y compris de grandes entreprises comme Tennaxia et Axa Climate, qui nous aident à penser la stratégie long terme dans les achats. C’est un cabinet à  la fois agile et adossé à des grands qui ont des outils performants sur les stratégies achat et sur la vision long terme.

Quelle serait votre définition de l’achat responsable ?

Ma définition de l’achat responsable comporte trois dimensions. Il s’agit d’abord d’acheter un produit en tenant compte des contraintes économiques de l’entreprise et des attentes du marché qu’elle vise. Il s’agit ensuite d’acheter chez un fournisseur responsable ou d’amener un maximum de ses fournisseurs vers plus de responsabilité. Enfin, la relation entre le fournisseur et l’acheteur doit être elle-même responsable, respectueuse, éthique.

Justement, comment encourager les entreprises à rendre leurs achats plus vertueux ?

Les achats représentent une grosse part du budget des entreprises : entre 40 et 80% des dépenses pour une entreprise de distribution. L’enjeu est majeur.

Après, aucune entreprise ne part de zéro. Il y a les fournisseurs que l’on choisit après avoir lancé sa nouvelle politique d’achat responsable, mais il y a aussi tout un héritage de fournisseurs, qu’il faut réussir à accompagner vers plus de responsabilité. C’est donc une transition qu’il s’agit d’opérer.

Les clients, les consommateurs ont un rôle majeur. Aujourd’hui, les clients sont de plus en plus exigeants, la confiance se gagne. Ils réclament la traçabilité des produits, tout au long de la chaîne de production, contraignant les entreprises à bouger.

Il y a aussi les normes, les réglementations, au niveau national ou européen. Les nouvelles réglementations sur l’impact des produits en termes de déforestation, par exemple, vont, je l’espère, avoir un impact important.

Les pratiques d’achat en entreprise sont peu connues du grand public, dès lors, comment valoriser les bonnes pratiques ? Et comment éviter le greenwashing ?

Il faut beaucoup d’humilité lorsque l’on communique sur les achats responsables car c’est un sujet très complexe : qui dit trois dimensions, dit trois opportunités mais aussi trois risques de mal faire.

L’idéal pour communiquer sur un produit responsable est d’objectiver les données par des analyses comme celles du cycle de vie (ACV). Et cela demande un vrai engagement de l’entreprise, en temps et financier. Mais c’est aussi le moyen le plus efficace de communiquer sans greenwashing parce que l’on a objectivé la responsabilité sociale et environnementale par une analyse. 

Il convient aussi d’établir un code de conduite fournisseur, à l’image d’un code de conduite collaborateur, qui précise ce que le fournisseur peut ou ne pas faire. Quand une entreprise communique sur la responsabilité de sa chaîne d’approvisionnement, très souvent elle communique sur ce code de conduite, souvent rendu public, qui doit être envoyé et explicité aux fournisseurs les plus à risques.

Il faut enfin cartographier ses risques : quels sont les fournisseurs et les produits qu’on achète qui sont à risques ? Ce qui peut nous amener parfois à renoncer à certains produits. Un de mes clients avait une gamme de produits qui contenait de l’électronique fabriquée en Asie, sur laquelle il n’arrivait pas à avoir suffisamment d’information. L’entreprise a décidé de supprimer cette gamme de produits pour supprimer le risque et être plus cohérente. 

Lorsque l’on met en place une démarche humble, transparente et objectivée par des outils (ACV, cartographie, code de conduite), alors le risque de greenwashing diminue très sensiblement. 

Mais finalement, le point de départ n’est-il pas d’acheter et de produire moins ? Quelle est la place de la sobriété dans l’achat responsable ?

Bien sûr. La première chose que je dis en formation, c’est d’analyser le besoin, comme on pourrait le faire à titre individuel avec la méthode “BISOU” par exemple. La méthode BISOU repose sur cinq questions :
Le “B” de “besoin”: est-ce que tu as besoin du produit ? Par exemple, un collaborateur vient demander un ordinateur et rêve du même que celui du directeur financier. Mettons que le directeur financier passe 8 à 10 heurs par jour sur des fichiers Excels lourds, et que ce collaborateur soit dans la direction marketing, donc utilise plutôt ses mails et PowerPoint.  Le besoin est différent, donc l’ordinateur  sera sans doute différent. 

Le “I” de “immédiat”. Souvent le donneur d’ordre veut la chose immédiatement, ce qui crée une pression pour l’acheteur. Il faut savoir éduquer et replacer les choses dans le temps. 

Le “S” de “semblable” : il s’agit de se demander si l’on dispose déjà d’un produit semblable. Par exemple, à une époque j’achetais du mobilier de bureau, et dès qu’un nouveau collaborateur arrivait, il fallait absolument lui acheter un nouveau bureau. Il a fallu éduquer les collaborateurs à réutiliser des bureaux déjà existants dans l’entreprise, tout simplement.  

Le “O” de “origine” : quelle est l’origine du produit que je souhaite acheter ? C’est toute la question de la traçabilité, de la provenance, que nous avons déjà abordée. 

Le “U” de “utile” : Avons-nous tous besoin d’un bureau avec le télé-travail ? 

Selon vous, quelles sont les compétences et les connaissances clés de l’acheteur de demain ?

La première qualité de l’acheteur, c’est d’être très curieux car le métier évolue beaucoup et nécessite de nouvelles connaissances. Le métier devient plus technique. L’acheteur doit comprendre ce qu’est une ACV par exemple, comment on la réalise, la lit, ce qu’est un bilan carbone…Ce sont des compétences nouvelles…
Il doit aussi être un bon communicant en interne et en externe pour convaincre de ses choix, essayer de faire évoluer un fournisseur, etc. Un métier très complet donc.

Et enfin Sabine, quels sont vos futurs désirables ?

Il conviendrait tout d’abord d’arrêter de parler de croissance infinie dans un monde fini et de sortir de cette société de surconsommation dans laquelle nous avons été baignés depuis trop longtemps.
L’analyse est la même au niveau des entreprises. Elles doivent, elles aussi, renoncer à une logique de croissance à tout prix. C’est compliqué, bien évidemment, je ne suis pas naïve, mais c’est à ce prix que nous éviterons de dépasser toujours plus les limites planétaires.

Bref, privilégions l’indice bonheur à l’indice croissance !

Rencontre avec Philippe J. Dubois, ornithologue et auteur de “La Grande Amnésie écologique” et “Petit traité de solastalgie”. Philippe interviendra lors de notre conférence le 5 juillet à l’Académie du Climat.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Philippe Dubois, et je suis ornithologue. J’ai à la base une formation de chirurgien dentiste et d’ingénieur écologue. J’ai longtemps travaillé pour la LPO et je suis auteur écrivain, sur des sujets liés à la philosophie des sciences, mais aussi sur l’influence du changement climatique sur les oiseaux. 

Au-delà de vos travaux autour des oiseaux et des espèces domestiques, vous semblez vous intéresser à nos liens au vivant, souvent perdus, pourquoi ?

Je vais d’abord commencer par vous raconter une anecdote ! Quand j’étais jeune, alors que je me promenais avec mon père, je lui ai fait remarquer que nous entendions beaucoup chanter les alouettes. Il m’avait alors répondu qu’elles étaient beaucoup moins nombreuses que lorsque lui-même était jeune. Quelques décennies plus tard, en me promenant avec mes enfants, je leur fais observer qu’elles sont encore plus rares : si nous en entendons aujourd’hui 3, j’avais dû moi-même en entendre 10, quand mon père lui en entendait 20 ! 

Le Muséum national d’Histoire naturelle a beaucoup travaillé sur un programme nommé Stoc, le suivi temporel des oiseaux communs. On se rend compte que des espèces d’oiseaux telles que l’étourneau, l’alouette ou la caille des blés, qui étaient réputées communes et faisaient partie du paysage sonore, sont en train de disparaître. Nous prenons conscience de ces extinctions dès lors qu’il est déjà trop tard, parce que notre cerveau fait des mises à jour permanentes et nous fait oublier le passé

Vous avez écrit La Grande Amnésie écologique en 2012, puis Petit traité de solastalgie en 2021, pouvez-vous nous éclairer sur ces deux concepts ?

L’amnésie écologique, c’est cette capacité incroyable qu’a notre cerveau d’oublier le passé. Inconsciemment, il réalise des mises à jour, et finit par oublier les situations passées pour retenir uniquement les situations présentes, celles durant lesquelles nous pouvons agir. Le seul souci, pour reprendre l’anecdote de l’alouette, c’est qu’en perdant le recul, nous n’avons plus la vision exacte de la dynamique de cette espèce. On ne s’aperçoit donc pas qu’elle diminue, jusqu’au jour où nous sommes face à un quasi-effondrement. C’est cela finalement, l’amnésie écologique, une vision parcellaire de la réalité des choses qui nous dépasse et nous mène à prendre des mauvaises décisions. 

La solastalgie, c’est une sensation de tristesse et de nostalgie. Pour prendre un exemple, imaginons que vous partiez 3 mois en voyage : certes, au bout d’un certain temps, vous aurez la nostalgie de la France, mais vous savez que vous y reviendrez à un moment ! La solastalgie, c’est exactement le contraire : c’est le pays qui vous quitte, vous êtes toujours au même endroit, sans vraiment être dans le pays que vous avez connu. Le petit parc où vous jouiez étant petit n’existe plus. Tous ces éléments vous font prendre conscience et vous procurent une sensation d’anxiété, de tristesse et parfois de déni, c’est vraiment l’équivalent d’un travail de deuil. 

Justement, que pensez-vous de l’évolution de notre rapport à la biodiversité, allons-nous dans le bon sens ? 

Il y a tout de même une prise de conscience, pas encore généralisée. Il aura fallu des évènements météorologiques extrêmes pour que les gens comprennent qu’il y a une perte de la biodiversité. Pourtant la rapidité du processus n’est pas encore assimilée. Les premiers chercheurs ont annoncé au Sommet de Rio en 1992 qu’il restait 10 ans pour sauver la planète. Nous sommes en 2023, je vous laisse faire le calcul ! Chaque jour qui passe est un jour de moins pour sauver la biodiversité. 

Puis, il y a aussi cette espèce de léthargie qui nous immobilise. Lorsqu’on commence à se poser la question de ce que l’on “peut” faire, c’est qu’on a pas vraiment envie de faire… 

Enfin, je ne crois plus vraiment au grand effondrement où tout disparaîtrait. Certaines espèces, à l’image des invertébrés, sont bien mieux adaptées que nous au changement climatique. Mais les mammifères supérieurs, auxquels nous appartenons, sont beaucoup plus menacés. Même si nous ne pouvons pas attester d’une disparition, nous allons faire face à une régulation très importante de l’espèce humaine, soit à travers la pollution, la sécheresse ou les maladies…

Donc je suis moyennement optimiste ! Les politiques et les industriels ne sont pas prêts à voir bouger les choses, pourtant la sauvegarde de la biodiversité passe forcément par la politique. 

Nous avons tendance à oublier qu’au sein de la pyramide du vivant, nous sommes tout en haut : nous dépendons largement des biens et services rendus par la nature. Si la base s’effondre, nous allons tomber. 

Quelles seraient les solutions pour faire face à l’amnésie écologique ou à la solastalgie ?

Il faudrait avant tout une prise de conscience globale et rapide. On parlait tout à l’heure de mises à jour de notre mémoire, aujourd’hui, ça ne serait même plus le logiciel qu’il faudrait changer, mais le disque dur ! C’est-à-dire notre appréhension du monde, notre compréhension du monde et surtout notre volonté de faire en sorte que choses changent. Cela sous entend laisser tomber les habitudes, laisser tomber nos modes de vies et laisser tomber notre pouvoir dominant blanc-occidental… Tout cela est très compliqué ! 

Je pense donc que nous allons forcément passer par une phase de remise en question, les solutions vont passer par des choses qui vont nous dépasser : les crises climatiques, atmosphériques, de pollution, sanitaires, alimentaires… 

Enfin, nous avons tendance à oublier qu’au sein de la pyramide du vivant, nous sommes tout en haut : nous dépendons largement des biens et services rendus par la nature. Si la base s’effondre, nous allons tomber. 

Le 5 juillet prochain, lors de la deuxième conférence de notre Défi Biodiversité, nous tenterons d’identifier les causes de cette déconnexion, pouvez-vous nous en citer quelques unes ?

La première selon moi, et la plus importante, réside dans notre mode de vie à l’occidentale puisqu’il nous déconnecte complètement de la réalité environnementale. Nous n’avons jamais eu autant d’amis virtuels tout en se sentant aussi seuls qu’avec les réseaux sociaux. Nous nous sommes installés dans un confort consumériste, qui fait que nous sommes bien à l’aise dans ce cocon et que nous n’avons pas envie de changer. De temps en temps, pendant les vacances, il nous arrive d’aller profiter d’un petit coin de nature, mais dès que nous rentrons, nous reprenons nos habitudes. Il n’y a pourtant rien de pire que l’habitude pour se déconnecter de la réalité. Il serait donc temps d’apprendre la biodiversité aux enfants en même temps que l’on leur apprend à parler.

L’autre cause selon moi, est liée à la notion d’immédiateté. Nous sommes entrés dans le temps court, hors tout ce qui est d’attrait à la biodiversité et à son évolution, ne se fait que dans le temps long ! Il faudrait que l’on apprenne à reprendre le temps. 

Et enfin Philippe, à quoi ressemblent vos futurs désirables ?

Justement, mon futur désirable, ce serait qu’après des millénaires de domination du patriarcat sur la planète, sur les femmes, sur les animaux, avec le résultat que nous connaissons aujourd’hui, nous laissions la parole aux femmes. Que nous leur laissions le temps de l’action, le temps de prendre les choses en main et que nous les aidions, sans se mettre dans une posture qui consisterait à dire “à votre tour”. Vu ce que l’on a fait, elles ne peuvent pas faire pire que nous !

Ma conviction aujourd’hui, c’est que l’écoféminisme est peut-être la dernière chance pour sauver la planète. Il suffit d’aller en Afrique ou en Asie pour voir que les femmes sont des éco féministes bien avant l’heure. Elles y gèrent la nature, bien mieux que les hommes. C’est selon moi la seule voie pour que notre futur reste désirable, et reste vivant. 

La Data peut-elle se mettre au service de la transformation environnementale et sociale ? Le point avec Lou Welgryn, Head of Product chez Carbon 4 Finance, et co-Présidente de l’association Data for Good.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Lou Welgryn, j’ai 28 ans, et je suis Head of Product chez Carbon 4 Finance, et co-Présidente de l’association Data for Good.

Data for Good, c’est une communauté de 4000 experts de la tech. Ce sont des bénévoles qui donnent de leur temps pour accompagner les projets à impact sociaux et environnementaux qui n’ont pas forcément les ressources nécessaires en interne. Pour cela, nous créons des équipes de bénévoles qui vont donner du temps pendant 3 mois pour aider des associations qui servent l’intérêt général.

Et quelle serait votre définition de “data for good” ?

Il s’agit d’en permanence se poser la question de la finalité de l’usage de la donnée, et pas seulement de voir la donnée comme un moyen. Aujourd’hui, la donnée est un outil au service d’un produit ou d’un service que l’on vend. Donc lorsqu’on veut utiliser de la donnée “for good”, la première chose à faire est de se demander si le service ou le produit que l’on vend est compatible avec un monde bas carbone et en harmonie avec le vivant. Si la réponse est oui, alors on peut commencer à regarder comment l’utiliser.

Pour donner un exemple un peu plus concret, utiliser de la donnée pour réduire son impact quand on vend de la publicité vidéo en ligne n’a pas vraiment de sens, puisque la finalité du produit vendu n’est pas du tout alignée avec un monde bas carbone.

Enfin, chez Data for good, nous mettons un point d’honneur à ce que la donnée et le code produit soit open source, pour servir l’intérêt général et pour pouvoir être réutilisé par d’autres personnes qui auraient des problématiques similaires. C’est vraiment une démarche de construction de communs numériques.

Vous êtes par ailleurs “Carbon Data Analyst” chez Carbon 4 Finance, à quoi cela correspond-il ?

Chez Carbon 4 Finance, nous travaillons avec les investisseurs et les aidons à identifier les entreprises qui intègrent au mieux les enjeux environnementaux. Pour cela, nous développons des méthodologies sectorielles qui nous permettent de comprendre les impacts directs et indirects des entreprises.

Il s’agit vraiment de remettre la physique au cœur de l’économie, et de recalculer les impacts réels et les dépendances qu’ont les entreprises aux énergies fossiles, en évaluant à la fois leurs performances passées, présentes et futures. Cela laisse à appréhender leur compréhension des enjeux, la façon dont elles les intègrent dans leurs stratégies mais aussi de savoir si elles s’engagent réellement dans la transition. Grâce à cela, nous obtenons une sorte de bilan carbone simplifié, à partir des données publiques rapportées par l’entreprise, pour être capable d’identifier les meilleures au sein de chaque secteur. Nous utilisons également la note pour comparer les entreprises entre elles.

Data for good rejoint, d’une certaine façon la promesse initiale du web, aujourd’hui considérée comme dévoyée. En quoi la data peut-elle contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique ?

Il s’agit donner les bonnes informations aux gens pour leur permettre d’agir. La technologie est un outil important certes, mais qui n’est pas essentiel dans le combat. Une fois que l’on a identifié les besoins qui sont les nôtres pour vivre dans un monde bas carbone et en harmonie avec le vivant et pour réussir à s’y adapter, alors à ce moment on peut utiliser les données pour décupler son impact.

Par exemple, chez Data for good, nous avons développé l’éco-score avec Open Food Facts, qui permet aux consommateurs de comprendre l’empreinte carbone de leur alimentation. Savoir que 1kg de bœuf génère 30kg de CO2 contre 700g pour 1kg de tomates peut permettre d’éclairer le choix des consommateurs, de faire prendre conscience aux industriels de ces changements de modes de consommation et les faire bouger.

Qu’en est-il pour les autres limites planétaires, comme l’effondrement du vivant par exemple ?

Je peux citer un autre exemple. Le projet Pyronear a pour objectif d’aider les pompiers à détecter les départs de feux. Concrètement, il s’agit d’un micro dispositif apposé sur une tour de guet, qui permet grâce à un algorithme de deep learning en open source, de traiter en instantané les images pour alerter les pompiers en cas d’incendie. Ici encore, la donnée permet d’avoir les bons ordres de grandeur pour prendre des décisions. Malgré les croyances, ce n’est pas la donnée en elle-même qui va nous aider à résoudre la crise climatique.

Et justement, quels seront les futurs métiers et donc les compétences et connaissances requises pour travailler dans la “data for good” ?

Il n’y a pas besoin d’avoir fait une école d’ingénieur ou des maths pendant 10 ans pour travailler dans le monde de la donnée. D’ailleurs, nous manipulons tous de la donnée, tout le temps. Cela peut être très intéressant d’avoir des profils différents, avec une diversité de regards. Il y a forcément des compétences techniques, puisqu’il faut apprendre à coder un petit peu, mais c’est finalement très réalisable si on accède aux bonnes formations en ligne.

Je pense qu’une autre compétence fondamentale, c’est la capacité de réflexion et d’interrogation sur les données manipulées. Il faut toujours se poser des questions sur la façon dont nous obtenons les chiffres, sur leur origine, sur les biais existants, car en fait, pour avoir un chiffre, on part toujours d’une hypothèse de départ. Au final, ne pas prendre les chiffres comme des vérités absolues, mais être capable de les nuancer et d’avoir cette envie de les comprendre.

Enfin, il faut aussi dire que la data est un monde encore très masculin, c’est donc très important en tant que femme d’oser ne pas se mettre de barrière. Ce sont des choses que j’ai moi même beaucoup vécues. Si c’est quelque chose que vous voulez faire, osez aller vers ces métiers !

Mais finalement, quand on sait l’énergie consommée par les data centers, la data peut-elle vraiment être “for good” ?

Il y a un vrai sujet. Les data centers représentent 25% de la consommation énergétique du numérique vs 45% pour la fabrication des terminaux.

En revanche, ce que l’on constate dans les faits, c’est qu’à chaque fois que l’on a inventé une technologie que l’on pensait plus efficace énergétiquement, on a fini par intensifier son usage. Si l’on prend l’exemple de la 5G, qui promettait d’être 10 fois plus efficace énergétiquement que la 4G, partout où elle est déployée, on explose le volume de données transférées. C’est donc une question d’effet rebond, propre à la technologie en général.

Prenons l’exemple de Chat GPT, 0,1% de l’usage est intéressant pour le climat (Climate Q&A par exemple) quand le reste sert à définir la façon dont on peut vendre encore plus de biens peu utiles pour notre bien-être.

L’autre sujet, c’est aussi que la manière dont on conçoit les outils et la technologie qui collecte les données peut nous enfermer dans un mode de pensée. Par exemple, les réseaux sociaux sont des outils pensés pour capter l’attention qui, de fait, favorisent notre consommation.  Il faudrait designer ces réseaux sociaux pour qu’ils favorisent un usage sobre. On en est loin.

Et enfin, Lou, quels seraient vos futurs désirables ?

Je pense à un monde ou c’est cool et stylé de mieux connaître le chant des oiseaux plutôt qu’un logo sur une image.

Mon futur souhaitable est bien défini par Timothée Parrique, c’est un futur où il y a “moins de biens et plus de liens”. Laissons nous le temps de vivre, parce qu’il s’agit bien de la ressource la plus précieuse, et réfléchissons à comment nous l’utilisons : en faisant des choses qui comptent ou en se tuant à gagner de l’argent pour un travail où l’on produit encore plus de choses inutiles ?

J’ai bien conscience que je parle en étant privilégiée, avec un travail qui me passionne. Donc un monde désirable, c’est aussi un monde où tout le monde a le choix de pouvoir faire un travail utile, qui fait sens.

Cette semaine, rencontre avec Sébastien Maire, délégué général de France Ville Durable, partenaire du Grand Défi. Avec lui, nous faisons le point sur le rôle essentiel des territoires dans la transformation écologique et sociale. 

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Sébastien Maire, le délégué général de l’association France Ville Durable. Une association d’intérêt général qui réunit des parties prenantes professionnelles de la ville durable. 

C’est un mouvement assez unique au niveau national, grâce à ses quatre collèges d’acteurs professionnels : l’État, les collectivités locales et certaines de leurs fédérations nationales et intercommunalités, les entreprises (aussi bien des grands comptes du CAC40 que des start-ups) et enfin, le collège des experts : des têtes de réseau nationales d’expertises ou de connaissances scientifiques qui viennent appuyer nos travaux.

Justement, quelles sont les missions de France Ville Durable ?

Repérer et diffuser le plus largement possible, en France et à l’international, des outils, méthodes et exemples concrets de réalisations ou de politiques déjà mises en œuvre, qui permettent à la fois l’accélération de la transformation et la montée en résilience des territoires.

Finalement, la transformation écologique doit répondre à des objectifs globaux, mais sa mise en œuvre, c’est de la dentelle territoriale, aussi bien sur l’atténuation que sur la résilience et l’adaptation. 

Selon vous, quel est le rôle des territoires dans la transformation de la société ? 

Un rapport du GIEC qui donne des grands chiffres à l’échelle mondiale en 2100, ne représente pas un outil pour l’action territoriale. Chaque territoire détient à la fois sa propre histoire, ses spécificités, son contexte, ses acteurs, sa géomorphologie, ses ressources… en somme, son passif hérité du développement économique du siècle dernier. Les stratégies de transformation et d’adaptation ne peuvent donc être les mêmes d’un territoire à l’autre.

Par exemple, on ne doit pas rénover des logements de la même manière au sud et au nord de la France, on ne doit pas lutter contre les mêmes risques environnementaux selon qu’on soit dans la montagne ou sur le littoral… En fait, l’État fixe un grand cadre, mais ce sont les élus locaux et les entreprises locales qui “font”. 

Enfin, il existe une certaine proximité au niveau territorial, qui fait que les élus, les entreprises et les citoyens connaissent très bien leur territoire, et on sait qu’il va être important de faire avec ceux qui savent ! Par ailleurs, les décideurs et décideuses ont une légitimité démocratique bien plus forte. 

Finalement, la transformation écologique doit répondre à des objectifs globaux, mais sa mise en œuvre, c’est de la dentelle territoriale, aussi bien sur l’atténuation que sur la résilience et l’adaptation. 

Qu’est-ce qu’un territoire durable et résilient ? Existe-t-il des indicateurs permettant de le mesurer ?

Un territoire résilient, c’est un territoire qui va mesurer son impact et son utilisation des ressources. Pour cela, le jour du dépassement est un très bon indicateur de non résilience : il nous permet de savoir que nous vivons à crédit. 

Ces dernières années, les territoires ont placé les objectifs de développement durable au cœur de leur action, ce qui nous a amené à continuer à développer sans cesse alors que nous sommes déjà surdéveloppés au Nord… À l’inverse, si l’on souhaite que les pays du Sud puissent accéder à un minimum de développement, il va falloir se rappeler que les ressources utilisées au Nord et au Sud sont les mêmes, et qu’il n’y en a pas assez ! C’est une question de choix : est-ce que l’on met des hôpitaux en Afrique où est-ce que l’on développe des voitures volantes ? En fait, le mot “limite” est trop peu pris en compte, pourtant la réalité physique s’impose aux décisions politiques ou économiques : notre monde est fait de limites et notre économie est totalement hors sol. 

Chez France Ville Durable, nous finançons des thèses de doctorat et des travaux visant à créer des indicateurs de territorialisation des limites planétaires. Pour savoir où agir en priorité, on a besoin de nouveaux critères qui tiennent compte de ces limites, mais aussi du plancher social : c’est la fameuse Donut Economy, que nous cherchons à instrumenter de manière très opérationnelle pour les territoires qui veulent bifurquer. Pour assurer un avenir sûr et juste pour l’humanité, il faut que les activités économiques entrent dans le Donut !

Avant cela, il faudra commencer par une chose importante : sortir du déni et comprendre la réalité de la situation, c’est indispensable pour prendre les bonnes décisions et mettre en application des stratégies tenables. 

Globalement, il y a beaucoup de concepts qui transcendent la ville durable et c’est nécessaire et positif, cela souligne aussi le fait que ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui ne fonctionne pas. 

Ces dernières années, de nombreux concepts ont émergé, à l’instar de “la ville du quart d’heure”, qu’en pensez-vous ?

C’est vrai qu’on en entend beaucoup parler ! C’est un super concept marketing pour dire une chose simple : il faut réaménager les territoires locaux ! En revanche, le concept n’est pas accompagné d’outils, de métriques, de méthodes… ce n’est pas un outil opérationnel. 

Globalement, il y a beaucoup de concepts qui transcendent la ville durable et c’est nécessaire et positif, cela souligne aussi le fait que ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui ne fonctionne pas. 

Selon moi, un concept s’oppose à tous les autres, c’est la vision holistique de la résilience. N’oublions pas que la résilience est notre horizon à tous quoi qu’il arrive, c’est notre horizon si nous ne parvenons pas à atténuer un certain nombre de phénomènes, mais c’est aussi notre horizon si nous y arrivons, parce que les changements de vision majeurs que nous allons devoir mettre en place pour que les territoires deviennent résilients, vont aussi appeler à de la résilience personnelle. 

Pourriez-vous citer des exemples de bonnes pratiques ? 

Avant tout, il faut prendre en compte qu’en matière de ville durable, tout prend du temps ! 

Mais pour citer un exemple, il y a l’éco-village des Noés à Val-de-Reuil en Normandie qui coche beaucoup de cases. Avant tout, il a été fait le choix du petit habitat collectif à la place des pavillons individuels, qui offre une bien meilleure qualité énergétique et qui limite au maximum l’artificialisation des sols. Autres avancées : l’éco-village est 100% biosourcé et la construction des bâtiments, basée sur une cartographie du vivant et de l’eau, est pensée pour ne pas y contrevenir (l’inverse de ce que l’on fait d’habitude). Résultats : cinq ans après sa création, il fait partie du top 3 des éco-quartiers dans lesquels les habitants disent le mieux vivre dans les 500 qui existent en France, il coûte beaucoup moins cher qu’un éco-quartier traditionnel et il a un très bon bilan écologique. 

Enfin, et même si nous devons arrêter de placer le numérique comme religion, je dois dire que certains outils numériques sont extrêmement utiles pour caractériser les enjeux à l’échelle du territoire… À titre d’exemple, Urban Print d’Efficacity, qui permet de prendre des décisions précises sur le fait de rénover ou de démolir des bâtiments. 

Et enfin, Sébastien, quels sont vos futurs désirables ?

Je dirai que c’est un futur frugal et convivial parce que réaliste ! Nous devons ériger la frugalité comme un horizon désirable : ce n’est pas un renoncement mais une façon d’améliorer nos qualités de vie. La frugalité représente un magnifique levier de réponse aux enjeux environnementaux, de renforcement des coopérations et de la solidarité.

Nos programmes et parcours facilitent la prise de conscience et l’engagement des citoyens, agents, élus et de tous les acteurs de votre territoire pour accélérer sa transition environnementale et sociale. Découvrez notre offre.

François Gemenne était notre invité dans ENGAGE Calls, mardi 21 avril. Voici une synthèse de l’entretien.

 

Le premier mouvement de François Gemenne est celui de l’inquiétude.

Inquiétude de constater que des milliards d’Euros sont aujourd’hui affectés à la « relance » sans aucun fléchage vers un changement de modèle, une prise en compte du défi climatique. Et, en plus, de constater que ces affectations sont effectuées sans aucune délibération démocratique.
Inquiétude également de voir que le Green New Deal Européen est remis en cause. Ceux qui le remettent en cause sont puissants, bien organisés. Ceux qui veulent un monde différent sont moins puissants et encore moins bien organisés aujourd’hui.
Inquiétude, donc, qu’on nous prépare un « monde d’après » qui soit, en fait, « le monde d’il y a 20 ans », sans aucun débat démocratique…
Pistes d’action : écrire, sans relâche, aux députés est une voie d’action efficace. Se regrouper aussi pour faire action commune et livrer publiquement les attentes des citoyens aux politiques.

 

Pourtant, nous sommes à un moment de bascule.

La crise révèle aussi, et c’est son versant positif, un vrai élan de solidarité et une capacité à réagir rapidement et de façon radicale, à l’échelle mondiale.
Et c’est ce dont nous avons besoin aujourd’hui pour lutter contre la prochaine crise planétaire qui s’annonce, climatique : d’une solidarité entre les générations (ce sont les prochaines qui seront touchées) et entre les pays (ce seront des pays lointains qui seront les plus gravement touchés).

 

La crise du coronavirus entraîne un basculement complet.

Ainsi, par exemple, les Européens sont aujourd’hui « interdits » dans de multiples pays. Ils vivent ainsi  la situation des « migrants » interdits d’entrer en Europe. Si le Corona a provoqué l’exode de centaines de milliers d’Européens, cela nous aidera-t-il à accroître notre compréhension de ce qui pousse les migrants à partir…
Nécessité : réinvestir l’échelon local (alimentaire, industriel, politique) sans se fermer.

On constate aujourd’hui les disparités régionales par rapport au virus en France, qui entraînent des politiques différentes. On constate que, de son côté, l’Allemagne, pays fédéral a bien géré le virus avec des politiques différenciées selon les länder.
Il y a augmentation du besoin de décentralisation. Mais comment faire pour garder un haut niveau d’échange, notamment au niveau international ? Il y a un risque de repli autarcique nationaliste. Il y a nécessité, à la fois d’un échelon local ET global. Sur la question climatique par exemple, le défi est mondial et le niveau national deviendra moins pertinent.
Etre moins dépendant de l’étranger pour les produits essentiels est une nécessité. Il nous faudra choisir et non subir notre relation avec les autres nations.

 

Pour répondre au défi climatique, il y a nécessité que les citoyens se réapproprient les choix collectifs. Il y a actuellement une vraie crise démocratique. Il y a nécessité de résoudre cette crise de la représentation. Il importe que les gens se rendent compte qu’ensemble, il est possible de faire des choses.
Il y a un paradoxe : la crise du Corona impose de faire un effort individuel. Pour le changement climatique, c’est l’inverse. Ensemble est essentiel. Agir comme citoyen, pas comme consommateur.

 

La crise, qui rebat totalement les cartes – le pétrole à prix négatif par exemple – permet d’envisager de nouveaux moyens d’action.
Et si les ONG achetaient massivement des actions de grands acteurs pétroliers dont la valeur a fortement baissé ?
La crise dépasse donc largement la dimension sanitaire. Il serait donc bon d’entendre des experts des enjeux sociaux et pas seulement des docteurs et scientifiques.
Les conséquences de la brutale chute du pétrole : faillite des producteurs de pétrole issu de sables bitumineux, augmentation de la compétitivité des énergies fossiles face aux renouvelable mais aussi, conséquences géopolitiques : quid de l’Algérie, du Venezuela, par exemple, des pays qui dépendent de leurs exportations de pétrole ? inversement quid de l’influence future de l’Arabie Saoudite ?

La crise actuelle permet une première prise de conscience des conséquences sanitaires, gigantesques, du changement climatique et de la perte de biodiversité. La fonte du pergelisol (le sol gelé en permanence), qui risque de relâcher de multiples virus, les migrations « économiques » qui sont des migrations « écologiques » dues au changement climatique, …l’agriculture… la pollution (les régions où il y moins de pollution sont moins touchées par le virus).

 

Il nous faut inventer un nouveau récit

Il y a nécessité de rendre désirable le monde d’après, à tous ceux dont l’aspiration première, légitime, est de retrouver leur vie d’avant et leur emploi !
Les entreprises vont peut-être pouvoir desserrer l’étau de leurs actionnaires. Car les pressions des régulateurs, des salariés, des consommateurs, de la société civile organisée sera croissante. Elles pourront favoriser des stratégies de résilience pour faire face à des crises qui se reproduiront
Il nous faut considérer les immigrations qui vont croître du fait du changement climatique comme un investissement. Exemple : la Grande Bretagne a accueilli le plus d’immigrés et c’est grâce à eux que tient la NHS. Les 10 premiers médecins morts du virus étaient des immigrés…

 

Ensuite, comment allons-nous gérer la dette immense en cours de création ?

La jeune génération va avoir triple peine, le changement climatique, l’emploi, et la charge de la dette qui est en train d’exploser. La chance, c’est que tous les pays sont touchés. Il y a donc une opportunité de remette les compteurs à zéro.

 

Quels sont les futurs désirables de François Gemenne ?

L’inverse de la situation actuelle, de confinement, de fermeture, de distanciation.

Un futur d’échange, de partages, de liens.

 

Les points saillants :

  • La crise est une source d’inquiétude et pourrait nous ramener 20 ans en arrière en cédant à des pressions conservatrices

  • Toutefois elle a montré notre capacité de solidarité et d’action radicale

  • Et révèle le besoin d’un nouvel équilibre entre l’échelle locale et transnationale

  • Mais il faut se relier pour peser démocratiquement

  • Inventer de nouveaux modes d’action

  • Et le nouveau récit du monde que nous voulons bâtir

  • Nous sommes à un point de bascule, et nous devons individuellement et collectivement nous transformer et agir car cette crise ne sera pas la dernière

Les idées pour agir collectivement :

  • Acheter des actions des grandes sociétés pétrolières

  • Porter nos idées aux députés et acteurs politiques (en écrivant massivement, par des consultations,…)

  • Mettre en place des actions pour changer la perception que nous avons des immigrés

 

En savoir plus sur les ENGAGE Calls.

Que garder de vraiment important de ce mois de mai ? Entre pluie et soleil

Pluie : la sortie du rapport de L’IPBS alarmant à plus d’un titre. La nature se dégrade de plus en plus vite et les objectifs pour la conservation durable de la nature ne peuvent être atteints par les trajectoires actuelles. Seul des « changements transformateurs » profonds dans les domaines économiques, sociaux, politiques et technologiques permettront de revenir dans la trajectoire 2030 et après.

Pluie et soleil : Les élections européennes entre timide embellie (remontée du taux de participation, poussée des Verts) et coup de déprime (l’avancée significative des extrêmes) nous indiquent que l’Europe est loin d’être morte et qu’elle reste un espace démocratique ouvert et vivant à protéger des poisons du nationalisme. Espace où une réelle alternative écologique est en passe de peser sur les choix économiques au niveau national comme européen. L’Europe recycle 31 % de ses plastiques. Pas grand-chose me direz-vous mais pas ridicule lorsque l’on sait que les US ne recyclent que 10% des leurs.

Soleil : La mobilisation des étudiants et des lycéens pour le climat a renvoyé notre génération dans les cordes question prise de conscience, maturité, engagement citoyen et passage à l’action. Gardons donc l’espoir que la génération qui se lève saura mieux que nous sauver ce qu’il reste de la maison commune.

Michel Serres, si ma mémoire est bonne, avait coutume de dire que dans la vie, il y a des renards et des sangliers. Le renard vagabonde, explore, découvre de nouveaux territoires, connait sa nature et fait confiance à son intuition – au risque de se disperser. Le sanglier, quant à lui, creuse profondément son sillon, avec persévérance, ténacité et efficacité – au risque de se scléroser. Le monde a besoin de renards et de sangliers.

Le renard et le sanglier ont un point commun. Ils comprennent le territoire dans lequel ils vivent et agissent dessus différemment, avec leurs propres moyens.

Nous partageons cette ambition chez ENGAGE. Celle de comprendre pour agir ou, plus exactement dit, celle de transmettre cette double joie si chère à Michel Serres, de comprendre et d’agir.

Ensemble.

Philippe Bertrand

 

Le photo-reporter Reza parcours le monde depuis 40 ans pour mettre en lumière les causes qui lui sont chères et défendre les personnes les plus vulnérables. A l’ombre de ses portraits qui ont fait la Une du National Geographic, il travaille pour l’éducation et l’émancipation des jeunes et des femmes dans les zones de conflits comme dans nos quartiers les plus difficiles. Rencontre avec un artiste humaniste passionné qui garde foi en l’homme.

 

On connaît le poncif, l’art sauvera le monde, dans votre cas Reza, il s’agit plutôt de l’image?

L’image, c’est la face émergée de l’iceberg de l’art : elle est accessible à tous, comprise par tous et compréhensible, c’est un langage universel traversant les frontières et la barrière des langues, des outils de création – mobile – à la portée de tous, allant jusqu’à dominer nos vies quotidiennes, nos échanges, les informations, l’apprentissage. L’éducation, l’économie, tous ces domaines d’aujourd’hui ont besoin d’images. Ainsi l’image est devenue l’art majeur de notre société. Notre société est en mutation : nous sommes passés des hiéroglyphes aux émojis. Nous sommes une société de l’image. 

Engage Days – thecamp, octobre 2018

 

Vous avez commencé à photographier à 13 ans et votre appareil photo ne vous quitte jamais, en quoi constitue-t-il une arme de construction massive?

Pour construire ou reconstruire ensemble nos sociétés, il faut se connaître, avoir un but précis et commun – il faut adhérer à l’idée de construction, et à sa nécessité.

L’image est le moyen de rapprocher les individus, les cultures, les communautés et les peuples, de les faire se connaître les uns les autres. Elle offre la possibilité de s’arrêter devant l’image de l’autre, de prendre le temps nécessaire de la contempler, de s’émouvoir et ensuite d’entrer en action. 

L’image est le meilleur moyen de créer de l’empathie.

On défend quelque chose, ou quelqu’un que l’on aime, que l’on connaît : on se positionne pour une personne envers qui on ressent de l’empathie.

L’image est donc le moyen le plus simple et le plus vaste de créer du lien, de connecter les êtres et les cultures. À l’inverse, elle a aussi ce pouvoir de dénoncer l’envers du décor et de faire réagir les gens. 

Votre engagement incessant passe beaucoup par des programmes de formation. Quels sont-ils?

L’éducation est la clé de l’avenir. Nous ne serions pas là où nous sommes sans l’éducation et il n’y aurait pas de lendemains pour l’humanité sans elle. Il me semble que nous assistons à peine à l’émergence de ce nouveau langage universel qu’est l’image et il faut en répandre l’alphabet.

L’image donne une voix à ceux qui n’en ont pas. 

Elle aide des victimes passives à devenir actrices de leur destin. 

Ainsi, en parallèle de mon travail photographique dans le monde, j’ai initié des formations aux métiers de l’image pour les populations les plus vulnérables, dans les zones de guerres, de conflits, les camps de refugiés, mais aussi les banlieues des grandes villes européennes et du monde.

Je suis convaincu que les femmes pourront avoir un rôle plus important dans le monde de demain. Leur présence massive dans les medias, les secteurs culturels et l’éducation pourra changer le cours de la marche du monde vers un monde plus pacifiste. 

Les médias sont et pourront également devenir les meilleurs outils de développement.

Depuis le lancement de ces formations, nous avons aidé des milliers de femmes et d’hommes dans les zones les plus difficiles du globe, elles/ils sont  désormais les porte-voix de leurs communautés et avant tout d’elles/eux-mêmes. 

Art, action, entrepreneuriat, la multidisciplinarité est-elle, comme dans l’ENGAGE University, au coeur de votre identité?

J’ai trouvé dans les objectifs d’Engage University beaucoup de points communs et de valeurs communes avec mes actions. Les femmes et hommes qui s’engagent dans ce projet partagent le même amour pour  l’humanité.  

 

Engage Days – thecamp, octobre 2018

 

L’entrepreneuriat social, d’autre part, est la meilleure forme d’entrepreneuriat pour l’avenir de l’humanité – sinon il n’y aura pas d’avenir.

J’ai enfin trouvé beaucoup de possibilités de projets communs avec Engage University et ceux qui l’entourent.

Une chose me surprend enfin. Vous avez été, souvent, au plus près de la noirceur, et vous semblez conserver malgré tout un regard optimiste sur le Monde. Comment faites-vous?

Ma croyance, ma foi, se résument par ces deux axes :

1- La vie est belle.

2-  L’être humain est bon. Nous avons fait des progrès immenses et inestimables en peu de temps après notre sortie de la forêt ! En à peine 5 000 ans après l’invention de l’écriture et les premiers textes, voici où nous en sommes : nous avançons vers un meilleur avenir, certes, mais avec des petits pas.

La simple comparaison de l’Europe d’aujourd’hui à celle d’hier nous montre l’étendue de cette avancée.

Les racines du mal me semblent être dans l’attitude de certains, et que l’on ne retrouve chez aucun animal : la possession à outrance. Aucun animal n’amasse plus de denrées que ce dont il a réellement besoin. L’homme est le seul à ne jamais s’arrêter, il tente de posséder de plus en plus même si cela dépasse largement ses besoins.

Durant quatre décennies, j’ai été le témoin de toutes les guerres et de nombreux moments de souffrance de notre Humanité.

La grandeur de l’âme humaine côtoie sa capacité à la violence et à la mesquinerie – mais l’Histoire nous montre que les Ghandi, les Luther King, les Mandela et des milliers d’autres femmes et hommes peuvent montrer le chemin vers une paix durable, et plus d’échanges.

Dans cette optique, chacun et chacune d’entre nous en est responsable.

 

POUR APPROFONDIR

10 minutes | Découvrir le webdocumentaire Les reporters du camp sur arte.tv

Trois heures | Visitez l’exposition d’art contemporain Persona Non Grata au Musée National de l’Immigration

Sans compter les heures | Se plonger dans les témoignages de Reza, en particulier les regards qu’il a capturé au Kurdistan.

 

POUR AGIR

En quelques cliques | Soutenir Les Ateliers Reza sur le site de dons HelloAsso.

2 à 5 heures par semaine | Suivre le MOOC Tickets For Change pour développer un projet d’entrepreneuriat social

2 heures par mois | Coacher des femmes vulnérables qui ont choisi l’entrepreneuriat pour se reconstruire avec Led By Her

Rencontre éclairante avec Emmanuel Davidenkoff, journaliste spécialiste de l’éducation, rédacteur en chef au Monde et auteur du Tsunami numérique (Stock, 2014).

On parle beaucoup de réforme de l’éducation, mais pourquoi au juste ?

Excellente question ! Car les grandes réformes structurantes sont rares. En près de trente ans de journalisme spécialisé, j’en ai vu peu, et celles que j’ai vues ne passionnent pas toujours les foules (création du bac pro, création des IUFM puis des ÉSPÉ pour la formation des enseignants etc.).

Il me semble que le sujet fait recette pour trois raisons essentielles :

  • le sentiment répandu que l’école, dans un pays riche et développé comme le notre, pourrait faire mieux notamment en matière de réduction des inégalités
  • le fait que l’école est à la fois miroir et matrice de notre système politique depuis la Révolution (Condorcet) et la IIIe république (lois Ferry, séparation de l’église et de l’Etat) 
  • l’apparente simplicité d’une matière dont beaucoup de personnes se pensent spécialistes pour avoir fréquenté les bancs de l’école ou pour y avoir des enfants

Quels sont les sujets occultés dans les médias ?

On parle moins, malheureusement, des questions que soulève François Taddéi dans son livre (Apprendre au XXIe siècle) et qui touchent à l’impact des bouleversements considérables et très rapides auxquels la planète – et ceux qui l’habitent – sont confrontés. Cette approche holistique, que François rattache notamment aux Objectifs du développement durable de l’ONU, me semble plus pertinente aujourd’hui.

Polémiquer pendant des semaines, comme l’a fait une partie des acteurs de l’éducation, sur l’usage du mot “prédicat” dans les programmes a quelque chose d’irréel quand on songe à l’ampleur des défis à relever, et à leur urgence.

Quels sont pour vous les principaux changements à opérer ?

Mon métier ne consiste pas à préconiser des changements. Je peux en revanche observer que certains sujets font la Une depuis que je travaille (1990…) ce qui peut laisser supposer que les chantiers restent ouverts. Parmi lesquels le contenu des enseignements (quels savoirs et savoir-faire dans un monde en rapide mutation), la formation initiale et surtout continue des enseignants ; la contribution de l’école à la réduction des inégalités (tout ce qui relève de la politique dite d’éducation prioritaire).

Quel rôle la Tech doit-elle jouer dans cette transformation?

La tech, comme ensemble d’outils, peut permettre d’améliorer ou d’accélérer l’impact de tous les dispositifs pédagogiques, de l’apprentissage par cœur à l’apprentissage par le faire (“learning by doing”) notamment grâce aux FabLab, en passant par l’apprentissage par les pairs (“peer learning”) qui devient potentiellement mondial, ou l’apprentissage par le jeu (“serious game”) bien plus engageant aujourd’hui qu’il ne l’était. La tech est aussi un formidable catalyseur de l’intelligence collective.

Comment former les jeunes aux défis qui les attendent ?

Ces derniers sont technologiques (mutation numérique) mais aussi physiques (le défi environnemental) et philosophiques (toutes les questions éthiques que pose notamment le développement des NBIC et sur lesquelles insiste fortement François).

Pour relever ces défis, il faudra avoir appris des choses, engrangé des connaissances, et avoir appris à apprendre. Ce n’est pas neuf : Montaigne disait déjà préférer les têtes bien faites aux têtes bien pleines ! Aujourd’hui, comme le suggère François Taddei, une tête bien faite ne s’attache pas seulement à répondre à des questions mais à en formuler de nouvelles.

Vous êtes aussi un violoniste de talent, parlez-nous de multi-disciplinarité.

Je vous laisse la responsabilité du “de talent”. Car ce que m’a d’abord appris le violon, ce sont les vertus du travail !

J’ai aussi tiré de mes années d’apprentissage la conviction qu’il n’existe pas un modèle pédagogique qui l’emporte sur les autres mais que le secret d’une éducation complète passe par la variété des mises en situation.

En musique, vous devez répéter, seul, apprendre par coeur, automatiser des gestes ; puis vous allez avancer en cours individuel, comme avec un précepteur, mais aussi en groupe – petit en musique de chambre, important en orchestre – ce qui va vous apprendre l’écoute des autres, la coopération (cf. cette phrase d’un de mes chefs : “Dans un orchestre, nul n’a raison seul contre les autres”). On apprend donc en en faisant. Les matières théoriques, elles, s’enseignent dans des formats comparables à ceux de classes traditionnelles.

Ensuite, il ne viendrait à personne l’idée de séparer plaisir et travail : on fait ses gammes dans l’espoir de jouer Beethoven, pas pour faire ses gammes ; mais on ne peut espérer jouer Beethoven correctement si on n’a pas fait ses gammes…

Enfin, la musique fait entrer deux composantes généralement peu présentes dans le débat sur l’éducation : les sens et le corps. Nous ne sommes pas des êtres uniquement abstraits et cérébraux. Ma conviction est que nous apprenons d’autant mieux que nous sommes sollicités à travers toutes ces dimensions, et dans des formes pédagogiques variées.

 

POUR APPROFONDIR

4 minutes | Relire le discours d’Edgar Morin devant l’UNESCO avec Philippe Bertrand.

Un quart d’heure| Ecouter la prospectiviste Virginie Raisson, une invitation à se saisir des défis du XXIe siècle.

En 2 jours | Suivre la session « Décrypter les enjeux et les logiques émergentes » de l’ENGAGE University.

 

POUR AGIR

2h | Organiser une projection-débat du documentaire “Une idée folle

3h par mois | Devenir mentor du programme ENGAGE With Refugees

Un week-end | Se transformer au Schumacher College.