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Philippe Grandcolas est Directeur de recherche CNRS. Ecologue et biologiste de l’évolution, il cherche en permanence à répondre à l’incroyable appétit de connaissance qu’il perçoit dans la société civile.

Vous êtes un auteur du vivant à succès : Le Sourire du Pangolin, Tout Savoir (ou Presque) sur la Biodiversité… Vous sortez prochainement Biodiversité, Fake or Not. Comment l’idée de ce livre vous est-elle venue ?

C’est une continuité avec les essais que j’ai écrits. Dans un essai on va au fond des choses et c’est un travail qui ouvre des dialogues passionnants… mais avec une minorité de personnes. Je cherche d’autres formats pour toucher de nouveaux publics.
Avec l’ouvrage semi-graphique précédent, je me suis rendu compte qu’on pouvait rendre le sujet de la biodiversité clair et accessible à tous.

A qui s’adresse-t-il ? 

En fait, le public est très varié : des cadres supérieurs, décideurs, citoyens lambda… C’est plus le mode de lecture qui les relie. Et cet usage, on l’a tous, à un moment ou à un autre.
Avec cette collection (Fake Or Not) on n’est pas sur le même sujet de la première  à la dernière page : on peut picorer, zapper, s’inspirer. Si on compare avec la nourriture : on peut faire un repas complet entrée/ plat / dessert (ça c’est l’essai) ou bien choisir un petit snack quand ça nous tente !

Pourquoi ce livre ?  

Je veux casser les Fake News !!! 

On est aujourd’hui abreuvés par une quantité énorme d’informations. Et beaucoup de fausses infos circulent, à toutes vitesses et reviennent en boucle, particulièrement sur Web et les réseaux Sociaux. C’est important de se positionner face à des faits qui ne sont pas validés !

D’où viennent-ils ces Fakes que vous démontez ? 

De mes conférences, de mes cours, de formations divers et variés. Je ne suis pas toujours face à un public conquis ou intéressé ! Souvent je fais face à des réactions négatives, d’incrédulité ou d’incompréhension.
Et bien sûr, l’autre source, ce sont les réseaux sociaux, où beaucoup de Fakes circulent.

Les Fakes se ramassent, comme les feuilles mortes, à la pelle : alors comment les avez-vous choisis ?

C’est important d’adresser ceux qui sont les plus révélateurs d’une incompréhension ou d’une dissonance. Pourquoi ? Parce que quand on est profondément agacé, qu’on réagit en disant un peu n’importe quoi ou qu’on est en colère… 

Alors Philippe, qui veut la peau de la vérité ? 

On le sait, il y a actuellement un déni de science, lourdement financé (concernant le climat, comme la biodiversité) par des lobbies industriels. Beaucoup plus d’argent y est investi que la transition écologique d’ailleurs !

Mais il y a aussi beaucoup de personnes qui y participent sans intentions malhonnêtes ou conscientes. Cela signale les problèmes de compréhension dont je parlais précédemment, et aussi un problème de partage. Faire la morale ou demander de renoncer, ça ne donne pas envie de comprendre ! Souvent les réactions ne viennent pas de la vérité scientifique elle-même mais de la manière dont on l’a énoncée.

Enfin, on vit souvent sur des aprioris, des idées reçues. On n’a pas forcément de licence en écologie ou en biologie, c’est normal, mais des notions élémentaires sur le vivant ne sont pas enseignées, ni au niveau scolaire, ni dans les formations continues. Au final, on ne sait pas comment notre environnement fonctionne et on n’a pas conscience des ordres de grandeur. 

C’est quoi le plus gros Fake sur la biodiversité ?

Je vais en citer deux qui sont complémentaires :

  • Le Rebond de Population 

Une espèce charismatique va mieux momentanément (pour de bonnes ou de mauvaises raisons) et cela prouverait que la biodiversité ne va pas si mal que ça. Exemple : le Castor.

C’est comme l’effet été breton pour le climat : la météo a été mauvaise cette année, alors finalement le réchauffement global n’est pas si important que ça !

  • Le Technosolutionisme

Pour le climat on a la géo-ingénierie et pour la biodiversité on la bio-ingénierie. Exemple :  l’énorme fake sur la culture des betteraves à sucre et les néonicotinoïdes (pesticides qui ont été interdits pour leur toxicité sur les pollinisateurs).
Le fake : on pourrait enrober les graines de betterave de néonicotinoïdes sans risque pour les pollinisateurs… parc que l’on récolte avant floraison. Sauf que, en réalité, la graine enrobée est lessivée et les pesticides se répandent dans le sol… et contaminent les plantes sauvages… qui vont empoisonner les pollinisateurs quand elles fleurissent !

C’est quoi le meilleur ami du Fake ?

  • Le Sanglier : C’est l’animal sauvage qui prouverait que la faune sauvage va bien… sauf qu’il n’est pas sauvage !

Les chasseurs l’ont hybridé avec des cochons pour augmenter sa fécondité. Et ils le nourrissent. En plus, on le chasse de manière idiote : en tuant les vieux mâles (de très beaux trophées) on donne accès à la reproduction à de jeunes qui se multiplient. Résultat : on tue plusieurs centaines de milliers de sangliers chaque année (100 fois plus qu’il y a quelques décennies).

C’est qui la plus grande victime du Fake ?

  • Le renard : son image de voleur (de poules ou de fromage) lui colle à la peau… et on massacre un de nos meilleurs alliés.

Ce soi-disant réservoir de maladie est, en fait, un auxiliaire précieux puisqu’il régule les populations de rongeurs. Le renard n’est pas un problème : le problème c’est qu’on tue des centaines de milliers de renards chaque année.

C’est quoi la meilleure arme anti-fake ?

  • La surprise. 

Rationaliser de manière savante pour les personnes réceptives et éduquées c’est positif, mais ça a ses limites. On a tous besoin de surprise : pour sortir de notre trajectoire, renouveler notre intérêt, apprendre avec plaisir. Et si en plus on peut le faire avec de l’humour, c’est le jackpot pour s’approprier des choses nouvelles de manière rapide.

Dernière question : tournons-nous vers l’avenir : quels sont vos futurs désirables ?

Un futur heureux et agréable d’abord. La biodiversité on en a besoin et en plus elle nous rend heureux, c’est ça qui est formidable ! Manger des fruits et légumes de saison, contempler un paysage… ce sont des grands plaisirs de la vie.

La biodiversité (ne le dîtes pas à mes collègues du climat), c’est le contraire du renoncement, de la sobriété : on est dans l’abondance, luxuriance. Quand on vit avec le vivant, il se disperse, se reproduit, croît pour notre plus grand bonheur.

Pour commander le livre, c’est ICI.

Marie-Sarah Adenis, sera intervenante du festival Life! et y présentera son exposition Gloire aux microbes.
Artiste-designer, diplômée en création industrielle (ENSCI) et en biologie (ENS Ulm), elle est co-fondatrice et directrice artistique de l’entreprise PILI et enseigne dans des écoles d’art et de design.

Quelle est votre relation à la biodiversité et au vivant ?

Ma première relation est une appartenance évidente puisque je suis moi-même partie prenante de cette biodiversité. Mes études de biologie m’ont permis d’établir une connexion plus fine en prenant conscience de la richesse infinie de son histoire évolutive, des mécanismes qui sont à l’oeuvre en nous et partout autour de nous. C’est un premier prisme théorique mais vertigineux et passionnant.
J’ai aussi construis au fil du temps une relation plus directe et plus surréaliste avec les autres vivants, notamment avec les êtres microscopiques qui invitent à un rapport presque magique quand on comprend que le monde est fait de ce tissu invisible vivant qui rend la vie possible par le biais de ces micro-organsimes. J’ai toujours un petit microscope de poche sur moi qui me permet de voir ce qui m’entoure et qui m’échappe. Cela crée une attention au monde radicalement différente. De la même manière que je “vois” l’invisible, je “sens” les vivants à travers l’emprunte qu’ils laissent derrière eux. Je respire leur activité métabolique à chaque bouffée d’oxygène, je partage mes repas avec eux au moment de la digestion, et j’établis cette connexion intime de plein de manières qui rendent ma perception plus fine et plus riche. C’est comme ça que j’habite le monde et que je lui donne du sens.

Pouvez-vous partager une anecdote qui illustre ce rapport ‘intime’ ?

J’en ai beaucoup mais la plus récente est la rencontre que j’ai faite et documentée avec une mue de crabe sur l’île de Lanzarote. Je l’ai emmenée partout avec moi, dans les randonnées, sur les volcans où je retournais avec elle aux premiers matins du monde, mais aussi dans les bars et les restaurants où je la posais sur la table face à moi, ce qui ne manquait pas de créer du trouble, des rires, des regards intrigués, et je pense que ce trouble est une bonne chose. C’est le point de départ de tout renversement de notre rapport au monde. Il faut inventer d’autres manières de vivre cette immense fresque burlesque, fragile et foisonnante qu’est la vie.

Pour vous, qu’est-ce que la biodiversité représente ?

La biodiversité est un vertige. Elle représente le miracle de la vie qui se perpétue depuis 3,8 milliards d’années. C’est aussi ma famille. Chaque être est un cousin ou une cousine, plus ou moins éloignés. Ce sont autant de formes spectaculaires et divergentes que la vie a prises pour s’incarner et peupler le monde. Elles viennent toute à l’origine d’ancêtres unicellulaires qui ont été les premiers à expérimenter la vie et qui ont établi la grammaire et les règles auxquelles nous nous soumettons encore aujourd’hui, avec quelques fautes de frappes qui sont parfois retenues et qui enrichissent d’autant le vocabulaire de la vie qui se prononce avec des ailes, des griffes, des neurones, des branchies, des capteurs sensoriels extrêmements variés qui donnent à chaque être une expérience du monde singulière et une umwelt particulière.
Et puisqu’il est question de biodiversité ici, il faut qu’on prenne conscience que les microbes forment la clé de voûte des écosystèmes. Aucune vie ne serait possible sans eux non seulement parce que ce sont eux qui nous ont donné la vie à l’origine, mais aussi parce qu’ils sont aujourd’hui les gardiens du temple, ceux qui perpétue et régule la vie, ceux qui peuvent la faire basculer dans un sens ou dans un autre.

Vous présenterez notamment l’exposition ‘Gloire aux Microbes’ lors du festival. Quelle est l’ambition de cette exposition ?

Gloire aux microbes est un cri d’amour qui visait à contrecarrer l’animosité et la terreur que les microbes ont toujours inspirés aux humains, plus encore avec la dernière pandémie. Le projet renouvelle les mots et l’imagerie pour conter l’histoire vraie et fascinante des microbes. Le point de départ est un texte manifeste que j’ai écrit comme un “Appel microscopique du 18 juin” (2020). J’ai ensuite réuni douze artistes qui se sont emparés des faits scientifiques qui sont détaillés dans le texte, et qui les ont sublimé dans des dessins qui proposent de nouveaux imaginaires, radicalement différents de ceux qui se sont cristallisés en nous.
Enfin, les oeuvres ont été sérigraphiées avec une encre produite par les bactéries elles-mêmes, ce qui donne une raison de plus de s’émerveiller de leurs pouvoirs innombrables. C’est un projet exigeant qui ne se contente pas de faire de la vulgarisation mais qui cherche à travers le texte et l’image à proposer un contrepoint puissant à nos imaginaires collectifs. C’est surtout une occasion de s’émerveiller avec la possibilité de parler de vivant et de biodiversité dans une perspective enthousiasmante, qui redonne le sourire alors que tout ce qu’on peut constater par ailleurs est clairement décourageant. Enfin un sujet qui donne de l’espoir !

Enfin, quels sont vos futurs désirables en matière de biodiversité ?

J’aimerais qu’on dépasse nos peurs et qu’on se mette à voir dans l’invisible, à travers l’espace et à travers le temps, pour reconnaître nos liens et nos interdépendances avec les autres habitants de la planète, qu’on puisse enfin voir en eux la puissance de nos alliances passées, présentes et à venir. La preuve avec le projet Pili que j’ai co-fondé (qui porte d’ailleurs le projet Gloire aux microbes) et qui fait alliance avec les bactéries pour produire des colorants et pigments écologiques. Une solution née de la collaboration entre les humains et les bactéries (même s’il faut bien dire que les humains portent déjà en eux bien plus de bactéries que de cellules humaines !).

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Captures accidentelles de dauphins, un signal pour une pêche durable
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Le 20 février 2024 a sonné la réouverture de la pêche dans le Golfe de Gascogne. Dans cette zone allant du Finistère au Pays Basque, toutes les embarcations de plus de 8 mètres et certaines techniques de pêche ont été suspendues, pendant 1 mois, dans l’objectif de préserver les populations de dauphins des captures accidentelles et de leur permettre de se reproduire. Cette interdiction a, à la fois, agité le secteur économique et a reçu de vives critiques, mais questionne également sur l’état de nos océans et sur la durabilité de la filière face à l’effondrement de la biodiversité.  

Au fur et à mesure, l’océan se vide

La pêche est la première source de destruction des écosystèmes marins.

Entre 1950 et 1990 les stocks ont massivement diminué et la pression de pêche a augmenté si bien qu’à la fin des années 1990, 90% des populations de poissons évaluées dans l’Atlantique Nord-Est étaient surexploitées.

Face à cet effondrement de la biodiversité marine, la réaction de la filière a été de pêcher plus loin, plus profond et avec des méthodes de plus en plus performantes, mais qui, en parallèle, épuisent les écosystèmes.

Navires de pêche hauturière avec leurs filets à quai

Cependant, cette filière est dans une impasse. Les quantités de poissons pêchés diminuent du fait de la surexploitation des espèces et de la capture des juvéniles. L’océan a atteint les limites de ce qu’il peut nous offrir.

C’est dans ce contexte global, et après des tentatives infructueuses de caméras embarquées sur les navires et de moyens de dissuasion pour éviter la capture des dauphins, que l’interdiction a été décidée.

La flotte de pêche française est diverse, alliant pêche côtière, pêche hauturière et pêche industrielle. Cependant, une technique de pêche fait l’objet de tous les regards : le chalutage. Le chalutage pélagique, non-sélectif, est décrié pour les captures accidentelles de dauphins et le chalutage de fond pour la destruction des habitats marins qu’il engendre.

En effet, 84% des débarquements issus de ressources surexploitées proviennent des grands chaluts et sennes, plus de 1 juvéniles sur 2 péché est capturé par un grand chalut ou une grande senne et 90% de l’abrasion des fonds est causé par les grands chaluts et sennes de fond.

Quels bienfaits, de cette interdiction, pour la biodiversité ?

Même si l’interdiction ne dure qu’un mois, c’est un premier pas qui a été fait en direction de la biodiversité marine. Cette interdiction, qui se renouvellera à la même période en 2025 et 2026, permet de mettre en lumière une menace concrète sur les cétacés du golfe tels que le dauphin commun ou le marsouin, menacés de disparaître, mais plus largement sur l’état des océans.

Il faut rappeler que cette mesure fait suite à une hausse des captures et échouages de dauphins sur les côtes françaises. Selon l’observatoire français Pelagis, 90% des dauphins retrouvés morts sur les côtes françaises ont été victimes des filets de pêche pendant l’hiver 2022-2023.

Filets de pêche qui conduisent à la capture accidentelle des dauphins

Par conséquent, cette mesure mise en place en 2024 doit, à court terme, permettre aux dauphins de se reproduire, aux juvéniles de grandir et octroie à tout l’écosystème un moment de répit.

Sur le temps long, nous sommes tous dépendants des océans et de la biodiversité qu’ils préservent. Il existe des  contributions matérielles (matières premières, ressources médicinales, d’élevage…), des contributions non–matérielles (sources d’inspiration et d’apprentissage dans l’art, la littérature, la musique, la cuisine, le tourisme…), et des contributions régulatrices (oxygénation de l’atmosphère, régulation du climat et du cycle de l’eau…) de l’océan et de ses ressources.

La pêche durable et l’adaptation de la filière

Au vu des enjeux actuels, il est nécessaire de transformer la filière pour tendre vers une pêche durable. L’un des premiers axes de transformation est le “déchalutage” du secteur économique. Cette méthode, employée largement par la pêche industrielle, ne permet pas, à long terme, de penser une gestion durable des ressources.

En parallèle, un investissement dans le secteur de la pêche côtière doit d’être encouragé. Comme le montre l’étude menée par l’association BLOOM, la pêche côtière combine les points positifs : faible impact sur les fonds marins et les émissions de gaz à effet de serre, absence de dépendance aux subventions publiques, création d’emplois et de valeur.

La transition du secteur doit permettre de conserver son segment le plus vertueux et durable : la petite pêche côtière, soit plus de 70% des navires, dont le déclin est aujourd’hui tel qu’on peut parler d’une menace de disparition !

Navire de la flotte côtière.

Même si la pêche côtière est la solution actuelle la plus viable, durable et vertueuse, celle-ci doit également évoluer et progresser sur le sujet des captures accidentelles de dauphins ou d’oiseaux.

Transiter vers une pêche durable, c’est ce que l’on peut appeler la « pêchécologie ». Cette pêche minimise les impacts sur le climat et le vivant tout en contribuant à la souveraineté alimentaire européenne, en maximisant les emplois et en offrant des perspectives socio-économiques et humaines dignes.

La restriction de pêche dans le Golfe de Gascogne est gagnante-gagnante, pour les pêcheurs, les dauphins, le climat, et illustre le principe de co-bénéfices. Préserver les dauphins aujourd’hui doit permettre aux pêcheurs de pratiquer leur activité demain et contribue à la régulation du climat.

 

Pour en savoir plus :

Pour aller plus loin :

– Suivre notre atelier Mission Biodiversité : https://lnkd.in/eJb2zJ35
– Suivre notre Mooc Biodiversité : https://lnkd.in/eTXq7iUE
– Participer à notre formation Action Biodiversité : https://lnkd.in/e93iX_WZ

Exploiter les fonds marins : une menace durable pour la biodiversité
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Les mobilisations récentes qui ont eu lieu en Norvège et sur la scène internationale ont permis de faire émerger, à nouveau, les dangers liés à l’exploitation des fonds marins. Mardi 9 janvier 2024, les députés norvégiens ont donné leur feu vert à la prospection minière en grande profondeur – entre 200 mètres et 11 kilomètres – d’une zone située au cœur du plateau continental norvégien entre la mer de Barents à l’archipel du Svalbard. L’exploitation à des fins commerciales de ces ressources a cependant été repoussée dans l’immédiat. Cette décision pose question sur les conséquences de ces nouvelles perturbations sur les écosystèmes à court et long terme, à l’échelle locale et globale.

Mais pourquoi vouloir exploiter ces fonds marins ?

Cuivre, cobalt, manganèse, nickel, zinc, thallium, fer, argent, or … autant de ressources rares sur lesquelles lorgnent les industriels. Les gisements de minéraux se situent sur les monts sous-marins, les cheminées hydrothermales et les plaines abyssales. Celles-ci sont de vastes étendues situées en profondeur, recouverts de sédiments et de dépôts minéraux, également appelés nodules polymétalliques, principales cibles de la potentielle exploitation à venir.

Comment récupérer ces ressources ?

Selon The Ocean Foundation la méthode serait d’envoyer des machines excavatrices, tels des tracteurs des mers qui aspirent les quatre premiers centimètres du fond marin, envoyant les sédiments, les roches, les animaux écrasés et les nodules jusqu’à un navire à la surface.

Machines excavatrices d’exploitation potentielle de nodules de manganèse. – Wikimedia Commons/CC BY 4.0 Deed/ROV-Team/Geomar

À l’heure de la transition énergétique, la construction des voitures électriques, panneaux solaires, éoliennes requièrent une grande quantité de minerais et de métaux rares. Cette hausse de la demande, « multiplié[e] par 3,5 d’ici à 2030 » selon l’Agence internationale de l’énergie, conduit à une recherche toujours plus forte de nouveaux sites d’exploitation. Pour atteindre les objectifs de neutralité carbone et sachant que les réserves planétaires en minerais commencent déjà à montrer leurs limites, les fonds marins semblent être une aubaine pour les industriels. Cependant, cela pose question quant aux écosystèmes florissants et interconnectés dans cet océan profond qui abritent une diversité stupéfiante de biodiversité.

Les leçons du passé :

Deux études ont été menées permettant de mettre en évidence les impacts de cette potentielle nouvelle méthode industrielle sur la biodiversité.
→ En 1989, dans les eaux territoriales du Pérou, une simulation d’exploitation minière des fonds marins a été réalisée. En 2019, une équipe de chercheurs a conclu dans une étude publiée dans Scientific Reports, que l’écosystème du bassin sédimentaire était encore en mauvaise santé et moins diversifié.
En juillet 2020, le Japon a mené une excavation « test » d’une durée de 1 h 49, sur une surface mesurant de 130 mètres de long, qui a eu des effets pendant plusieurs mois sur cet écosystème.

Plus d’un an après l’excavation, la densité des animaux marins mobiles – poissons, crevettes, crabes, cténaires, etc. – était inférieure de 43 % à la normale dans les zones directement affectées par le déplacement de sédiments généré par les machines. Sur les zones adjacentes la densité des animaux marins mobiles a chuté de 53 %.

Des nodules polymétalliques sur une plaine abyssale. – Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Abramax

Quelles conséquences sur la biodiversité :

Envisagée à l’échelle industrielle en Norvège, l’exploitation des fonds marins, pourrait avoir de pérennes conséquences à la fois sur les organismes benthiques tels que les crabes yétis, vers tubicoles géants, coraux noirs, mais également sur les organismes pélagiques tels que le zooplancton, baleines, calmar géant, poisson-lanterne.

En effet, les scientifiques alertent sur :
→ Le stress physiologique et un épuisement métabolique infligés par les nuisances sonores, lumineuses et chimiques aux espèces entraînant des détresses respiratoires et auditives, un endommagement des branchies, une modification des comportements, des difficultés de flottabilité et de communication par bioluminescence.

L’altération ou la destruction des habitats naturels induit une perte irréversible de la biodiversité marine. Les migrations forcées des populations, la fragmentation des habitats peuvent être fatales au bon fonctionnement des écosystèmes. Les scientifiques alertent également sur une potentielle hausse du taux de mortalité, une réduction de la reproduction et une modification de la chaîne alimentaire.

→ L’excavation des fonds marins induit des pollutions des eaux par des panaches de sédiments et de particules mis en suspension dans les colonnes d’eau ou des rejets toxiques provenant des navires, modifiant la composition chimique de l’eau et ayant un impact sur les communautés microbiennes et animales.

 

D’autres répercussions ?

L’exploitation des fonds marins aurait également des conséquences sur le climat planétaire en menaçant le bon fonctionnement des puits de carbone de l’océan. En effet, la redistribution des sédiments dans la colonne d’eau entraverait le rôle des sédiments dans le stockage du carbone.

Enfin, de nombreuses conséquences économiques, sociales et diplomatiques sont à prévoir. Des contaminations de l’alimentation issues de la mer et des pêcheries internationales, une déstabilisation de la chaîne alimentaire, l’impossibilité de faire de nouvelles découvertes scientifiques fondées sur le biomimétisme, l’ouverture à l’exploitation industrielle en Norvège qui sert d’exemple à l’échelle mondiale, sont autant de conséquences à prendre en compte.

 

La recherche toujours plus intense de ces minerais, pour permettre une “transition verte”, ne doit pas être synonyme de destruction de la biodiversité marine. Les fonds marins sont un patrimoine mondial à préserver car :

“Si on commence à altérer une zone, on a la quasi-certitude que l’ensemble de l’océan va finalement être altéré. Le problème, c’est qu’on ne sait pas en combien de temps et dans quelles conséquences”, estime Pierre-Antoine Dessandier, biologiste marin à l’Ifremer.

C’est pour protéger ces écosystèmes rares et inexplorés que de nombreuses mobilisations citoyennes et gouvernementales demandent un moratoire sur l’exploitation des fonds marins pour tenter d’éviter une catastrophe environnementale, économique et sociale annoncée par les scientifiques.

Une note d’espoir : des entreprises se sont déjà engagées à ne pas utiliser de minerais provenant des grands fonds marins, si leur exploitation n’est pas réglementée. Ainsi pas de demande, pas d’extraction : c’est la loi du marché !

 

Pour en savoir plus :

Pour aller plus loin :

– Suivre notre atelier Mission Biodiversité : https://lnkd.in/eJb2zJ35
– Suivre notre Mooc Biodiversité : https://lnkd.in/eTXq7iUE
– Participer à notre formation Action Biodiversité : https://lnkd.in/e93iX_WZ

Hortense Dewulf vient de rejoindre ENGAGE pour déployer l’atelier MISSION biodiversité.

Qui es-tu, Hortense ?

Vaste question… Il me faudrait la journée pour y répondre ! Plus sérieusement, je viens de rejoindre ENGAGE après une expérience dans le conseil en innovation et un voyage au coeur de l’Amazonie.

Pourquoi alors ENGAGE et cette MISSION Biodiversité ?

Je ne vais pas te surprendre. Je souhaitais faire coïncider à 100% mes convictions personnelles et mes responsabilité professionnelles. M’engager chez ENGAGE… ça allait de soi !

En quoi consiste ton travail ?

ll a de multiples dimensions. Un aspect de conception d’abord, en travaillant à la refonte de l’atelier avec Quentin Thomas, notre responsable biodiversité. Un aspect d’adaptation ensuite, pour accorder le troisième temps de mise en action aux enjeux des entreprises avec qui nous le déployons (en fonction de l’organisation, de son niveau d’engagement ou d’avancée sur ces sujets). Enfin, un aspect de déploiement pour trouver des nouveaux partenaires, des entreprises ou des universités dans lesquels le déployer. D’ailleurs, si vous souhaitez le tester ou le déployer, n’hésitez pas à me contacter, je serai ravie de vous aider 😉

Et toi, dans quel type d’organisations préfères-tu le déployer ?

Difficile de répondre. J’aime beaucoup le déployer dans les universités (nous l’avons fait avec l’Université de Sfax, en Tunisie, récemment) car je crois que les étudiants qui ont bien compris les enjeux, sont à la recherche de moyens pour être acteurs du changement.

Dans les entreprises la dynamique est différente car les collaborateurs ou dirigeants sont à mes yeux moins au courant de la crise de la biodiversité, qui est encore le parent pauvre, par rapport au climat. Nous avons du chemin à faire et c’est évidemment motivant.

Alors, justement, que propose l’atelier pour se mettre en action ?

Il est organisé en trois temps, avec une approche progressive pour permettre à chacun de s’emparer des enjeux. Le premier temps pour comprendre, le second pour s’entraîner et puis le dernier pour se lancer dans sa propre entreprise ou dans n’importe quelle organisation d’ailleurs. Il relie donc la compréhension théorique de ce qu’est la biodiversité et l’appréhension pratique de ses liens avec les activités économiques. Il est aussi très interactif et fait appel à l’intelligence collective. C’est une approche fondamentale dans cet atelier mais aussi plus génériquement car je pense que ce n’est que collectivement que nous trouverons des solutions.

Tu gardes donc espoir ?

Et comment ! Je ne veux pas vous dire que tout est foutu à 26 ans. La situation est grave oui, mais pas désespérée. Nous pouvons travailler à la défense, à la restauration, voire à la régénération de la biodiversité. Nous le devons même ! C’est maintenant qu’il faut s’engager. Regardez l’exemple du couple Salgado dont nous parlons dans cette ActionLetter, ils l’ont fait et le résultat est là. Je crois aussi que nous vivons un Momentum. Les planètes de l’engagement, notamment du monde économique, commencent à s’aligner. Les entreprises n’ont plus le choix car les risques liés à l’inaction commencent à être trop évidents. Et puis la biodiversité, c’est aussi une opportunité d’aller chercher l’engagement par le sensible. Qui, autour de vous, ne voudrait plus d’oiseaux, de poissons, de fruits juteux et de paysages variés ? Je suis certaine que nous pouvons jouer là-dessus. Attention, ce n’est pas de la manipulation hein ;), juste la meilleure stratégie à adopter. Bref, plus de tergiversations… de l’action !

Et tes futurs désirables, Hortense, à quoi ressemblent-ils ?

Je rêve d’un futur où il ira de soi d’investir dans le Vivant à la hauteur des services qu’il nous rend. Comme l’explique Emmanuel Delannoy, il s’agit “juste” d’une démarche de bon gestionnaire de réinvestir dans le capital (naturel) les bénéfices que l’on tire de la productivité du vivant.

Noémie Aubron est fondatrice du studio Prospective Créative et de la newsletter hebdomadaire La Mutante . Elle revient dans cette interview sur la force des mots et des récits pour transformer le réel.

Qui es-tu et qu’est ce que la “Prospective Créative” ?

Je suis Noémie Aubron et ma mission consiste à “ouvrir des futurs possibles”.
J’ai longtemps travaillé sur des projets d’innovation pour de grands groupes sur des problématiques de renouvellement de modèles économiques mais je me sentais toujours frustrée car je ne réussissais pas à faire entrer la dimension du changement dans le paradigme et les modèles d’innovation. 

C’est pour cela que j’ai commencé à creuser la question du “comment” parler de changements en sachant que j’avais déjà tenté de le faire sans succès via des méthodes plus rationnelles et corporate. J’ai commencé à  intégrer la notion de fiction en l’associant à la prospective.

Cela fait maintenant 5 ans que j’écris des récits qui sont l’incarnation de ce qui pourrait se passer. J’appelle cela de “l’analyse prospective”. J’essaie d’abord de détecter le changement, de le comprendre.

 

Comment racontes-tu le changement justement ?

Le plus important c’est de trouver le bon angle, une manière nouvelle de raconter ce changement.

Dans ma Newsletter je vais plutôt raconter le changement que j’observe personnellement, de façons très subjective, je partage mon regard sur le monde. 

Mais je travaille aussi auprès des entreprises pour les aider à comprendre et décrypter les tendances nouvelles. Nous sommes à la recherche des “angles morts” ou de ce que l’on appelle les “éléphants noirs” dans notre jargon : des tendances que l’on ne veut pas voir mais qui sont bien présentes et dont les entreprises ont tout intérêt à se saisir pour les intégrer dans leur modèle. 

 

Y a-t-il une réelle volonté de la part des entreprises de transformer le réel pour des futurs plus désirables?

Je dirais que la fiction prend surtout une dimension “de conte d’avertissement”, de lanceur d’alerte qui fait prendre conscience aux entreprises d’un futur non souhaitable, dystopique, pour elles et pour le monde afin de les inciter à travailler sur des transformations plus désirables. 

Pour cela j’aide les entreprise à définir leur intention, je les aide à se projeter pour définir leur mission, les nouveaux métiers qui en découlent et surtout à définir ce vers quoi elles ont envie de se projeter. C’est ce chemin de transformation que j’essaie d’installer grâce à la fiction qui devient un réel outil de transformation.

 

Dans quelles domaines observes-tu le plus de potentialité ou de nécessité de changement ?

Il y en a beaucoup bien évidemment ! Ce sont surtout nos modes de vie car ils vont nécessairement impacter l’activité des entreprises. 

Il y a par exemple notre rapport au confort. Le confort tel qu’il a été conceptualisé ces 50 dernières années devient inopérant aujourd’hui. Se pose la question de savoir ce qu’est un environnement confortable. Il ne s’agit plus, à mes yeux, de le définir comme un confort matériel. 

L’apparition des low tech est aussi un marqueur important à l’heure de notre interrogation sur l’utilisation de nos ressources naturelles.

Dans un monde en accélération constante, je parlerais aussi de notre rapport au temps, de notre gestion des espaces. Pour parler de façon triviale, le confort s’incarne-t-il dans notre désir de posséder la dernière machine à café la plus perfectionnée ou dans le temps dont nous disposons pour cultiver nous-même, notre jardin ?

Il semble que s’ouvre un nouveau chapitre dans nos manières de consommer, d’envisager notre rapport au monde.

 

Et justement, quels seraient tes futurs désirables ?

Habitant à La Rochelle, j’ai une sensibilité toute particulière sur les sujets lié à la mer, à sa protection et plus généralement à notre rapport au vivant. 

Dans cette même veine, je pense aussi à l’urgence de redéfinir notre rapport à l’alimentation. Cela touche les aliments eux-mêmes, leur qualité mais aussi leurs modes de production, de distribution avec des conséquences en matière de santé publique, d’aménagement du territoire.

Les populations de truites, et en particulier de truites fario, pour les connaisseurs, s’effondrent, décimées par l’élévation de la température des rivières, la pollution des eaux, le remembrement et l’appauvrissement des écosystèmes, les espèces envahissantes et en particulier les écrevisses américaines.
Ce constat alarmant et tellement triste pour les amoureux de ce poisson emblématique de nos rivières illustre l’effondrement plus général de la biodiversité et les cinq causes qui le provoquent : le changement d’usage des terres et des mers, la surexploitation de certains organismes, le dérèglement climatique, la pollution des eaux, des sols et de l’air, la propagation des espèces envahissantes.

La situation est critique et nous le savons presque tous désormais, tant les articles et les prises de paroles se succèdent, enfin, dans les médias, les conférences.

Alors, doit-on baisser les bras ? La situation est-elle irrécupérable ?

Non, car les écosystèmes terrestres ou marins peuvent se régénérer, comme le démontre la création d’une réserve de biodiversité par le photographe Sebastião Salgado et sa femme au Brésil. En seulement 20 ans, 700 hectares régénérés avec plus de 300 espèces de végétaux, 150 espèces animales, 30 espèces de batraciens…sur la terre héritée de son grand-père, devenue aride à cause de l’agriculture bovine intensive.

La réserve du Minas Gerais au Brésil

Nous le savons aussi, l’économie et les entreprises sont à l’origine d’une très grande partie de cet effondrement. Et elles ont aussi les leviers, par construction, pour atténuer leur impact et contribuer à la restauration des écosystèmes. L’heure n’est plus de nous interroger sur le pourquoi mais à nous mettre en action pour travailler sur le comment. Comment réduire cet impact ? Comment contribuer à la restauration des écosystèmes ?

Que faire donc et comment agir efficacement à la hauteur de l’enjeu, telle est la seule question qui prévaut désormais.

Il s’agit de comprendre les racines du problème puis de transformer l’économie et les entreprises pour en faire des alliés du vivant, des entreprises restauratrices.
Comprendre, cela veut dire d’abord se former pour saisir les enjeux. Cela veut dire ensuite analyser ses dépendances et ses impacts.

Transformer, cela signifie réduire ses interrelations avec le vivant, comme premier pas ; cela signifie ensuite repenser son modèle d’affaires en privilégiant, par exemple, une économie d’usage ; cela signifie enfin, et il s’agit sans nul doute de l’étape la plus complexe, rediriger ou renoncer à certaines activités trop néfastes.
Bref, replacer l’entreprise au service du vivant, cela veut dire réinventer l’entreprise, pour son bien et celui de la planète. Oui, pour son bien, car ces transformations sont les conditions de sa résilience. Face aux risques, nouveaux et de plus en plus intenses qui l’entourent, opérationnels, de marché, financiers, réglementaires, réputationnels, une entreprise qui ne se transforme pas se condamne, à court ou moyen termes, selon les secteurs.

L’entreprise et l’économie sont donc à un moment pivot de leur histoires

C’est bien d’un changement radical dont nous parlons. L’entreprise doit opérer sa mue et abandonner certaines croyances, certaines certitudes, certains réflexes pour devenir restauratrice.

Elle doit se muer en organisation apprenante tout d’abord pour faire entrer, en son sein, de nouvelles connaissances, de nouveaux savoirs fondamentaux, dont elle était auparavant éloignée, les sciences du vivant par exemple.
Elle doit se muer en organisation participative voire, osons le mot, démocratique, pour que tous ses collaborateurs et décideurs, à tous niveaux hiérarchiques, participent à sa refonte, car les solutions sont au croisement des enjeux opérationnels et stratégiques, des activités et des métiers.
Elle doit se muer enfin, en organisation ouverte, car c’est avec l’ensemble de ses parties prenantes, en relation constante avec son écosystème de partenaires, fournisseurs, acteurs publics, citoyens, associations, qu’elle pourra définir des actions pertinentes, en relation avec son territoire.

Cette trajectoire de réinvention est sans aucun doute une aventure passionnante pour l’entreprise, à même d’entraîner l’adhésion de ses collaborateurs, de replacer ses actions au cœur de la société et d’en faire un lieu de confiance et d’engagement lorsque d’autres acteurs de la société ou corps intermédiaires se disloquent.

Pour en savoir plus :

Géo – La réserve de Sebastiã Salgado au Brésil
Salamandre – Pourquoi les truites disparaissent-elles ?

Pour aller plus loin :

– Suivre notre atelier Mission Biodiversité : https://lnkd.in/eJb2zJ35
– Suivre notre Mooc Biodiversité : https://lnkd.in/eTXq7iUE
– Participer à notre formation Action Biodiversité : https://lnkd.in/e93iX_WZ
– Engager votre entreprise dans un Défi Transition : https://lnkd.in/e3Q9eek9

Taxonomie, CSRD, Accords de Kunming… Ces dernières semaines, l’évolution de la réglementation Européenne sur les enjeux environnementaux, et plus spécifiquement de biodiversité a fait couler beaucoup d’encre. Quand certains qualifient ces avancées de réelle révolution, d’autres les jugent trop peu ambitieuses. Mais finalement, quels sont les grands axes de cette nouvelle législation ? Sur quoi se fonde-t-elle ? Quelles nouvelles obligations en découlent ? Le point.

L’accord historique de la COP15

Le 19 décembre 2022, 196 pays adoptaient un nouvel accord historique dans le cadre de la COP15 Biodiversité à Kunming.

Son objectif ? Fournir une trajectoire d’action internationale à la hauteur de l’urgence pour faire oublier l’échec des accords d’Aichi. Le résultat ? Un cadre mondial pour la biodiversité, qui comprend 4 objectifs de long-terme (2050) et 23 cibles pour l’action (2030).

Parmi elles, la cible 15 a retenu l’attention des acteurs économiques. Cette dernière implique les états à prendre des mesures juridiques, administratives ou politiques pour inciter les entreprises, et plus particulièrement les multinationales et les institutions financières, à :
– Contrôler, évaluer et divulguer régulièrement et de manière transparente leurs risques, dépendances et impacts sur la biodiversité.
– Fournir les informations nécessaires aux consommateurs pour promouvoir des modes de consommation durables.

Bien qu’il s’agisse ici d’incitation et non d’obligation, cette mesure fait date. C’est la première fois qu’un accord international vise directement les acteurs financiers et économiques. D’autres cibles concernent indirectement les entreprises, notamment la 16 qui vise à réduire l’empreinte mondiale de la consommation. Si ces avancées représentent un enjeu de taille pour les entreprises, elles répondent aussi à une vraie attente des sphères économiques et financières. En amont de la COP15 et à travers la campagne #MakeItMandatory, plus de 400 entreprises avaient sollicité les négociateurs pour rendre des exigences de reporting obligatoires.

La CSRD : le pari ambitieux de l’UE

C’est là qu’entre en jeu la fameuse directive sur le reporting environnemental, social et de gouvernance des entreprises, plus connue sous le nom de “CSRD”, pour “Corporate Sustainability Reporting Directive”. Adoptée en décembre 2022, avec pour objectif de normaliser l’information extra-financière, cette directive introduit pour la première fois une obligation de reporting et de vérification d’informations normées en matière de durabilité pour plus de 50 000 entreprises européennes. Ce reporting devra de surcroît s’inscrire dans le principe novateur de ” double matérialité ” : une entreprise devra aussi bien identifier les risques et opportunités que la société et l’environnement ont sur elle, que les impacts (négatifs et positifs) qu’elle peut avoir sur eux. La CSRD vient compléter les avancées de la Taxonomie verte, du Green Deal et de la SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), et il est désormais admis que l’entreprise doit répondre à des intérêts que l’on peut qualifier de généraux et non simplement privés.

Contrairement à ce qui était prescrit par l’EFRAG, l’organe européen spécialiste de l’information financière, la Commission Européenne a considérablement revu à la baisse l’ambition initiale de la CSRD dans ce projet.

Entre espoirs et désillusions

Pour être opérationnelle, la CSRD s’appuie sur une série de normes et d’indicateurs (ESRS) qui visent à standardiser les déclarations non financières. Leur contenu et les modalités de leur application ont été dévoilés dans un projet d’acte délégué publié en juin par la Commission Européenne.

Contrairement à ce qui était prescrit par l’EFRAG, l’organe européen spécialiste de l’information financière, la Commission Européenne a considérablement revu à la baisse l’ambition initiale de la CSRD dans ce projet. Le principal recul est le renoncement à rendre obligatoire la divulgation d’indicateurs clés, qui est maintenant conditionnée à une analyse de matérialité. En d’autres termes, il appartiendrait aux entreprises, avec leurs consultants et leurs conseillers, de déterminer ce qui est important ou non de divulguer.

De ce fait, un consortium d’une centaine d’investisseurs et d’acteurs financiers déplore ce manque d’ambition dans un communiqué publié début juillet. Il appelle notamment la Commission à reconsidérer la nature totalement facultative des plans de transition pour la biodiversité, afin de fournir aux investisseurs des informations sur la manière dont les entreprises alignent leur stratégie aux cadres internationaux émergents.

Une fois le sort de la CSRD fixé, les instances européennes devront s’accorder sur un chantier tout aussi conséquent : celui du devoir de vigilance. Après avoir normé et régulé le déclaratif, l’Union européenne devra faire de même avec la mise en œuvre des plans d’action des entreprises. C’est là toute l’ambition du projet de directive sur le devoir de vigilance (CSDDD ou CS3D), adopté en juin 2023 par le Parlement européen. Cette directive vise à encadrer les obligations de responsabilité des entreprises sur le plan social et environnemental ainsi qu’à appliquer au niveau européen la notion de « devoir de vigilance ». La CS3D devra passer par le trilogue de l’Union Européenne afin d’être définitivement adoptée en 2024.

Une stratégie nationale

À l’échelle nationale, la démarche “ Éviter, Réduire, Compenser ” a été introduite en droit français, dans la loi relative à la protection de la nature en 1976. Elle a depuis été renforcée par la loi pour la reconquête de la biodiversité en 2016, afin d’atteindre l’absence de perte nette de biodiversité dans la conception puis la réalisation de plans, de programmes ou de projets d’aménagement du territoire (ZAN). Le premier volet de la stratégie nationale biodiversité 2030, dévoilé en février 2022, à également ancré l’ambition que “ les entreprises rendent compte de leurs impacts et dépendances à la biodiversité et qu’elles réduisent leurs impacts négatifs de 50 % ” d’ici 2030. Le second volet, qui devrait être publié dans les prochaines semaines, viendra sûrement conforter le rôle de l’entreprise dans la préservation de la biodiversité.

Quentin Thomas
Responsable Biodiversité

 

Pour aller plus loin 

Vous souhaitez vous former aux enjeux de biodiversité ?
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Sources

Monitoring framework for the Kunming-Montreal global biodiversity framework – Convention on Biological Biodiversity 

COP15 biodiversité : un accord historique, mais imprécis et non-contraignant – Carbone 4

CDC BIODIVERSITÉ (2023), COP 15, ET APRÈS ? ANALYSE DES CIBLES ÉCONOMIQUES ET RECUEIL DE POINTS DE VUE. BOURCET, C., CHESNOT, Y., MAGNIER, D., N°44, 50P – CDC Biodiversité

Corporate sustainability reporting – Europa.eu

CSRD : modalités et perspectives. Comment vous aider à préparer le reporting de durabilité ? – EY 

Normes européennes d’information en matière de durabilité – premier ensemble de normes – Europa.eu

Joint statement on ESRS – Eurosif, PRI, IIGCC, EFAMA, UNEP FI

Le dérèglement climatique accélère et frôle déjà les 2° en France, la biodiversité s’effondre et les insectes disparaissent, un plan d’adaptation est désormais envisagé qui anticipe un réchauffement de 4° sur notre territoire. Bref, les occasions de se réjouir se multiplient.

Pourtant, dans cet océan de noirceur, une bonne nouvelle pointe son nez…si, si… que nous pourrions appeler, avec une pointe d’humour, la convergence des luttes.
L’explication est très simple : l’intérêt privé et l’intérêt général tendent à ne faire plus qu’un, ce qui pourrait accélérer l’engagement des acteurs économiques qui, faut-il le rappeler, pèsent à hauteur de 75% dans les dérèglements environnementaux.
Autrement dit, lorsque l’éthique d’action ne suffit pas à provoquer la grande transformation, il se pourrait que la protection de leurs intérêts, privés par essence, pousse les entreprises à se mettre enfin véritablement en mouvement et infléchissent massivement leur politique RSE .

‘Les entreprises sont désormais soumises à des pressions et des risques systémiques sans précédent’

Pourquoi ? Car elles sont désormais soumises à des pressions et des risques systémiques sans précédent.

Risques opérationnels qui menacent leurs activités ; risques de marché face à l’évolution de leurs consommateurs ; risques de financement face à des investisseurs dont l’exigence va croissante ; risques réglementaires bien sûr, si les gouvernements et surtout l’Europe s’engagent durablement dans la voie plus ambitieuse qu’ils semblent emprunter; risques réputationnels enfin, en interne et en externe, qui menacent leurs politiques de recrutement et l’engagement de leurs collaborateurs de plus en plus intransigeants.

Certains ricanent peut-être, me traitant de doux rêveur. Je leur réponds d’un clin d’œil de cassandre. Non, je ne rêve pas, j’espère simplement, face à la gravité de la situation, hélas prévisible mais tellement lourde et prégnante désormais.

J’observe aussi, autour de moi, l’évolution de certains patrons, conscients et tiraillés par leurs incohérences et souvent harcelés par leur descendance.

‘La majorité a basculé vers la question du comment agir et c’est là que l’affrontement se concentre désormais entre des visions clairement opposées’

Évidemment, les blocages ont la vie dure mais ils ont évolué. Seuls quelques irréductibles restent bloqués sur la question du pourquoi agir, fleurtant encore avec le climatoscepticisme.
La majorité a basculé vers la question du comment agir et c’est là que l’affrontement se concentre désormais entre des visions clairement opposées.

D’un côté, les technologistes ou techno-solutionnistes arguent que l’Homme, dans son génie, saura trouver les solutions et qu’il ne sert à rien de chercher à réinventer notre modèle. Nous capterons le carbone, un jour…L’avion vert volera, un jour… On peut y adjoindre les tenants du jusqu’au-boutisme, nourris, non plus par le déni, mais plutôt par la conscience sclérosante de la gravité de la situation. Après-moi le déluge….

De l’autre, ceux qui refusent ce leurre technologique ou ce défaitisme cynique et pour qui vient le temps de l’engagement, volontariste et escarpé. Car il leur faudra slalomer entre les résistances internes, les injonctions contradictoires du court et du long terme, les logiques mercantiles difficiles à défaire et des arbitrages qui feront passer les timides avancées actuelles pour des prémisses dérisoires à mesure que les pressions augmenteront.

Ce sont eux qu’il faut aider bien sûr, en premier lieu, puis montrer en exemple. C’est grâce à ces ‘pionniers’ que nous pourrons convaincre la majorité qui résiste encore que cet engagement pour l’intérêt général n’est pas optionnel mais fondamental pour leur propre avenir, pour leur intérêt particulier et que leur croyance suranné dans un modèle dépassé ou leur immobilisme opportuniste les condamnent à moyen terme.

La convergence des intérêts particuliers et de l’intérêt général constitue bien un argument décisif. Je vous laisse en revanche décider s’il convient de parler, à ce stade, de convergence des luttes, je ne suis pas certain que cette forme d’humour fasse mouche.

Jérôme Cohen
Fondateur ENGAGE

Nathalie Bardin est Directrice Executive Marketing stratégique, RSE et Innovation d’Altarea. Elle est également alumni du Programme Transformation de l’ENGAGE University. Retour sur son expérience avec ENGAGE.

 

Peux-tu te présenter ?

Je suis directrice exécutive marketing stratégique de la RSE et de l’innovation dans le groupe Altaréa qui intervient sur la transformation urbaine et toutes les problématiques liées à la ville (logements, bureaux, commerce…).

 

Tu as participé au Programme Transformation, qu’est-ce que cela t’a apporté d’un point de vue professionnel et personnel ?

Sur le plan professionnel cela m’a apporté trois choses :

  • De l’inspiration : on a tendance à s’assécher, parfois, dans le cadre professionnel. Le Programme Transformation m’a apporté l’inspiration dont j’avais besoin en me confrontant à des problématiques que je n’avais pas encore suffisamment approfondies, à des personnalités incroyables, d’universitaires, d’intellectuels, d’entrepreneurs… Cela ouvre un champ des possibles et des solutions pour changer les choses.
  • Une logique de stimulation et partage : les profils des participants du programme sont variés et cela est très enrichissant d’interagir avec des personnes d’univers différents, de réfléchir ensemble en bonne intelligence, de confronter nos visions, nos expériences, de s’appuyer aussi dans nos parcours et nos objectifs.
  • Un passage à l’acte : c’est une formation tournée vers l’action. Concrètement, j’ai par exemple découvert la Fresque du Climat grâce à ce programme et je suis devenue fresqueuse. J’ai également découvert de nouvelles approches, comme la permaéconomie et de nouveaux outils. J’ai également souhaité poursuivre l’expérience avec ENGAGE dans mon entreprise pour que nous allions plus loin dans nos engagements en proposant des cycles de conférences pour sensibiliser et former nos collaborateurs et collaboratrices.

D’un point de vue personnel, je pense qu’on ne rentre pas chez ENGAGE par hasard. J’étais déjà dans une dynamique d’action, prête à entrer et à approfondir mon engagement dans la transition. Le programme m’a conforté dans ces intentions.

 

« Le Programme Transformation m’a apporté l’inspiration dont j’avais besoin en me confrontant à des problématiques que je n’avais pas encore suffisamment approfondies »

 

Ce programme a-t-il transformé ta vision de la transformation de la société et de l’entreprise ? Et de quelle façon ?

Cela m’a donné une plus grande ouverture sur des thématiques que nous n’avions pas abordées dans mon entreprise, comme la biodiversité. Le programme m’a apporté une connaissance en profondeur des sujets, une vision systémique et globale des enjeux.

Il m’a aussi éveillé à de nouveaux savoir-faire comme l’intelligence collective. J’ai expérimenté de nouvelles approches, de nouvelles façons d’accélérer la transformation et de réfléchir collectivement à des solutions.

 

Tu as décidé de poursuivre ton expérience personnelle au travers d’un cycle de conférences dédié à l’ensemble des collaborateurs du groupe Altarea, pourquoi ?

Je souhaite mener une transformation en profondeur et densifier notre passage à l’acte au sein d’Altaréa, et c’est évidemment plus facile de s’appuyer sur un tiers, doté d’une réelle crédibilité sur ces sujets de fond.

Les échanges que nous avons avec les experts du réseau nourrissent notre réflexion collective. Cela accélère la mise en mouvement des dirigeants et des collaborateurs, sans qui rien de durable ne se fera.

 

Qu’attends-tu d’une organisation comme ENGAGE ?

Nous sommes aujourd’hui dans une phase de sensibilisation, qui ambitionne d’éclairer les collaborateurs sur ces thématiques de fond. J’aimerais poursuivre le travail avec ENGAGE avec des focus sur des sujets que l’on estime prioritaires pour notre groupe, comme la biodiversité.

ENGAGE est un vrai partenaire de notre transition. Il enrichit notre réflexion, en y associant les bons experts, puis nous accompagne dans la conception et la mise en œuvre de transformations concrètes.

 

Finalement, comment caractériserais-tu ces premières expériences ?

Profondément humain. Les personnes qui interviennent au sein d’ENGAGE sont convaincues de ce qu’elles font, le portent, c’est incarné. Je qualifierais également mon expérience de « transformation active », une sorte d’utopie concrète et éclairée. On ressent dans cette communauté l’envie de changer les choses et de s’en donner les moyens. Nous sommes dans la projection vers un futur plus désirable mais aussi dans le présent et la transformation concrète, dès aujourd’hui.

 

 

 

Participez à la prochaine édition du Programme Transformation !

Trois semaines consacrées à l’approfondissement d’une thématique incontournable du XXIe siècle et deux semaines dédiées à l’expérimentation pour se donner les moyens d’agir dans le système, pour une immersion complète au sein des enjeux de la transition.

Le Programme Transformation vous permettra de :

  • Vous saisir des défis du 21e siècle – environnement, gouvernance, numérique, complexité, leadership d’impact – pour mettre le bien commun au cœur de ses activités.
  • Acquérir savoir-être et savoir-faire indispensables dans notre monde en transition – intelligence collective, mobilisation, leadership conscient, créativité, rhétorique.
  • Ancrer votre engagement personnel et professionnel à travers des temps de réflexions individuels et des moments d’échange entre pairs.
  • Rencontrer des apprenant·e·s engagé·e·s qui partagent une envie profonde de réinvention, en promotion réduite (20 participant.e.s) et des intervenant·e·s passionné·e·s et passionnant·e·s grâce à des échanges privilégiés
  • Bénéficier d’un accès privilégié à l’écosystème ENGAGE.

En savoir plus : www.engage-programmetransformation.com

 

Philippe Zaouati est le CEO de Mirova, une entreprise dédiée à l’investissement responsable et au financement du développement durable. Il est également co-fondateur et président du collectif de citoyens l’Union fait le Climat, qui œuvre pour que le climat et la biodiversité soient au cœur des politiques publiques.

 

Peux-tu te présenter ?

Je travaille dans la finance depuis plus de 30 ans. J’ai eu une prise de conscience sur l’impact de la finance il y a 15 ans, lors de la crise financière. J’ai commencé à réfléchir à nos pratiques et à la façon nous pourrions utiliser la finance pour contribuer à l’intérêt général, au bien commun.

Je travaillais chez Natixis depuis 2007, et j’ai essayé de transformer l’entreprise mais c’est toujours difficile de faire évoluer rapidement ce genre de grosses structures. J’ai donc décidé de créer Mirova, en 2012, une spin-off dédiée à l’investissement responsable et au financement du développement durable pour démontrer que l’on était en capacité de monter une initiative ambitieuse, d’avoir un réel impact.

Aujourd’hui Mirova représente 28 milliards d’euros sous gestion (contre 3 milliards en 2012), pour le compte d’investisseurs partout dans le monde avec cette volonté de prendre en compte et de maximiser l’impact environnemental et social. Notre métier consiste à flécher le capital là où il nous semble être le plus utile : santé, mobilité, énergie durable, égalité homme/femme, éducation, efficacité énergétique… Pour évaluer ces projets et ces entreprises à impact, nous nous appuyons sur une équipe dédiée en interne et sur des agences partenaires spécialisées (ISS, Carbone 4, Iceberg…). Nous co-construisons avec elles des méthodologies que nous mettons ensuite en open-source pour qu’elles deviennent des standards de marché.

 

La lettre de Larry Fink, PDG de Blackrock, défendant un nouveau capitalisme « des parties prenantes » a été beaucoup relayée. Qu’est-ce que cela traduit de l’état de la finance et de son rôle dans la transition ?

 

La lettre de Blackrock a en effet été beaucoup relayée. De fait, c’est une bonne nouvelle car elle porte un message positif. On peut ensuite se demander si c’est en phase avec ce qu’ils font ? Personnellement, je pense qu’il y a une déconnexion assez forte car la philosophie derrière ce texte est toujours très marquée par la matérialité financière, c’est-à-dire qu’on s’intéresse à l’écologie parce que cela nous fait gagner plus d’argent. Bien sûr, en tant qu’investisseurs, nous sommes là pour maximiser le profit pour nos clients. Toute l’analyse sous-jacente ne peut pourtant pas être fondée sur cette stricte et unique recherche de rentabilité financière. Il y a de nombreux impacts qui ne sont pas financiers et qu’il faut prendre en compte : la biodiversité, le respect des droits de l’Homme…

Evidemment, là encore, changer l’orientation d’un paquebot comme Blackrock qui a plus de dix mille milliards de dollars en gestion n’est pas chose aisée. Tous les acteurs financiers n’ont pas la même capacité à agir, dans les mêmes délais. Cette lettre est déjà une première étape positive.

 

La transition du secteur financier va-t-elle assez vite ?

La grande et éternelle question est : la finance doit-elle aller plus vite que l’économie ? Les financiers traditionnels diront que non, car la finance est là pour financer l’économie avec une certaine neutralité vis-à-vis de l’évolution de cette dernière.

Chez Mirova, nous développons un message différent qui consiste à penser que la finance, de par sa capacité à réallouer du capital, a la possibilité d’être en avance de phase en préparant l’avenir, en anticipant les changements. Si les acteurs de la finance décident donc de prendre de l’avance sur les sujets de développement durable, cela peut avoir un effet très fort sur l’économie.

Je pense que la bataille culturelle est en passe d’être gagnée. Les mentalités changent. Dans les faits pourtant, nous en sommes encore loin, principalement parce que la finance est un business de stock d’actifs, que l’on ne change pas comme ça du jour au lendemain, cela prend du temps.

 

 

« Si les acteurs de la finance décident de prendre une avance sur les sujets de développement durable, cela peut avoir un effet très fort sur l’économie. »

 

 

Pour en venir à un sujet très médiatisé en ce moment, pourquoi la nouvelle taxonomie européenne est-elle aussi controversée ?

Je fait partie du groupe d’experts de la finance durable à l’origine de cette idée de taxonomie européenne en 2017. Nous avons écrit la feuille de route sur la finance durable qui est aujourd’hui en cours de mise en œuvre. L’objectif principal était de définir une grammaire commune au niveau de la finance pour orienter les investissements vers les activités « vertes ».

La commission européenne a mis en place un premier groupe de travail, appelé le TEG, chargé de préciser cette taxonomie industrie par industrie. Ce groupe de travail est composé de professionnels du secteur financier (assureurs, banquiers) et de représentants de la société civile (notamment des ONG), le tout dirigé par Nathan Fabian, directeur des investissements responsables (PRI – Principes pour l’investissement responsable).

Est alors définie une taxonomie sur 6 critères environnementaux : l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au dérèglement, l’eau, l’économie circulaire, la pollution et la biodiversité. Un actif est alors éligible à la taxonomie s’il apporte une contribution positive forte à l’un de ces 6 critères environnementaux sans être très négatif pour les autres, tout en respectant les grandes conventions internationales.
Sur 70 secteurs industriels, ils définissent les limites qui leur paraissent raisonnables pour rentrer dans la catégorie verte. Sont alors exclues énergies fossiles, gaz (au-dessus d’un certain seuil d’émission), et le nucléaire du fait de la problématique des déchets.  Un vrai consensus naît alors entre les acteurs de la finance et la société civile, appuyé par la science.

Ensuite sont arrivés les politiciens, notamment le gouvernement français, qui a imposé le nucléaire dans cette taxonomie et a négocié un deal, un accord avec les pays producteurs de gaz. Tu m’autorises le nucléaire, je t’autorise le gaz…
La commission européenne, après avoir adopté un premier acte fondé sur les recommandations du TEG, réécrit un second acte incluant le nucléaire et le gaz dans la taxonomie. C’est un message extrêmement négatif, qui affaiblit le fonctionnement de cette plateforme et de tout ce plan de finance durable basé sur un consensus entre le secteur financier et la société.

C’est d’autant plus grave que ce lobbying politique est inutile car cela n’aurait rien changé au financement du nucléaire en France, extrêmement majoritairement public.

La France se sert en fait d’un outil européen pour faire de la politique intérieure. Elle se sert du tampon ‘taxonomie européenne’ pour renforcer l’argumentaire selon lequel le nucléaire est favorable à l’environnement. Cela leur permet de nourrir leur récit politique pour ouvrir de nouvelles EPR et apaiser le débat, ce qui est aujourd’hui grandement discutable.

 

Quel serait ton premier conseil à un directeur financier d’une entreprise et à un citoyen, pour diminuer leur impact sur l’environnement par la gestion de leur finance?

Pour un directeur financier, je lui conseillerais tout d’abord d’aligner sa stratégie financière sur la stratégie globale de l’entreprise. Il faut que la direction générale soit d’abord convaincue de la transition à mener, et ensuite la stratégie financière pourra accélérer ce changement.

Pour les citoyens je dirais qu’il est essentiel d’amorcer une discussion avec son conseiller financier, de l’interroger sur les possibilités d’investissement en exprimant clairement ses souhaits. Mettre en avant ses convictions environnementales, sociales. Plus les citoyens le feront, plus l’offre devra s’aligner. Exercer une forme de pression, pousser les conseillers à devenir plus professionnels, plus sachants dans ces domaines. Et ne pas hésiter à changer de banque si les réponses ne sont pas à la hauteur. L’empreinte carbone de son épargne est très important et c’est un sujet qui est rarement mis en lumière hélas.

 

Quels sont tes futurs désirables ?

Aujourd’hui, je suis grand-père et cela impacte forcément ma vision du futur. Dans le Vaucluse, j’ai planté des oliviers et mon futur désirable ça serait que cette parcelle devienne une superbe oliveraie dont ma petite fille pourra profiter, et que cette belle région ne soit pas dévastée par la sécheresse.

 

Une œuvre d’art pour illustrer tes propos ?

Je pense notamment à l’œuvre du photographe marseillais Philippe Echaroux qui, lors d’un séjour au sein d’une tribu amazonienne au Brésil, a photographié le visage de ses hôtes avant de les projeter sur des arbres dans des grandes villes pour sensibiliser à l’écologie et à la déforestation. C’est un message fort et puissant, qui représente la connexion essentielle entre les Hommes et la Nature.

 

Du street art au cœur de la forêt Amazonienne – Philippe Echaroux

 

 

Stéphane Hugon est sociologue de l’imaginaire et co-fondateur d’Eranos, cabinet de conseil spécialisé dans la Transformation Sociétale, en réconciliant entreprises et société.

 

Peux-tu te présenter ?

Je suis sociologue de l’imaginaire. Cette sociologie a été occulté pendant plusieurs années, mais revient à la faveur des transformations sociétales. Elle montre que ce qui fait société, c’est le partage d’un récit commun fort et d’images fondatrices qui rassemblent. L’idée, c’est que l’imaginaire est plus fort que les conditions objectives de vie. Je suis également co-fondateur d’Eranos, un institut qui a pour objet de resynchroniser les entreprises avec leur époque, en les réconciliant avec la société d’aujourd’hui et en les accompagnant vers un modèle contributif.

 

On parle aujourd’hui d’une civilisation du cocon, tendance qui semble s’amplifier avec les confinements successifs, cela te semble-t-il approprié ?

La notion est intéressante, beaucoup d’observateurs l’utilisent, je pense notamment à Vincent Cocquebert, journaliste et essayiste, qui a publié en 2021 le livre La civilisation du cocon. Pour en finir avec la tentation de repli sur soi.

Si l’on replace cette notion dans le contexte de crise sanitaire, il y a un imaginaire de la ruralité qui se dessine aussi en arrière-plan, une fermeture au monde globalisé, mais une ouverture vers l’environnement, le territoire à proximité de nous : famille, voisinage, habitants du quartiers – c’est-à-dire des personnes soumises à la même gravité que nous. La crise sanitaire nous a obligé, par contrainte, à revisiter et à transformer notre environnement immédiat, à trouver une logique d’échange et de co-attention, qui font partie de l’économie invisible et qui font territoires.

Ce phénomène conjoncturel vient selon moi révéler un cycle plus long, antérieur à la crise sanitaire, qui est l’invention d’un espace entre l’individu et la masse. Un ‘plus que soi’, mais plus restreint que l’universalisme. C’est dans cet interstice que se situe, par exemple, le communautarisme, qui peut être caractérisé comme un effet pervers de cette tendance.

 

 

Métavers et monde virtuel… Tendons-nous également à entrer dans une ère du cocon numérique ?

Nous avons récemment mené une étude qui démontre que l’aboutissement de cette logique de fragmentation de la société, alimentée par celle du désir pour ce qui nous plait, ce qui nous ressemble, engendre dans un premier temps un sentiment d’aboutissement mais conduit ensuite à un enferment dans sa bulle. Ce phénomène est bien-sûr amplifié par le digital et les nouvelles technologies.

Sans sacraliser le passé, on peut affirmer que les premiers médias de masse, comme la télévision et la radio, engendraient un effet de ‘transversalité’. Les citoyens auditeurs, synchrones les uns avec les autres, regardaient les mêmes programmes au même moment. La création d’un commun était, de fait, beaucoup plus simple.

Aujourd’hui, chacun crée son cocon, avec ses médias préférés, ses plateformes favorites, mais ce cocon digital isole, et risque de maintenir et d’alimenter certaines croyances et ignorances. Il peut mener, in fine, à une forme d’exclusion et d’enfermement, et par la même réduire son regard critique et la considération que l’on a pour autrui. Le dialogue devient alors plus compliqué, voire violent. On produit du même, qui fait disparaitre le commun.

 

« Nous nous enfermons dans un cocon digital, qui isole, maintient et alimente certaines croyances et ignorances. On produit du même qui fait disparaitre le commun. »

 

 

Sur le long terme, comment la crise sanitaire impacte-t-elle notre façon de consommer ?

Historiquement, avant le XIXe siècle, la vie sociale était organisée autour de la religion. Il y a eu ensuite une transposition du religieux dans le politique. Qu’on soit pour ou contre, chacun avait sa place dans un récit global. Ensuite, l’après-guerre apporte une sorte de fascination consommatoire. C’est un troisième temps plus pauvre, privé de transcendance, mais qui organise tout de même la vie. Très rapidement, au bout de 50 ans, ce temps s’épuise, une fois dépassé le contexte de rareté vécu après la guerre. Depuis les années 90, notre rapport à la consommation est en quête d’une dimension transcendantale, en recherche du sens, d’un commun perdu.

Une voie s’ouvre aujourd’hui, très clivante. Elle consiste à transformer nos actes de consommation en actes de contribution. L’individu tente de trouver du sens en s’engageant à travers sa consommation, à travers un acte qui dépasse son besoin individuel et devient un acte contributif à la société et au collectif. Le citoyen laïcisé, qui vote moins, ressent un manque, une perte de sens. Il va surinvestir dans son acte consommatoire pour satisfaire ce besoin de solidarité, d’engagement, de lien, voire de spiritualité.

Cette tendance ne fait que souligner le désir de transcendance de notre société. Faute de mieux, cette dernière déplace son engagement dans la consommation, ce qui constitue à minima un acte politique. Nous observons donc un détournement de la consommation, une pseudomorphose, pour répondre à un besoin qui, pour l’instant, n’a pas d’outil ni de canal pour s’exprimer. Cette tendance, organisée aujourd’hui autour de la consommation pourrait retomber pour laisser émerger une autre forme d’organisation sociale.

 

« Le citoyen va survinvestir dans son acte consommatoire pour satisfaire son besoin de sens, qui va devenir un acte contributif à la société et au collectif. »

 

Cette tendance s’exprime-t-elle sur tout le territoire et pour tous les citoyens ?

Cette tendance existe dans les petites et moyennes villes ainsi qu’en zone rurale mais se matérialise différemment. Dans les circuit courts et l’artisanat, par exemple, qui continuent d’exister alors qu’ils auraient dû disparaitre sous l’effet du développement de la grande distribution. Nous avons donc une vraie résistance passive, à la faveur de ce besoin de sens et d’engagement.

La crise des gilets jaunes révèle une certaine saturation de la promesse de progrès de l’après-guerre, et témoigne d’une véritable perte de sens. La partie la plus aisée de la population a repris les codes et les rites de la culture populaire, ceux de la paysannerie, l’imaginaire de l’artisan, et les a reconstruits autour, par exemple, du bio (produits et modèles alternatifs de distribution), des chambres d’hôtes (valeurs d’accueil, de proximité). Les classes populaires sont restées bloquées dans un modèle aujourd’hui caduc dont la grande distribution est le symbole, qui isole, détruit le lien.

 

Quelles peuvent être les implications pour les entreprises ?

Il risque d’y avoir une vraie redistribution de l’influence et de la légitimité des marques. Des mastodontes peuvent disparaitre extrêmement rapidement, chose impensable il y a quelques années. Aucune entreprise ne peut faire aujourd’hui l’économie de la question : quel est le besoin dont je suis la réponse ? Il est vital pour les entreprises de s’interroger fondamentalement sur leur raison d’être et de se transformer en cette période de désenchantement.

 

Isabelle Lefort est une ancienne journaliste et rédactrice en chef dans la mode. Elle co-fonde en 2019 avec Laure du Pavillon l’association Paris Good Fashion qui vise à faire de Paris la capitale d’une mode plus responsable d’ici 2024.

 

Peux-tu te présenter ?

J’ai été, en première partie de carrière, journaliste rédactrice en chef de différents magazines d’art de vivre, de mode ou de luxe comme Jalouse, Biba, Elle ou encore La Tribune. En 2009, lors de la crise des subprimes, j’ai ressenti un réel besoin de donner plus de sens à ma carrière. J’ai alors rejoint le secteur du développement durable avec notamment Jacques Attali au sein de Positive Planet où je suis devenue directrice éditoriale de toutes les activités autour du Positive Economy Forum.

En 2018, la ville de Paris m’a sollicitée de par ma double casquette – mode et développement durable – car elle souhaitait accélérer la transition du secteur de la mode. Avec Laure du Pavillon, nous avons cofondé l’association Paris Good Fashion pour répondre à cet objectif.

 

La naissance de cette association est partie de quel constat de l’industrie de la mode et du textile ?

Lorsque j’ai quitté le secteur de la mode en 2009, le sujet du sens et de la préservation ne portait pas dans ce milieu, il y avait un réel manque de prise de conscience des impacts négatifs de cette industrie. Le scandale du Rana Plaza en 2013 a permis de prendre conscience d’une petite partie de l’impact social désastreux de l’industrie du textile. À tout cela il faut ajouter l’exploitation des femmes et des enfants, les émissions carbone, la consommation astronomique d’eau, la surproduction de plastique…  En quelques chiffres, le secteur de la mode serait responsable de la pollution de 25% des eaux mondiales, le coton capterait 93% de l’eau utilisée par l’industrie textile avec 84,5 milliards de mètres cubes d’eau par an, ou encore 87% des matériaux utilisés dans la fabrication des vêtements finissent à la poubelle (source : Climate Chance).

L’industrie du textile et de la mode est donc l’une des industries les plus polluantes et la fast fashion a augmenté ce phénomène. Nous étions dans l’urgence absolue de changer les méthodes de cette industrie.

 

Constatez-vous une réelle prise de conscience, à la fois de la part des consommateurs mais aussi des marques ?

En 2020, nous avons lancé une consultation citoyenne pour une mode plus responsable : 107 000 personnes ont participé, nous avons recueilli plus de 3 000 propositions et près d’un demi-million de votes. Dans le rapport de la consultation citoyenne, nous rappelons l’étude de l’Institut Français de la mode, commanditée par Première Vision, qui énonce que 64 % des consommateurs ont confirmé leur intention d’acheter des produits de mode éco-responsable au second semestre 2020.

 

Cela démontre l’intérêt et la prise de conscience du grand public pour le sujet. La volonté de mieux consommer est présente, mais tout le monde n’a pas les moyens c’est pourquoi il est essentiel de développer et démocratiser cette mode durable. On observe également du côté des marques une réelle prise de conscience et des engagements réels. Si certaines sont tentées par le greenwashing, je ne donne pas chère de cette stratégie à haut risque réputationnel, qui n’est pas viable car nous assistons à une transformation profonde des habitudes de consommation et a véritable changement de paradigme. Il y a donc une convergence des prises de conscience, poussée par une législation de plus en plus sévère en France, notamment avec la loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie circulaire) qui interdit la destruction des invendus non alimentaires dont le textile.

 

Pour retrouver toutes les propositions et engagements de la consultation citoyenne de Paris Good Fashion : https://drive.google.com/file/d/1P3zDZpRWuHzov5AAt7e81-tE7uHLMlfR/view

 

 

« Nous assistons à une transformation profonde des habitudes de consommation et à une convergence des prises de conscience : il est urgent que l’industrie de la mode change ses méthodes. »

 

 

Concrètement, comment Paris Good Fashion agit ?

Paris Good Fashion c’est une association indépendante loi 1901, créée à l’initiative de la ville de Paris. Au départ nous étions 10 membres, aujourd’hui nous allons terminer l’année à 100 membres.  Parmi eux, des grands groupes, des marques indépendantes, des distributeurs, des institutions, des écoles, des ONG : de Chanel à la Fondation Ellen Mac Arthur en passant par 1083, Les Galeries Lafayette, Vestiaire Collective…

D’abord nous sommes un écosystème où les acteurs du secteur se parlent, échangent des bonnes pratiques et travaillent ensemble à des solutions concrètes. Ce genre de coalition n’existait pas il y a deux ans, car le secteur est très compétitif et donc chacun restait dans son coin. Ensuite, nous sommes une vitrine pour les acteurs de la mode durable : nous n’avons pas forcement les mêmes méthodologies que nos voisins anglo-saxons de par notre historicité et notre connaissance de la mode et de par le point de vue du législateur qui est très poussé en France.

Pour finir, nous sommes avant tout un laboratoire de solutions concrètes. Nous mettons en place des workshops dans lesquels nous travaillons un problème à la source, dans lesquels nous essayons de trouver des solutions. Par exemple nous avons lancé une étude sur le bien-être animal pour savoir s’il y avait une corrélation entre la bientraitance animale et la qualité des peaux, ce qui est le cas. Cela nous a permis de démontrer aux plus réfractaires qu’il y avait tout intérêt à bien traiter les animaux. Notre objectif est donc de raisonner le marché, de le pousser vers des pratiques plus durables et de veiller à sa progression.

 

 

« À la fois un écosystème, une vitrine et un laboratoire de solutions concrètes, Paris Good Fashion a pour mission de raisonner le marché, de la pousser vers des pratiques plus durables et de veiller à sa progression. »

 

 

L’association vise à faire de Paris la capitale de la mode durable d’ici 2024. Un objectif réalisable ?

Historiquement, Paris est la capitale de la mode et a donc tout intérêt d’être précurseuse en matière de mode durable. Elle a toutes ses chances d’arriver à cet objectif d’ici 2024 : si vous regardez la cartographie de la mode durable à Paris intra-muros et Paris Ile de France, on recense plus de 400 adresses de marques de jeunes designers, d’ateliers où l’on peut faire réparer, entretenir ses vêtements, de boutiques de seconde main, des think tank… Il existe un réseau incroyable sur le territoire. À Paris, nous avons également des acteurs leaders très fort, comme LVMH, Kering, Chanel ou encore Eram et Etam. Ces groupes sont parmi les plus dynamiques dans la transition vers une mode durable aujourd’hui.

Pendant longtemps nous avons été en retard, par rapport à des capitales comme Copenhague ou Milan qui avait lancé son prix de la mode Green. Mais depuis 2019, il y a un élan et un nombre d’initiatives très important, comme Paris Good Fashion ou encore le Fashion Pact qui sont nées à Paris. Si l’on prend la Fashion Week qui vient de se terminer à Paris, il y a eu de réels efforts de fait : la Fédération de la Haute Couture a mis en place un outil pour mesurer l’ACV (analyse du cycle de vie) des collections et défilés, nous avons également mis en open-source des outils pour éco-concevoir des évènements, réaliser des shootings plus durables… Nous sommes sur le bon chemin et allons tout faire pour réaliser cet objectif.

 

On parle de plus en plus de sobriété et de décroissance, quel est le rôle de l’industrie de la mode dans cette évolution ?

Je pense qu’il faut cesser la surproduction et la surconsommation. Est-ce que ça fait sens de jeter des millions de produits sur le marché sans réfléchir à la problématique du stock ? Non. Ce modèle-là est obsolète et terminé, il faut donc redéfinir le système. Nous avons besoin de mieux anticiper les besoins des consommateurs, avec des technologies qui permettent de produire à la demande et à la commande. C’est le modèle de la Haute Couture qui va se démocratiser car l’enjeu est d’ajuster la production afin de ne plus stocker et envoyer nos déchets à l’autre bout de la planète, ce qui est une abomination sociale et environnementale.

 

Quels seraient tes futurs désirables ?

Je souhaiterai que l’on accepte la complexité c’est-à-dire que l’on fasse preuve d’intelligence dans nos échanges, dans nos discussions, qu’on (re)débatte, qu’on analyse et qu’on travaille ensemble. Il faut sortir de la radicalité des échanges, des fakes news (comme selon laquelle l’industrie de la mode serait la deuxième industrie la plus polluante, ce qui est complètement faux), qui ne permettent pas de construire intelligemment et collectivement des solutions.

 

 

Photo : © Géraldine Aresteanu

 

Après plusieurs années passées à repérer et accompagner des Entrepreneurs Sociaux innovants, Florence Rizzo a choisi de se concentrer sur l’innovation et le changement social dans le domaine éducatif. Elle a fondé SynLab, qui accompagne les enseignants, les cadres et les formateurs du monde éducatif à développer leur potentiel d’acteurs du changement au cœur du système public.

 

Pourquoi as-tu lancé Synlab  ?

Synlab a pour mission d’accompagner la transformation du système éducatif par l’empowerement des enseignants et des chefs d’établissement dans la transformation de l’éducation. Issue d’une famille immigrée italienne, aucun de mes deux parents n’a le baccalauréat et a fait des études supérieures. Tous les deux convaincus que l’éducation était la seule voie de mobilité sociale, j’ai eu la chance de faire mes études dans des « grandes écoles ». Mais j’ai ressenti beaucoup de colère et de révolte contre la reproduction des élites, considérant que je faisais partie de la minorité des 5 à 10% qui ne venaient pas des élites intellectuelles ou économiques.

J’avais profondément envie de m’engager au service de l’intérêt général, au départ en travaillant de façon transversale sur des questions de santé, de pauvreté et d’éducation. En 2010 j’ai voulu investir mes compétences dans un seul domaine pour avoir plus d’utilité sociale et de capacité de transformation et l’éducation s’est imposée comme une évidence car c’était pour moi la cause racine de la transformation des sociétés. Pour contribuer à l’élévation de la conscience et à la réduction des inégalités, il faut travailler dès le plus jeune âge sur l’évolution des modes de représentation. Ça a été le point de départ de l’aventure Synlab.

 

 

Aujourd’hui, il existe un déficit de connaissance des enjeux, d’une part, et des croyances très ancrées, d’autres part. Comment faire évoluer cela ?

Il y a tout d’abord je crois la question du conditionnement et de la prise de conscience des individus de ce conditionnement. Cela constitue la première étape pour évoluer et implique d’apprendre à désapprendre pour déconstruire ce que l’on croit savoir.

Avec Synlab, nous avons élaboré des outils et des ressources qui permettent au corps enseignant de déconstruire les croyances erronées, par exemple celles sur l’intelligence. Soit tu penses que l’intelligence est fixe et tu vas plus avoir une vision déterministe et formatée, soit tu penses que l’intelligence est flexible c’est-à-dire que tu vas apprendre tout au long de ta vie, construire et déconstruire, évoluer toi-même et faire évoluer la société en même temps.  Pour transformer le domaine éducatif et la société, il est donc essentiel que les enseignants aient conscience des déterministes sociaux et des croyances structurantes pour se déconditionner.

Nous avons ainsi mené une enquête auprès de mille enseignants pour mesurer l’impact de la méritocratie sur la réalité des pratiques pédagogiques. Ce que l’on observe, c’est que les enseignants qui croient en la méritocratie vont mettre en place des pratiques pédagogiques très compétitives qui vont stigmatiser l’erreur, valoriser les quelques têtes de classe mais vont desservir la majorité dans leur progression. Ce type d’approche est en grande partie responsable de notre rang dans le classement PISA, avec une école qui accroît les inégalités puisqu’un enfant qui vient de milieu défavorisé a quatre fois moins de chance de faire partie des bons élèves. On peut très clairement agir sur les pratiques pédagogiques que les enseignants mettent en place pour tenter de réduire ces inégalités. Nous avons notamment lancé le programme Enjeu (R)Accrochage qui permet aux enseignants de poser un diagnostic sur leur classe pour anticiper les risques de décrochage de leurs élèves et ainsi adapter leur stratégie pédagogique pour réduire les écarts de niveau.

 

« Pour transformer le domaine éducatif et la société, il est essentiel que les enseignants aient conscience des déterministes sociaux et des croyances structurantes pour se déconditionner. »

 

 

Cette transformation du système éducatif ne risque-t-elle pas d’arriver trop tard au regard de l’urgence écologique que nous connaissons ?

L’école doit préparer à la société qui vient. Elle doit donner à la fois la confiance, les compétences et le cadre de sécurité qui permet de prototyper et de tester des solutions pour demain. L’école doit être en avance sur la société mais pour cela il faut lui donner les moyens. Est-ce que cela arrivera trop tard ? Je pense que chaque génération a connu des crises qu’elles ont su surmonter. Je fais confiance en l’être humain pour transformer positivement la société.

 

As-tu un exemple concret de pays, de ville ou de territoire, ayant développé des expériences concluantes de transformation du système éducatif ?

La Finlande est un exemple avec notamment la mise en place d’un moratoire sur les réformes. C’est-à-dire que les finlandais se sont mis d’accord, à l’échelle de la nation, sur les priorités à tenir pour améliorer le système éducatif. Ils ont réussi cette transformation car pendant 20/30 ans ils ont eu une stabilité de leur vision et de leur mode de pilotage, liée à une union nationale. C’est un processus très sain qui a engendré un débat public, la stabilisation des réformes, leur mise en place et puis leur évaluation.

Je suis persuadée que l’évolution des systèmes est soit liée à la capacité à construire une vision commune à l’échelle nationale et à la piloter, soit à la délégation du pouvoir et de l’autonomie à des échelons infranationaux comme au Canada où des provinces comme l’Ontario peuvent mettre en place les bonnes stratégies politiques en étant au plus près des besoins des citoyens.

La Finlande a aussi apporté une immense attention à la formation des enseignants. C’est un métier là-bas très valorisé et bien rémunéré. C’est pour moi déterminant car la qualité d’un système éducatif ne peut pas dépasser celle de ses enseignants. Un autre élément culturel clé est leur capacité à dépasser une vision unique de la réussite, ce qui permet à chaque enfant de trouver sa propre trajectoire d’audace et sa place. Il y a quand même des points de vigilance sur la transposition, notamment la différence d’homogénéité culturelle et de culture d’égalité entre la France et la Finlande.

 

« L’évolution des systèmes peut-être liée à la capacité à construire une vision commune à l’échelle nationale et à s’y tenir ou à la délégation du pouvoir et de l’autonomie à des échelons infranationaux. »

 

Quels seraient tes futurs désirables ?

A court terme, il y a un vrai sujet démocratique avec les élections de 2022. Je souhaiterais l’introduction du tirage au sort de celles et ceux qui ont la responsabilité temporaire d’œuvrer au service du bien commun afin de neutraliser les égos et la conquête du pouvoir.

D’un point de vue de l’éducation, j’aimerais que les dirigeantes et dirigeants prennent conscience de la nécessité d’investir dans la formation des enseignants en France pour faire évoluer le système éducatif, au service d’un pacte républicain c’est à dire que l’école soit intégrée dans la société, que les parents et enseignants travaillent ensemble afin que les jeunes générations soient éduquées et capable de relever les défis auxquels elles feront face.

Sinon, plus largement, je rêve que l’être humain ait la conscience nécessaire pour fonctionner dans le respect de lui-même, des autres et de l’environnement…

 

Jérôme Cohen est fondateur et président d’ENGAGE dont la mission est d’aider les citoyens et les entreprises à se saisir des grands défis du XXIème siècle. Il est également co-fondateur du Grand Défi dont l’ambition est de fédérer le monde de l’entreprise face aux défis environnementaux.

 

Le facteur humain est-il fondamental dans la transition ?

Le facteur humain est au cœur de la transition car cette dernière nécessite de se remettre en question individuellement, de déconstruire certaines de nos croyances, certains de nos réflexes en termes de comportements et de connaissances, devenus aujourd’hui incompatibles avec un monde durable. Il nous faut revoir le logiciel qui a accompagné notre société depuis l’après-guerre, notre rapport à l’autre, au monde, qui a imprégné à la fois notre vie personnelle mais également notre vie dans les organisations et les entreprises.

Cette transition passe d’abord par une prise de conscience. Elle passe aussi par l’acquisition de connaissances profondes liées aux enjeux de la transition – environnement, gouvernance, technologie, leardership – et par le développement de compétences qui n’étaient pas celles jugées comme prioritaires il y a encore quelques années. Cette transition individuelle résonne donc avec une transition à plus grande échelle, une transition collective, organisationnelle et sociétale.

C’est tout cela, le facteur humain, qui peut constituer un réel frein comme un puissant levier de transformation.

 

Quelles compétences devons-nous développer pour contribuer à cette transition ?

Ces compétences sont d’ordre individuel mais aussi collectif. Une des premières compétences est la créativité. En effet nous observons la claire nécessitée de réinventer ce qui est aujourd’hui défini comme un modèle solidement accepté. Pour cela, il nous faut penser hors des cadres, hors des cases et ne plus s’appuyer sur certains réflexes conditionnés. Il nous faut adopter une posture créative profonde afin de pouvoir remettre en question, en permanence, nos habitudes.

Je parlerais également de la notion d’apprentissage profond, comme l’explique François Taddei dans son livre Apprendre au XXIème siècle, nous devons  apprendre à apprendre. Dans un monde en mutation, il est essentiel d’adopter une posture permanente d’apprentissage.

Cette transition touche également la question du rapport à l’autre et nos façons d’interagir : qu’attendons-nous de l’autre ? Il faut développer nos compétences en termes de communication, d’écoute active, d’ouverture à l’autre, d’empathie.

Enfin et surtout peut-être, j’appuierais sur les notions d’intelligence et de prise de décision collectives. Les enjeux sont complexes, les solutions le seront aussi, et nécessitent de combiner des intelligences, des expertises, des expériences, des sensibilités variées. Cela nécessite d’inclure et de respecter les idées d’autrui, différent de moi. Ce recours à l’intelligence collective est nécessaire à l’échelle des organisations comme à celle des sociétés.  C’est en nous appuyant sur la collaboration que nous trouverons des réponses à des défis, par essence, globaux.

J’ajouterais que nous devons surtout, presque prioritairement, repenser notre rapport au vivant, dans une approche philosophique voire spirituelle. Quelle est notre juste place ?

 

« Nous devons surtout repenser notre rapport au vivant :
quelle est notre juste place ?
»

 

 

Comme cela s’incarne-t-il en entreprise ?

L’entreprise est en soi un écosystème et fait partie d’un écosystème. Son rôle sera crucial dans la transition. C’est un système complexe composé d’humains.

Le facteur humain est donc nécessairement au cœur de la transition des organisations. Il est à la fois source des blocages de l’entreprise (en développant des freins par manque de connaissance, de conscience ou d’audace) et à la fois moteur de la transformation. Le niveau managérial n’est d’ailleurs en rien un indicateur de la capacité d’un collaborateur à constituer un frein ou un moteur pour la transformation de l’entreprise.

Pour évoluer, l’entreprise doit devenir un lieu de connaissance, un lieu de créativité et de remise en cause, d’intelligence collective à la fois verticale et horizontale. Elle doit permettre de relier tous les échelons managériaux pour que l’émergence d’idées et la prise de décision soient partagées. La stratégie doit nourrir l’opérationnel et vice-versa.

L’entreprise doit également endosser un rôle politique dans la cité. C’est un organisme vivant qui interagit avec son écosystème, ses parties prenantes – ONG, territoires, citoyens, élus… C’est par cette rencontre et cette porosité que l’entreprise pourra participer efficacement à sa propre transformation et à celle de la société. C’est notamment ce que nous promouvons avec le Grand Défi des entreprises pour la planète, en faisant converger les points de vue, en renforçant le dialogue entre les acteurs de l’économie et de la société civile.

 

 

« Pour évoluer, l’entreprise doit devenir un lieu de connaissance, un lieu de créativité et de remise en cause, d’intelligence collective à la fois verticale et horizontale. »

 

 

Concrètement, comment ENGAGE intègre-t-elle le facteur humain dans son approche ?

ENGAGE intègre le facteur humain dans son accompagnement des individus que les collectifs.

L’ENGAGE University, avec ses différents programmes et notamment le Programme Transformation, travaille sur l’acquisition des connaissances et compétences nécessaire à un monde en transition. Elle permet aux participants d’expérimenter de nouvelles façons de faire, d’agir. Nous mêlons beaucoup les profils afin que chacun interagisse avec d’autres différents de soi, s’enrichisse, apprenne. Cela permet ensuite aux participants d’intégrer ces pratiques dans leurs entreprises et organisations.

C’est aussi ce que l’on promeut au travers des défis comme le Défi Biodiversité. Nous cherchons à relier des écosystèmes -citoyens, ONG, entreprises, médias- pour mêler les perspectives, les contributions.

Dans ENGAGE Corporate, le facteur humain s’incarne à toutes les phases de l’accompagnement des entreprises. Nous mêlons toujours les sessions d’apprentissage et les ateliers de créativité ou d’intelligence collective. Apprendre sur les enjeux, bien sûr, mais aussi se les approprier collectivement, accélérer le dialogue, faciliter l’émergence de projets partagés.

Nous invitons également les collaborateurs à penser l’entreprise comme un organisme inter-relié à son écosystème, vivant d’échanges permanent, en interne comme en externe.

 

Comment relier ces futurs désirables auxquels nous inspirons et cette notion de facteur humain ?

Un futur désirable, c’est un futur où chacun a pris conscience de la fragilité de l’autre et de son environnement et a fait de cette conscience son moteur pour mener à bien la transition à travers sa pensée et ses actes.

 

 

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Participez à la prochaine édition du Programme Transformation qui se tiendra de novembre 2021 à février 2022, et développez les connaissances et compétences nécessaires à un monde en transition !

Le Programme Transformation, c’est 75 heures de découverte, d’approfondissement et de mise en pratique avec nos Intervenant.e.s-Éclaireur.se.s pour se saisir des enjeux contemporains, à travers une approche systémique et acquérir les compétences et outils de la transition.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur www.engage-programmetransformation.com

 

 

 

 

 

 

Céline Puff Ardichvili est communicante et entrepreneuse. Elle est partenaire dirigeante au sein de Look Sharp, une agence engagée de conseil en communication et relations média. Elle a co-écrit avec Fabrice Bonnifet le livre « Entreprises contributives : concilier modèles d’affaires et limites planétaires » sorti chez Dunod en avril 2021. Elle est également engagée dans la Convention21 et au sein du Défi Biodiversité que nous portons. 

 

Peux-tu te présenter ?

Je suis experte en communication, notamment dans les relations presse et relations publiques, un domaine dans lequel je suis tombée un peu par hasard. Quand j’ai commencé, je travaillais notamment sur des sujets tech. Sensibilisée à l’environnement depuis toute petite, j’ai voulu amener les sujets environnementaux et sociétaux dans mon métier pour éviter de participer au greenwashing et essayer d’apporter une valeur ajoutée à mes clients. J’ai repris un master 2 à Dauphine pour monter en compétences sur ces sujets-là et légitimer les conseils que je pourrais apporter.

Je me suis ensuite associée à mon amie Béatrice Lévêque qui fondait l’agence Look Sharp. Aujourd’hui nous faisons des relations presse et publiques pour des sujets que nous estimons, des sujets de transition qui font pour nous partie des réponses sociétales et environnementales pertinentes

 

Quel rôle la communication a à jouer dans la transformation des entreprises  ?

La communication a mauvaise presse, nous sommes perçus un peu comme les publicitaires qui ont fait acheter n’importe quoi et toujours plus aux gens, et surtout ce dont ils n’avaient pas besoin. Les relations publiques en général et presse en particulier, en plus, sont peu visibles pour le grand public, et l’action est généralement peu transparente… jamais un journaliste ne dira : « ce sujet m’a été proposé par un attaché de presse, et j’ai choisi de le traiter ».

J’ai la profonde conviction que tous les métiers doivent se transformer, chaque branche doit prendre sa part. Récemment, il y a eu un mouvement d’ingénieurs qui ont démissionné, faute de pouvoir changer les choses de l’intérieur. Rien que cela est une action et un acte militant contribuant à montrer aux entreprises que leurs propres collaborateurs ne sont pas en phase, et que si elles ne se transforment pas, les meilleurs vont partir. L’une des parties prenantes la plus critique mais aussi potentiellement la plus capable de transformer l’entreprise de l’intérieur, c’est justement le collaborateur. C’est un postulat que je défends, que je vis, que je raconte. L’entreprise doit aborder le changement, car elle est cernée, de l’extérieur par la réglementation et par les attentes des consommateurs mais aussi de l’intérieur par une attente profonde des collaborateurs. C’est le rôle de l’entreprise contributive d’y répondre, quitte à faire des renoncements et à transformer sa manière de faire des affaires : c’est ce dont on parle avec Fabrice Bonnifet dans notre livre.

 

J’ai la profonde conviction que tous les métiers doivent se transformer, chaque branche doit prendre sa part. ” 

 

On peut parler de communication responsable ?

Tout à fait. La communication responsable c’est être conscient de l’impact du message que tu vas relayer. Il faut pour cela renoncer à la facilité – la fameuse phrase courte, les mot-valise, les raccourcis… Cela nécessite formation, réflexion et mise en contexte pour retrouver la communication sur le bon sujet à la bonne échelle d’enjeux. La communication responsable inclut également la façon de travailler avec ses clients, les relations humaines que tu vas tisser – sont-elles intègres, honnêtes ? On ne peut plus laisser son rôle de citoyen lorsqu’on arrive le matin dans son entreprise. C’est ce qui nourrit la perte de sens. Nous avons justement besoin de cette intelligence citoyenne en entreprise.

 

Nous observons une tendance de plus en plus forte au greenwashing. Quid de la tolérance vis-à-vis de ces publicités ?

Je remarque que les consommateurs, notamment les jeunes générations, forment un public de plus en plus averti et attentif face à la communication des entreprises – sur les sujets environnementaux mais aussi sur des problématiques sexistes ou discriminatoires.

Les tactiques pour contourner le greenwashing se veulent peut-être plus fines, et donc sournoises, mais en même temps, auprès d’un public sensibilisé, elles sont de plus en plus visibles. Tu peux continuer à montrer une voiture, mais pas sur du gazon, mais tu peux la montrer sur une route qui traverse du gazon. Te laisses-tu encore berner par le gazon ? À mon sens, aujourd’hui, beaucoup de greenwashing est le résultat de maladresses de communicants peu formés aux enjeux, au-delà de réelles intentions de tromper qui ont longtemps caractérisé ce ripolinage vert.

Les communicants peuvent se remettre en question et challenger les briefs de leurs clients : il faut critiquer de manière constructive, conseiller, apporter de la valeur ajoutée. C’est ce qui rend le métier intéressant pour le consultant, et indispensable pour son client : une approche gagnant-gagnant des deux côtés.

 

Des débats ont émergé autour de la fin de la publicité, notamment dans l’espace public. Arriverons-nous un jour à une ville sans publicité ?

Je ne pense pas. C’est également une caricature de laisser penser que beaucoup de gens veulent « la mort de la pub ». Ce n’est évidemment pas le cas. Mais songez que, dans une journée, nous sommes exposés à plusieurs centaines de stimulis provenant de la publicité. Il faut se poser la question de quelle société nous voulons, dans quelle ville nous souhaitons évoluer, est-ce que c’est nécessaire que chaque m2 de l’espace public soit loué à la publicité ? Jusqu’où la liberté d’afficher et d’interpeler le consommateur primera sur la liberté de se promener l’esprit libre de sollicitations permanentes ? La finalité même de la publicité pourrait être réinterrogée, en même temps que le mouvement de remise en question de la finalité de l’entreprise.

 

Que penses-tu des mesures prises dans la loi climat et résilience sur la publicité ?

La règlementation en cours sur le greenwashing n’est pas dissuasive. Par exemple, une proposition dans la loi Climat et Résilience prévoit que s’il y a démonstration de greenwashing

Nous avons pu observer une telle bronca des lobbies des publicitaires classiques par rapport à la loi Climat et Résilience, de l’autorégulation au bilan carbone de ses campagnes, jusqu’à la caricature de type « la pub c’est la vie dans la ville », « sans pub, c’est la mort des médias » ou « la pub, c’est la santé de la démocratie ». Réguler la publicité est déjà compliqué. Le cadre pour certaines publicités notamment le street-marketing ou les écrans digitaux n’est pas encore bien clair. Sans compter que certaines règlementations existantes, comme l’obligation d’éteindre les vitrines, ne sont même pas respectées… Ce qui est certain en revanche, c’est que l’autorégulation ne suffira pas – elle ne sera que façade et contournement.

La loi Climat et Résilience ne prévoit pas grand-chose, mise à part l’interdiction de la promotion des énergies fossiles, la lutte contre la distribution d’échantillons et la diminution des prospectus. Encore une fois, ce n’est pas suffisant. L’agressivité des écrans publicitaires et la teneur des messages n’ont pas été remis en question – il est toujours plus facile de mettre le projecteur sur le produit ou sur le comportement du consommateur. Cette loi est déjà désuète. Il y avait des propositions extrêmement intéressantes de la part de la Convention Citoyenne, comme une loi Evin pour la publicité avec des avertissements. On l’a accepté au nom de la santé, pourquoi pas pour le climat ? Les sujets se rejoignent forcément, le nier contribue à ralentir l’action.

La réglementation, si et quand elle arrive, vient seulement acter le fait que la société a évolué. L’entreprise peut anticiper cela, et en faire un avantage. Elle peut se saisir de cette opportunité de voir la société évoluer et intégrer ces mutations en même temps que la société pour ainsi accompagner les changements de comportements – voire les impulser. Celles qui ont tendance à attendre que la règlementation vienne les contraindre seront en retard. Sur le sujet de la pub comme sur tous les autres sujets liés à l’environnement d’ailleurs.

 

“ Ce qui va fonctionner pour l’anti-greenwashing, c’est la dénonciation sur les réseaux sociaux, le name & shame. Cela va créer de mini scandales permettant d’élargir l’impact depuis un public averti vers le grand public. ” 

 

Est-ce que tu as des exemples de publicités ou campagnes de communication récentes pertinentes à tes yeux ?

Une qui me vient à l’esprit est la publicité pour la Citröen Ami, voiture de ville 100% électrique. Je ne vais pas parler du produit car je ne me suis pas penchée dessus – il y a évidemment un sujet plus profond lié à la mobilité électrique, tout n’est pas tout blanc ni tout noir. Mais on peut dire que la publicité en elle-même est réussie. Elle remet en question la finalité de la voiture en ville. « Si vous voulez vraiment 300 chevaux dans Paris, allez dans un hippodrome » : on ne nous flatte pas, on ne nous vend pas de la puissance, du désir de domination, ni même de l’esthétisme. Elle prend le contre-pied des codes publicitaires liés à l’automobile.

 

Après le greenwashing, les entreprises sont-elles de plus en plus tentées par le missionwashing ?

Le problème c’est la crise de confiance globale : envers les politiques, envers les marques et les entreprises… Pour se remettre en scène, le « coup » de la mission parait miraculeux pour ces dernières afin de regagner la confiance des consommateurs et des collaborateurs.

Mais tout le monde peut afficher sa raison d’être. Se trouver une raison d’être au service du bien commun, c’est une autre paire de manches. La mettre dans ses statuts dans l’objectif de la faire auditer et de devenir une entreprise à mission, c’est encore autre chose. Beaucoup d’entreprises formulent leur raison d’être sans aucune intention de se remettre en question, juste pour embellir ce qu’elles font déjà, et c’est là où l’on peut parler de missionwashing. Le consommateur ne va pas faire attention à la raison d’être affichée, mais aux résultats, à ce qu’il voit quand il consomme, à la cohérence entre les produits et services et leurs valeurs. Si la raison d’être ne change rien à l’offre, c’est qu’elle n’a pas transformé l’entreprise.

Le missionwashing, c’est une chance perdue si l’entreprise ne fait pas d’introspection et ne va pas jusqu’aux renoncements – de certains procédés, de certaines offres – s’il le faut. Mais c’est encore un exercice jeune, il est normal que certaines entreprises s’égarent, il faut qu’elles soient bien accompagnées. Ces sujets ne se travaillent pas seul.

 

À quoi ressemblent tes futurs désirables  ?

Je souhaite être fière du monde qu’on laisse à nos enfants. Se dire qu’en 2021 nous étions dans une mauvaise passe, mais collectivement nous avons su nous retrousser les manches, travailler ensemble et nous saisir de cet élan. J’aimerais pouvoir me dire que la France s’est servie de sa diplomatie climat pour avoir une aura et vraiment travailler à l’échelle européenne et internationale sur ces sujets-là. J’aimerais me dire que c’en est fini des doubles discours, qu’ils soient à l’échelle de l’entreprise ou des états.


Alexandre Rambaud est Maître de Conférence et co-responsable de la chaire “comptabilité écologique” à Agro-Paris Tech, et chercheur au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED). Il interviendra le 13 avril de 12h à 13h dans le cadre de notre défi Biodiversité pour une Conférence Action sur la thématique “Biodiversité et comptabilité : un langage commun ?”

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis maître de Conférences à AgroParis Tech, chercheur au Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED) et chercheur associé à l’université Paris-Dauphine, co-directeur de la chaire Comptabilité Écologique et du département « Économie et Société » du Collège des Bernardins. Je viens également d’être nommé Fellow à l’institut des Bacheliers et je suis membre de la commission Climat et Finance Durable de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF)..

 

Pour commencer, qu’est-ce qui vous a amené à porter la vision d’une révolution comptable ?

J’ai commencé comme chercheur en mathématiques, avant de m’orienter en économie de l’environnement. J’ai ensuite été séduit par les travaux de Jacques Richard et j’ai réalisé une thèse sur la comptabilité socio-environnementale. C’est lui qui a réussi à me montrer que la comptabilité n’était pas juste un outil technique, qu’elle cachait une vraie compréhension sociologique et politique du monde et que c’était un moyen d’action extraordinaire. Lorsqu’il a commencé à travailler sur le modèle CARE, cela m’a passionné et j’ai apporté ma touche de mathématicien.

 

“ La comptabilité n’est pas juste un outil technique, elle cache une vraie compréhension sociologique et politique du monde et c’est un moyen d’action extraordinaire. ” 

 

Justement, quel est votre rôle dans la création de la méthode CARE (Comprehensive Accounting in Respect of Ecology) ?

J’ai apporté un esprit de modélisation et de connexion vraiment forte avec l’économie. Le but de ce modèle n’est pas juste de développer une énième méthode de reporting, mais d’avoir une réflexion de fond sur la connexion entre les normes comptables et l’économie, ainsi que sur les conséquences de la mise en place d’un tel modèle sur l’écologie.

J’ai donc aidé Jacques Richard sur la théorisation et la structuration de CARE, et j’ai pris le relai sur le développement opérationnel du modèle.

 

Comment définiriez-vous ce modèle CARE ? En quoi est-il adapté aux enjeux écologiques actuels et à venir ?

Le modèle CARE provient d’une analyse critique de la comptabilité financière et des connaissances actuelles des sciences écologiques.

Actuellement, les modèles de comptabilité tendent majoritairement vers des orientations néoclassiques. Ils ne considèrent le capital humain et naturel que lorsque la nature et l’homme sont intrinsèquement productifs. De plus, le marché est considéré comme omniscient, ce qui revient à réduire tout problème à la recherche d’une valeur de marché, y compris pour ce qu’on appelle les externalités (sociales et environnementales). La comptabilité est donc utilisée uniquement pour permettre aux actionnaires de valoriser leur valeur actionnariale, notamment en intériorisant ces externalités pour corriger les différences de marché.

Ces pratiques nous mènent à gérer les problèmes environnementaux, comme le dérèglement climatique, avec des analyses coût/bénéfices (ou risques/opportunités) qui ne sont pas compatibles avec le niveau d’exigence scientifique et écologique de préservation de l’environnement. C’est notamment le cas des approches qui considèrent la nature comme une fournisseuse de services écosystémiques. Depuis les années 70, de nombreux travaux scientifiques ont démontré que la maximisation de ces analyses coût/bénéfices peuvent conduire à l’extermination de populations naturelles et ne s’alignent jamais avec le niveau de résilience des écosystèmes.

 

Actuellement, les modèles de comptabilité tendent majoritairement vers des orientations néoclassiques. Ils ne considèrent le capital humain et naturel que lorsque la nature et l’homme sont intrinsèquement productifs. ” 

 

C’est donc ici que se révèle la spécificité de l’approche CARE ?

Tout à fait, en opposition à ces approches néo-classiques, le modèle CARE propose de définir la durabilité comme la préservation de ce à quoi l’on tient. C’est collectivement et en faisant appel à la science que l’on détermine les entités capitales qu’il faut préserver, comme le climat, et par quelles activités on y arrive. Pour cela, il faut que l’économie et la comptabilité internalisent et pilotent au mieux les coûts nécessaires pour permettre la préservation de ces entités.

Pour prendre l’exemple du dérèglement climatique, lorsqu’une entreprise émet des gaz à effet de serre, elle emprunte le climat et doit donc le rembourser en l’état. Pour gérer son endettement, elle doit réduire son impact sur le climat et mettre en place des activités de préservation qui visent à contribuer à la stabilité climatique. Cela implique une compréhension de la structuration des coûts de préservation et d’évitement, et de ce qu’est la stabilité climatique.

Le modèle CARE structure donc en interne des dettes vis-à-vis d’entités capitales, comme le climat, et des coûts liés à ces dettes. Cela permet aux décideurs d’avoir une relecture de leur modèle d’affaire et d’obtenir des informations structurelles qui peuvent les aider à assurer la préservation de tous les capitaux.

 

“ Le modèle CARE propose de définir la durabilité comme la préservation de ce à quoi l’on tient. C’est collectivement et en faisant appel à la science que l’on détermine les entités capitales qu’il faut préserver, comme le climat, et par quelles activités on y arrive. ” 

 

N’y a-t-il pas un risque de recourir systématiquement à la compensation pour recouvrir ses dettes extra-financières ?

Tout dépend de ce que l’on entend par compensation. Pour reprendre l’exemple du climat, tout doit être analysé sous l’angle suivant : est-ce que l’action que l’on mène garantit la préservation climatique ? Si l’on s’intéresse aux puits de carbone, il faut qu’ils reposent sur une base scientifique, avec une sécurisation du stockage. Pour donner un ordre d’idée, les coûts attenant pour stocker une tonne de carbone avec garantie et sécurisation de stockage s’élèvent à environ mille euros la tonne.

 

Vous prônez un alignement du capital financier avec le capital humain et le capital naturel, pouvez-vous nous en dire plus ?

Lorsque des acteurs (actionnaires, propriétaires, fournisseurs) apportent du capital à une entreprise, ils font une avance en argent : c’est ce que l’on appelle le capital financier. Tous les apporteurs sont traités au même niveau et la comptabilité sert à savoir ce qui a été fait avec cet argent. Ce que le modèle CARE dit, c’est qu’il faut conserver ce mécanisme et l’étendre aux autres avances (en climat, en sols, en écosystèmes) afin qu’elles soient remboursées en état et sans hiérarchie. Il s’agit donc d’une continuité du système comptable qui existe déjà dans de nombreuses entreprises.

 

Si l’on prend l’exemple du capital humain, qu’est-ce que cela implique concrètement ?

Dans le modèle CARE, chaque être humain qui travaille pour une entreprise est une entité capitale. Le salaire n’existe pas comme tel car il est déconstruit. Une partie sert à garantir la préservation de l’être humain et correspond à ce qu’on appelle le salaire décent. Le reste représente des charges liées à l’obtention de certaines compétences ou à un coût d’accès à la personne, qui ne sont plus liées aux enjeux de préservation du capital humain.

Une entreprise doit donc verser un salaire au moins supérieur au salaire décent pour préserver ses capitaux humains et ne pas s’endetter auprès de ces entités. Cette approche permet également de comprendre comment est alloué l’argent dans la gestion des capitaux humains, entre salaire décent et autres charges.

 

Dans le cas d’un chef d’entreprise qui s’intéresse au modèle CARE, quelle démarche doit-il suivre pour le mettre en place ? Quels vont être les changements dans le fonctionnement de son entreprise ?

Il y a déjà de nombreuses entreprises qui mettent en place ce modèle, des TPE jusqu’aux grandes multinationales. Cela peut se structurer soit sous la forme de programmes de recherches (il faut passer par la chaire Comptabilité écologique), soit sous la forme de développement R&D (il faut passer par des cabinets spécialisés comme ComptaDurable).

Nous allons lancer en avril une association qui permettra de fédérer les professionnels (institutionnels et ONG) qui sont intéressés par le modèle. Elle contiendra le centre méthodologique de CARE et servira également de guichet d’accueil pour les entreprises qui souhaitent mettre en place le modèle, afin de leur orienter au mieux vers les bons acteurs. L’idée est de fonctionner en écosystème et en projets collaboratifs.

 

Nous travaillons beaucoup sur les imaginaires et l’écriture de nouveaux récits chez ENGAGE. À quoi ressemblent vos futurs désirables ?

Si déjà il y avait la possibilité de reconnaître les dettes vis-à-vis des êtres humains et de la nature, ce serait énorme. Ce serait une clé importante pour résoudre les enjeux de durabilité.

Virginie Raisson-Victor  et Jérôme Cohen sont co-fondateurs et porte-paroles du Grand Défi des entreprises pour la Planète.

Records de chaleurs, sécheresse chronique, épuisement des minerais, dépassement des limites planétaires mais aussi crise énergétique européenne, ruptures des chaînes de valeur, flambée des prix céréaliers, retour de l’inflation : il n’est désormais plus de doute possible sur le lien qui associe dans une même crise systémique notre modèle de développement, la dégradation de la planète et l’épuisement des ressources naturelles. Plus de doute non plus sur la nécessité et l’urgence de réconcilier l’économie avec les écosystèmes planétaires, l’intérêt général, le temps long et nos territoires.

Pour y parvenir, la planification écologique constitue certainement un levier utile et nécessaire si, toutefois, elle peut s’appuyer sur une détermination gouvernementale à la mesure de l’urgence de la situation et disposer de moyens ajustés à la complexité du défi à relever. Car face à la sécheresse, à la dégradation de la qualité de l’eau, au recul des sols naturels, au risque épidémique accru, à l’érosion côtière, à la vulnérabilité des infrastructures ou à la morbidité environnementale, il n’est plus de demi-mesure qui puisse suffire. Au contraire, la gravité de la crise écologique et ses premiers impacts invitent le gouvernement à porter très haut l’ambition nationale, au risque sinon que les coûts économiques, sanitaires et sociaux de l’inaction deviennent bien supérieurs à ceux du changement.

Puisse donc aussi la planification permettre aux acteurs économiques, aux dirigeants d’entreprises et aux responsables des collectivités, de ne plus avoir à opérer seuls des arbitrages qui, en opposant le bien commun à la performance économique ou électorale, ralentissent la transition. Comment espérer sinon que les entreprises engagent les investissements et changements nécessaires à leur transition écologique tout en préservant leur compétitivité économique ? Comment penser qu’un élu puisse politiquement survivre aux contraintes que la crise environnementale l’engage à mettre en œuvre s’il est seul à les porter sur son territoire ?

Ainsi, le constat s’impose aussi que la planification écologique ne pourra permettre de relever le défi du climat et de la biodiversité qu’à la condition de faire émerger, au même moment, un nouveau modèle de prospérité économique qui permette de concilier le développement humain et celui des entreprises sans préempter l’environnement et ses ressources. À défaut, le problème persistera de ne pas pouvoir soustraire les enjeux écologiques aux intérêts particuliers en compromettant, ce faisant, l’avenir des jeunes générations. Pour leur part d’ailleurs, celles-ci ne transigent plus. Par leur « désertion », leur rébellion, ou tout simplement leurs conditions à l’embauche, elles sont de plus en plus nombreuses à exiger que les valeurs sociales et environnementales soient replacées au cœur des modèles d’affaire et entrepreneuriaux. Elles sont loin d’être les seules…

Voilà déjà quelques années en effet que les initiatives se multiplient, qui traduisent ensemble la prise de conscience, la demande accrue d’amorcer la transition ainsi que l’offre d’intelligence et d’engagement pour l’organiser et la déployer… Réseaux d’entreprises, mouvements étudiants, associations, organismes professionnels, institutions dédiées, territoires, syndicats, collectifs : de toutes parts, les idées jaillissent, les solutions s’inventent et les plans s’élaborent. Ensemble, ils signent la force et l’ampleur du mouvement sur lequel le gouvernement peut compter pour porter son ambition écologique, à condition toutefois qu’il concède à en partager l’élaboration. Car le passage d’un modèle de développement à un autre ne peut pas seulement procéder de l’injonction descendante des politiques publiques et autres contraintes réglementaires. Pour réussir, il suppose que l’ensemble des parties prenantes concernées s’accordent sur l’ambition commune dont ils doivent être les co-entrepreneurs.

La question devient alors celle du processus à mettre en place pour capitaliser l’effervescence participative et la convertir en consensus démocratique. Sans doute était-ce l’intention du Grand Débat National, puis de la Convention citoyenne qui, de fait, ont montré qu’en offrant à chacun de contribuer et en s’appuyant sur l’intelligence collective, il est possible de fédérer la diversité autour d’un objectif commun, de libérer l’inventivité, de faciliter l’inclusion et même de gérer la complexité. Cependant, les deux initiatives présidentielles ont aussi enseigné qu’en dissociant les citoyens des forces vives de l’économie, il n’était pas possible d’emporter l’adhésion de ces dernières ni d’échapper aux intérêts sectoriels. Autrement dit, pour être politiquement légitime et socialement acceptable, la planification écologique doit permettre à tous les acteurs qu’elle concerne d’inventer ensemble le modèle qu’elle sert pour mieux le mettre en œuvre.

Dans un contexte où le niveau global d’incertitude est à la mesure des efforts de transition et d’adaptation à consentir, il ne sera donc possible d’entreprendre de transition écologique efficace qu’à la condition d’un consensus préalable des acteurs économiques. Or si la voie est étroite et délicate, des propositions existent, qui étendent le processus démocratique aux entreprises et à leurs écosystèmes pour les faire converger vers une ambition commune. Le Grand Défi des entreprises pour la planète est de celles-là. Puisse donc le chef de l’État et le gouvernement se saisir de ces initiatives et de l’énergie qu’elles portent pour faire de la planification écologique une démarche systémique, ambitieuse, ajustée, inclusive et consentie. Car là se trouve certainement la clé de sa réussite, et nous n’avons désormais plus le temps d’un échec.

Pour en savoir plus sur le Grand Défi : www.legranddefi.org
Ce texte est une tribune parue dans le journal Les Echos en septembre 2022

Chercheur, conférencier et essayiste, Isaac Getz est professeur à l’ESCP Europe et l’auteur de Liberté & Cie, L’entreprise libérée et Leadership sans ego. Il a écrit son dernier livre L’entreprise altruiste (Albin Michel, 2019) avec Laurent Marbacher, innovateur social, notamment fondateur de la Team Academy et de la première banque de micro-crédit au Chili et accompagnateur de dirigeants.

Qu’entendez-vous par altruisme? Ce mot semble a priori loin de l’entreprise et de ses priorités actuelles, non ?

Quand nous parlons de l’entreprise altruiste, nous parlons du mot qui vient du latin alter, “l’autre. L’entreprise altruiste se met au service inconditionnel de l’autre, dans le sens Lévinassien du terme. C’est différent de l’entreprise classique, tournée vers elle-même. Logiquement, et non pas par malveillance, celle-ci instrumentalise ses interlocuteurs externes—clients, fournisseurs, la communauté où elle opère. Tous ces acteurs n’ayant plus de visage, deviennent des moyens, des choses. Or, comme le dit Lévinas dans Difficile liberté, « Le visage est un mode irréductible selon lequel l’être peut se présenter dans son identité. Les choses, c’est ce qui ne se présente jamais personnellement et, en fin de compte, n’a pas d’identité. A la chose s’applique la violence. »

Il faut ajouter que bien que l’entreprise altruiste sert l’autre inconditionnellement, elle prospère économiquement : c’est le paradoxe que l’on explique dans le livre.

Après l’entreprise libérée, traitée dans vos quelques précédents livres, qui parlait des rapports à l’intérieur de l’entreprise, l’entreprise altruiste se tourne vers l’extérieur ?

On peut qualifier l’entreprise libérée comme une sorte d’entreprise altruiste au service inconditionnel de son interlocuteur interne—le salarié. A l’instar de l’entreprise altruiste, l’entreprise libérée ne vise pas les performances économiques mais en jouit indirectement. En effet, les salariés qui viennent au travail non pas par obligation, mais par envie, et qui une fois sur place veulent donner le meilleur d’eux-mêmes sont naturellement plus performants que leurs homologues des entreprises classiques. La différence est que le salarié se trouve chaque jour dans l’entreprise et y est lié par le contrat de travail, tandis que le client ou le fournisseur sont en dehors et peu contraints. Le défi de la construction de l’entreprise altruiste est donc d’une autre nature que celui de la construction de l’entreprise libérée.

Vous parlez d’amitié comme mode relationnel, que voulez-vous dire ?

Aux transactions économiques, l’entreprise altruiste préfère les relations authentiques. On ne dit pas à un ami qu’on invite, « Tu es un ami tant que tu ne me coûte pas trop ou tant que je peux avoir un retour sur toi. » Les entreprises altruistes ne le disent pas à leurs clients ou fournisseurs non plus.

Comment faire pour que l’entreprise change réellement et que ces concepts très attirants soient appliqués et ne demeure pas au stade des idées ?

Mais ils sont appliqués ! Notre livre est fondé sur une enquête de terrain dans plusieurs dizaines d’entreprises sur trois continents allant des grands multinationales aux PME et dans tous les secteurs. Il y a des entreprises françaises comme Chateauform’, LSDH, Clinique Pasteur et d’autres.

Mais vous avez raison de poser votre question qui était aussi celle de notre livre ! Dès le début, nous n’avons pas cherché à établir de modèle, mais seulement à comprendre comment  le patron d’une entreprise altruiste a réussi à bâtir ce type d’entreprise, si différente de l’entreprise classique, car tournée vers la création de la valeur sociale et grâce à cela performante économiquement. C’est pour cela que dans chaque entreprise nous avons interviewé le PDG ou le fondateur. Pour justement comprendre comment il a réussi à bâtir son entreprise altruiste, et pour voir s’il y a des points communs entre tous ces chemins de transformation.

En quelques mots, quels sont vos futurs désirables ?

Notre livre raconte beaucoup de ces chemins uniques, mais le plus important est qu’il en dégage des éléments communs. C’était un pari de notre part et nous sommes contents que des points principaux de leadership de transformation requis pour bâtir une entreprise altruiste aient émergés à travers notre enquête. On espère maintenant que ce leadership va inspirer d’autres patrons à faire de même.